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Les Juifs de Grèce et la Shoah

Suite à l’invasion de la Grèce en avril 1941, le pays est divisé en plusieurs zones : 

  • Le Nord de la Thrace (à l’exception de sa partie orientale) est octroyé à la Bulgarie qui se voit ainsi récompensée d’avoir rallié l’Axe et autorisé le passage des troupes allemandes sur son territoire.
  • La région frontalière de la Macédoine grecque passe sous contrôle militaire allemand.
  • Le Sud du pays, Athènes et l’Épire passent sous contrôle italien.

La plupart des Juifs de Grèce se trouvent dans les régions contrôlées par les Allemands, avec notamment Salonique où vivent environ 56 000 Juifs, en 1940.

Les Allemands investissent Salonique le 9 avril 1941. Les mesures restrictives d’usage sont appliquées sans tarder, avec fermeture des deux périodiques juifs francophones, ‟L’Indépendant” et ‟Le Progrès” ainsi que du journal judéo-espagnol ‟El Mesajero”, le dernier périodique judéo-espagnol au monde à être publié en écriture Rachi, les autres ayant opté pour l’alphabet latin. Les membres du conseil communautaire sont tous arrêtés puis relâchés. Les archives et les bibliothèques de la communauté sont pillées. Des documents de grande valeur sont confisqués et transférés à l’Institut für Judenforschung, à Frankfurt, avant de disparaître au cours de la guerre. Saby Saltiel, un ancien dirigeant communautaire, est désigné comme président de la communauté afin de servir de courroie de transmission entre celle-ci et les forces d’occupation.

A la rigueur de l’hiver 1941-1942 s’ajoute la pénurie alimentaire. Les décès sont nombreux dans la population grecque, tant juive que non-juive. 11 juillet 1942, un communiqué dans la presse appelle les Juifs de dix-huit à quarante-cinq ans à se rassembler place de la Liberté, dans le centre-ville de Salonique. 9 000 hommes s’y retrouvent. Ils sont battus, insultés, humiliés. Deux jours plus tard, 2 000 hommes sont envoyés dans des bataillons de travaux forcés ; 250 d’entre eux vont y trouver la mort. La communauté juive s’efforce d’améliorer leur condition et de racheter ses jeunes. Max Merten, l’administrateur militaire des affaires civiles, demande aux Juifs 3 500 000 000 de drachmes avant de ramener la somme à 2 500 000 000 de drachmes, en décembre 1942. La communauté parvient à en réunir 1 650 000 000. Les Allemands harcèlent les Juifs, pillent et exproprient. Le grand-rabbin de Salonique, le Dr. Zvi Koretz, est relâché pour être placé à la tête du Judenrat, en décembre 1942, à la place de Saby Saltiel. Ci-joint, un lien Akadem sur une figure controversée :

http://www.akadem.org/medias/documents/5_Rabbin-Zvi-Koretz.pdf

 

En janvier 1943, les nazis entreprennent de planifier la déportation des Juifs de Grèce. Dieter Wisliceny et Alois Brunner, collaborateurs d’Adolf Eichmann, arrivent à Salonique début février 1943 et commencent à coordonner leurs projets avec Max Merten. C’est au cours de ce même mois que les lois de Nuremberg entrent en vigueur, avec notamment le port obligatoire de l’étoile jaune. Avec l’aide du Dr. Zvi Koretz, une liste de Juifs de Salonique est établie. Trois ghettos sont implantés. Le 25 février, on y fait converger l’ensemble de la population juive de la ville. Le plus important de ces ghettos est situé dans le quartier Baron de Hirsch, à proximité de la gare…

 

Cimetière juif de Salonique détruit par les nazis

Le cimetière juif de Salonique détruit par les nazis. Notons que cet immense cimetière avait auparavant subi bien des dégradations pour cause de croissance urbaine. C’est sur son emplacement qu’a été construite l’Université Aristote. Ci-joint, un lien précis sur la disparition progressive du plus grand cimetière juif d’Europe : 

https://sites.google.com/site/lalettresepharade/home/la-revue-par-numero/numero-15/le-cimetiere-juif-de-salonique

 

Tout va aller très vite. Le 6 mars, on interdit aux Juifs de quitter le ghetto. Leurs biens sont confisqués et transférés sur des comptes contrôlés pas les Allemands. Le 15 mars, un premier convoi quitte la ville et arrive à Auschwitz cinq jours plus tard. Sur les 2 800 déportés, 2 191 sont gazés dès leur arrivée. Des voix s’élèvent contre ces déportations, parmi lesquelles celles d’intellectuels et d’autorités religieuses athéniennes, dont l’archevêque Damaskinos qui sera déclaré ‟Juste parmi les nations”. Bernard Pierron évoque cet homme dans ‟Juifs et chrétiens de la Grèce moderne”, sous-titré ‟Histoire des relations intercommunautaires de 1821 à 1945”. Le Dr. Zvi Koretz essaie de gagner du temps. Adolf Eichmann accepte de relâcher 3 000 Juifs promis à la déportation pour les affecter à l’Organisation Todt, dans les environs de Salonique. Le Dr. Zvi Koretz propose alors que leur nombre soit porté à 15 000, ce qui lui est refusé. Il fait jouer ses relations mais finit par être destitué et incarcéré.

Quelques centaines de Juifs étrangers parviennent à échapper aux griffes des Allemands, essentiellement des Juifs espagnols et italiens. En effet, dès le début du conflit, les Allemands se sont penchés sur la question du traitement à réserver aux Juifs étrangers. En 1943, ils décident d’inclure les Juifs des pays conquis ou alliés dans la Endlösung der Judenfrage et de ‟rapatrier” les autres. Des Juifs de Grèce avaient acquis une nationalité étrangère, essentiellement espagnole ou italienne, depuis l’époque des capitulations de l’Empire ottoman, principalement au XIXe siècle, un système dont les pays européens tiraient partie pour étendre leur sphère d’influence. Ainsi l’Espagne des années 1920 avait-elle sollicité les Séfarades.

En 1943, il y avait à Salonique 511 Juifs espagnols. Leur ‟rapatriement” vers l’Espagne franquiste ne fut guère aisé. Ces Juifs étaient pourtant a priori considérés comme des citoyens espagnols à part entière ; mais l’Espagne d’alors traînait des pieds et compliquait les négociations. Les initiatives de sauvetage furent le fait d’individus comme Sebastián de Romero Radigales, consul d’Espagne à Athènes, qui parvint à envoyer 150 Juifs espagnols dans la zone grecque sous contrôle italien. Ci-joint, une notice biographique mise en ligne par The International Raoul Wallenberg Foundation :

http://www.raoulwallenberg.net/saviors/diplomats/spanish/diplomats-52/sebastian-de-romero-radigales/

Je rappelle que le régime franquiste accepta d’accueillir les citoyens espagnols de Salonique seulement après avoir obtenu des organisations juives internationales la garantie que ces Juifs ne feraient que transiter par l’Espagne et seulement après qu’un nombre égal de réfugiés juifs eut quitté le pays. Salonique, août 1943 : 367 Juifs de nationalité espagnole sont déportés vers Bergen-Belsen où ils sont correctement traités avant d’arriver en Espagne en février 1944.

La plupart des déportations de Salonique ont lieu entre mars et mai 1943. Fin août 1943, après plus de quatre siècles et demi de présence séfarade, la ville est judenrein. ‟La Jérusalem des Balkans” n’est plus.

Le consulat italien à Salonique s’efforce de protéger ses ressortissants. Parmi les membres du personnel consulaire, citons le consul général Guelfo Zamboni (1897-1994) et l’attaché militaire, le capitaine Lucillo Merci. C’est en grande partie grâce à leurs efforts qu’environ 750 Juifs parviennent à gagner la zone italienne en Grèce.

 Lucillo MerciLucillo Merci (1899-1984), le 21 janvier 1941, en Albanie. Ci-joint, une notice biographique (en anglais) sur cet officier :  

http://www.gariwo.net/wefor/persona.php?idPersona=25&idGiardino=6

 

De 1941 à 1943, les Juifs de Grèce (parmi lesquels ceux d’Athènes) placés sous autorité italienne se voient protégés par elle. Citons en particulier l’administrateur et chef de la police italienne pour la Grèce du Sud, le général Carlo Geloso (1879-1957), et son successeur, le général Carlo Vecchiarelli, qui surent faire échec à de nombreuses menées allemandes. Grâce à la protection italienne, la population juive d’Athènes a augmenté au cours de la guerre et approche en 1943 les 10 000 habitants.

Ci-joint, une notice biographique (en italien) sur le général Carlo Geloso :

http://www.treccani.it/enciclopedia/carlo-geloso_(Dizionario-Biografico)/

Parmi les actions italiennes en faveur des Juifs, rappelons le sauvetage de 9 notables, condamnés à être fusillés par les Allemands en représailles d’un attentat de la Résistance grecque contre le quartier général de l’ESPO (Organisation nationale-socialiste patriotique), au cours duquel son chef, le Dr. Spyros Sterodimos, trouva la mort. Toutefois, la défaite de l’Italie, en septembre 1943, amène les Allemands à prendre le contrôle de la zone italienne en Grèce. Dieter Wisliceny se déplace à Athènes et institue un Judenrat. Le grand-rabbin Eliahou Barzilay reçoit l’ordre d’établir une liste exhaustive des Juifs à partir des registres communautaires mais il met le feu aux documents susceptibles d’établir cette liste et s’enfuit.

En mars 1944, les Allemands décident de déporter les derniers Juifs de Grèce. Dieter Wisliceny coordonne la logistique des déportations avec le général SS Jürgen Stroop. En mars 1944, les Allemands arrêtent 800 Juifs à Athènes. Entre mars et avril, des Juifs sont raflés dans à Ioannina, Preveza, Volos, Larissa et autres villes. Ils sont parqués dans le camp de Haidari, à Athènes, d’où 5 200 d’entre eux seront déportés à Auschwitz, en avril 1944. En juin et juillet 1944, 1 800 Juifs de Corfou et 1 700 Juifs de Rhodes seront à leur tour déportés à Auschwitz.

Selon les statistiques établies par le Comité central des communautés juives de Grèce, près de 87 % d’une population comptant 75 357 membres périrent dans la Shoah, l’une des proportions les plus élevées d’Europe.

 

Juifs de Ioannina25 mars 1944, déportation des Juifs de Ioannina (Thessalie). 

 
Un lien très synthétique mis en ligne par Encyclopédie multimédia de la Shoah pour la Grèce :

http://www.ushmm.org/wlc/fr/article.php?ModuleId=131

 

Un lien particulièrement émouvant mis en ligne par Alyaexpress-News.com et intitulé ‟Grèce : découverte de six cents pierres tombales de Juifs de Salonique” :

http://alyaexpress-news.com/2012/12/grece-decouverte-de-600-pierres-tombales-de-juifs-de-salonique/

 

Un lien mis en ligne par Mémorial de la Shoah et intitulé ‟Mars-août 1943 : Salonique épicentre de la destruction des Juifs de Grèce” :

http://www.memorialdelashoah.org/index.php/fr/programme-des-activites/expositions/a-venir-mars-aout-1943-salonique-epicentre-de-la-destruction-des-juifs-de-grece

 

Un lien mis en ligne par La Lettre sépharade et intitulé ‟Mémoire d’avant : la communauté israélite de Volos”. Rappelons que la proportion de survivants de la Shoah en Thessalie, à Volos plus précisément, a été exceptionnellement élevée :

https://sites.google.com/site/lalettresepharade/home/la-revue-par-numero/numero-13/memoire-d-avant-la-communaute-israelite-de-volos—raphaeel-frezis

 

Un article de Steven Bowman (University of Cincinnati) intitulé ‟The Jews in Greece” :

http://www.umass.edu/judaic/anniversaryvolume/articles/30-F3-Bowman.pdf

 

Le lien officiel vers The Jewish Museum of Greece d’Athènes :

http://www.athjcom.gr/en/index.php?option=com_content&view=category&id=8&layout=blog&Itemid=329

 

Une suite de documents iconographiques mis en ligne par Yad Vashem :

http://www.yadvashem.org/yv/en/holocaust/resource_center/item.asp?GATE=Z&list_type=3-0&TYPE_ID=139&TOTAL=&pn=3&title=Greece

 

Un lien intitulé ‟Greece And Its Jewish Survivors Who Became « Orphans of History »” :

http://zachor.michlalah.edu/english/khila/khila-9.asp

 

Les Juifs de GrèceDes membres de la communauté romaniote de Volos. Ci-joint, un lien sur cette communauté peu connue : http://www.cclj.be/article/1/3134


Tableau récapitulatif des déportations des Juifs de Grèce (tableau dressé par M. Molho et J. Néhama)
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Régions                              Situation           Nombre                  Situation          Situation en 

                                             en 1940          de déportés                en 1947              juin 1959

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Thrace                                  2 852                 2 692                        74                       38

Macédoine                         62 800               51 162                  2 309                  1 410

Thessalie                              2 727                    405                   1 831                     856

Grèce continentale             3 825                 1 780                   5 100                 2 669

Péloponnèse                           337                      90                       152                      37

Épire                                     2 584                2 384                      238                     115

Îles                                        4 825                4 060                      667                     135

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Totaux                               79 950             62 573                10 371                5 260   ______________________________________________________________

 

Olivier Ypsilantis 

 

1 thought on “Les Juifs de Grèce et la Shoah”

  1. Très bel article sur un sujet que peu de gens connaissent. Le rabbin Zvi Koretz s’est retrouve dans la même situation que tous les présidents des Judenrat.
    Je ne sais pas pourquoi les soldats italiens ont souvent aidé les Juifs: l’Italie promulgue des lois raciales déjà en 1938 (lois plus dures que les lois françaises de 1940 puisque les enfants sont exclus de l’école dès les petites classes) et les applique avec sévérité. Mais, en même temps, les Italiens ne se montrent pas très zélés pour arrêter les Juifs, si peu zélés que les Allemands devront prendre les choses en main en 1943. En France, dans la zone d’occupation italienne, il arrive que l’occupant protège les Juifs de la police de Vichy: à Nice, le consul d’Italie Angelo Donati prend leur défense et essaye de les transférer en Afrique du Nord mais aussi Barranco, le chef de la police italienne, qui désigne 4 carabiniers pour protéger les fidèles de la synagogue de Nice des exactions de la milice!
    A bientôt,

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