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Promenade en hérésie – 1/3

 

D’une certaine manière toutes les religions sont hérétiques, à l’exception du judaïsme. Je ne cherche en rien à établir une hiérarchie, à distribuer bons ou mauvais points. Je n’en ai pas les compétences et, surtout, je n’en ai pas l’envie. Dans le présent article, je propose une visite dans un monde étrange et enfiévré où chaque hérésie nous dit un moment de l’histoire humaine, bien humaine, avec ces doctrines qui agissent volontiers comme des drogues ou des alcools. C’est le monde des schismes et des hérésies, des sectes, considérables ou marginales, durables ou éphémères, sérieuses ou farfelues, et j’en passe. On les étudie généralement en se grattant la tête, en ouvrant de grands yeux, en grimaçant, en souriant et même en riant. Bref, c’est une promenade haute en couleurs, une sorte de Musée Grévin, de cabinet de Madame Tussaud. J’ai choisi un peu au hasard les tableaux qui constituent cette petite suite. Ils pourraient s’étirer sur des centaines et des centaines de pages. J’espère que le lecteur se divertira et qu’il éprouvera le besoin d’en savoir plus.

 

Les Adamites (ou Adamiens). Leur nom vient d’Adam, symbole de la pureté primitive qui précéda la Chute, l’expulsion du Paradis terrestre. Ils estimaient que quiconque s’habillait pour cacher sa nudité et n’était pas capable de voir sans émotion le corps nu d’une personne de sexe opposé était enfermé dans la concupiscence. On a rapporté que leur temple (à l’occasion une caverne) symbolisait le Paradis terrestre. Ils devaient y pénétrer parfaitement nus car, selon eux, la prière et la lecture des textes saints l’exigeaient. Saint Augustin rapporte toutes sortes de choses sur leurs pratiques, notamment que leurs cérémonies se terminaient dans une copulation générale qui faisait non seulement fi de l’adultère mais aussi de l’inceste. Les Adamites chassaient de leur communauté ceux d’entre eux qui avaient des relations charnelles en dehors du «Paradis terrestre», de leur temple. Des sectes de type adamite apparurent en divers endroits et à diverses époques. Je me contenterai de citer les Turlupins.

 

Les Turlupins se répandirent notamment au XIVe siècle, en Savoie et dans le Dauphiné. La doctrine qui réglait leur comportement peut être résumée de la sorte : lorsque l’âme est absorbée dans l’amour de Dieu, elle n’est plus soumise à aucune loi et peut en prendre à son aise, c’est-à-dire satisfaire tous ses appétit naturels. Il faut lire Marguerite Poretta, brûlée vive en 1310, à Paris. Une telle liberté de mœurs attira nombre d’adeptes qui se constituèrent en bandes. Ils écumaient les campagnes, abusant des garçons et des filles et provoquant l’angoisse des familles. Ils se rendirent à Paris pour y prêcher publiquement leur doctrine, ce qui mit le roi Charles V en colère. Nombre d’entre eux finirent dans les flammes avec leurs livres.

 

Depuis l’Antiquité, la flagellation était utilisée à des fins diverses. Le christianisme l’utilisa lui aussi dans certaines communautés comme moyen de pénitence. Aux époques troublées, elle se répandit sur les places publiques et devint une pratique superstitieuse, considérée comme au moins aussi importante que la prière et les sacrements. Vers le milieu du XIIIe siècle, en Italie, avec la guerre entre Guelfes et Gibelins, les flagellants formèrent des processions. Ils se dénudaient sans distinction de sexe et se fouettaient les uns les autres jusqu’au sang. L’hystérie se mettant de la partie, des scènes d’orgie s’en suivaient Les plus hautes autorités de l’Église durent intervenir. La peste noire (1347-1352) excita le zèle des flagellants, en Allemagne surtout où ils proclamaient les vertus du baptême du sang et s’élevaient contre l’autorité féodale. Les princes et les évêques s’unirent et le roi de France, Philippe de Valois, fit fermer ses frontières. Le pape Clément VI manifesta son mécontentement. L’Inquisition s’en mêla et de nombreux flagellants terminèrent dans les flammes.

 

Après avoir mené une vie cloîtrée dans un monastère, Jovinien, disciple de saint Ambroise, abandonna la vie monastique et se rendit à Rome. Il s’attira de nombreux disciples — les Jovinianistes — après avoir enseigné que peu importait l’abstinence ou la débauche pour un chrétien, le sacrement de baptême le prémunissant dans tous les cas contre les embûches du Démon. Il enseignait également que Marie n’avait pu rester vierge car cela aurait fait de Jésus un être fantastique. Le pape Sirice s’en mêla et la condamnation de Jovinien fut confirmée au cours d’un concile réuni par saint Ambroise, en 390.

 

Vers le milieu du XVIIe siècle, un imprimeur flamand publia un livre dans lequel il prétendait qu’il y avait eu des hommes avant Adam. Les Juifs étaient des adamites et les Gentils des pré-adamites. L’imprimeur qui se réclamait des Anciens Égyptiens, des Chaldéens et de certains rabbins kabbalistiques fut poursuivit par l’Inquisition. Il fit appel devant le pape Alexandre VII qui le reçut gentiment. Il imprima une réfutation de son livre et se retira sagement à Notre-Dame-des-Vertus.

 

En 1543 apparurent des Chrétiens qui rejetaient le sacrement du baptême. Ils préféraient se marquer le front au fer rouge, d’où leur nom : «Effrontés».

 

Les Abéliens (ou Abélites), une petite secte née en Afrique, du temps de saint Augustin. Ses membres affirmaient qu’Abel avait pris femme mais s’était abstenu de tout commerce charnel avec elle. En conséquence, les Abéliens se mariaient mais refusaient tout rapport sexuel avec leurs femmes dans la crainte de mettre au monde de futurs pécheurs. Afin de leur succéder, ils adoptaient volontiers des enfants.

 

Les Caïnites sont des gnostiques du IIe siècle. Ils croyaient en un Être supérieur au Créateur-Démiurge. Caïn aurait été le fils de cet Être tandis qu’Abel n’aurait été que le fils du Créateur-Démiurge. Ils affirmaient que Judas était doué de prescience : il avait livré Jésus prévoyant le bien qui en résulterait pour les hommes. Ils possédaient un «Évangile de Judas», ce qui leur valut le nom de Judaïtes. Ils prenaient le contre-pied de l’Ancien Testament, professant une vénération pour ceux qu’il condamnait, parmi lesquels les sodomites. Ils refusaient le dogme de la résurrection des corps et exhortaient les hommes à détruire indifféremment les œuvres de la Création considérées comme œuvres maléfiques. Selon eux, les Anges étaient les maîtres de cérémonies du Mal. L’«Évangile de Judas» et les doctrines des Caïnites étaient rassemblés dans «L’Ascension de saint Paul». Ci-joint un lien sobre et précis extrait du dictionnaire Imago Mundi, «Religions, mythes, symboles» :

http://www.cosmovisions.com/$Cainites.htm

 

Cimetière de Saint Médard

 

Le diacre François de Pâris, fervent janséniste, fut enterré au cimetière de Saint-Médard, en 1727. Des «miracles» se produisirent sur sa tombe. En 1713, la bulle Unigenitus  (édictée par le pape Clément XI) avait provoqué un grand mécontentement chez les jansénistes qui, pour marquer le bien-fondé de leur cause, élevèrent le diacre François de Pâris au rang de saint thaumaturge. Plus de deux cents miracles se seraient produits, des miracles suivis de convulsions et autres symptômes de l’épilepsie et de l’hystérie. En attitude de prière autour de la sépulture, femmes et hommes ne tardaient pas à s’agiter comme des possédés tout en maudissant la bulle Unigenitus. A en croire certains témoignages, les convulsionnaires se mettaient tout nus et prenaient des poses obscènes. Le roi fit fermer le cimetière de Saint-Médard mais la frénésie convulsionniste continua à se manifester plus ou moins clandestinement jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les convulsionnaires encouragèrent de nombreuses tendances parmi lesquelles les Possibilistes qui affirmaient que Dieu leur avait conféré le privilège de commettre n’importe quelle faute sans pécher et qui professaient par ailleurs une vénération pour le prophète Élie. En 1794, Fialin, curé à Marcilly-le-Châtel, dans le Forez, persuadé que le prophète allait paraître, rassembla environ quatre-vingt femmes et hommes pour l’accueillir tout en marchant vers Jérusalem dans le but d’y fonder la République de Jésus-Christ. Ces pèlerins devaient marcher sans jamais regarder à droite ou à gauche, en haut ou en bas. Le curé les détroussa, jeta son froc et ouvrit un cabaret aux environs de Paris. Mais allez faire un tour du côté de la Révolution française et des convulsionnaires, avec notamment François Bonjour, curé de Fareins dans les Dombes, et lisez «Le jansénisme en Forez au XVIIIe siècle», publié par l’Institut des Études Régionales et des Patrimoines, Université de Saint-Étienne.

 

Membres d’une secte d’eunuques des premiers siècles de l’Église, les Valésiens croyaient que la castration mettait l’homme à l’abri de toutes les tentations. Lorsqu’ils accueillaient un homme, ils le privaient de nourriture carnée jusqu’à ce qu’il soit castré. Une fois castré, ce dernier pouvait manger et boire tout ce qu’il voulait, la castration le mettant à l’abri de tout dérèglement.

 

Cérinthe, un Juif d’Antioche contemporain des Apôtres, est l’un des premiers hérésiarques connus. Il vécut dans l’entourage de saint Jean. Cérinthe enseignait qu’à la fin des temps Jésus-Christ reviendrait sur la terre afin de régner mille ans sur les Justes, un temps au cours duquel ces derniers seraient comblés ici-bas de toutes les voluptés. Il enseignait également qu’avant de créer l’Univers, Dieu avait créé des esprits, des intelligences et des génies plus ou moins parfaits. L’un d’eux avait été l’auteur de l’Univers. Les esprits supérieurs s’étaient ensuite partagés la Création et la gouvernaient. Le Dieu des Juifs était l’un de ces esprits. Il avait dicté sa Loi à Moïse, une loi qui n’était pas tout à fait mauvaise et dont il fallait conserver certains éléments comme, par exemple, la circoncision. Cérinthe professait un grand respect pour Jésus-Christ mais, selon lui, Jésus avait été engendré par son père et sa mère, Joseph et Marie, comme n’importe quel homme. Mais Jésus étant doué d’une sagesse et d’une intelligence supérieures, le Christ, le Fils de Dieu, était descendu sur lui sous la forme d’une colombe à l’occasion de son baptême. Ainsi, par la vertu du Christ, Fils de Dieu, Jésus-Christ avait connu le Père, l’avait fait connaître aux hommes et avait accompli des miracles. Au cours de la Passion, le Christ avait quitté Jésus pour retourner auprès de son Père. Conclusion : seul Jésus a souffert, est mort, est ressuscité ; tandis que le Christ — le Fils de Dieu — ne pouvait ni souffrir ni mourir et, en conséquence, ni ressusciter.

 

Toutes ces hérésies (et je n’en ai pas cité le centième) paraissent peu sérieuses. Dans l’article suivant j’en exposerai une, plus sérieuse.

 

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