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Le quartier juif de Murcia au Bas-Moyen Âge

 

La judería (quartier juif) de Murcia remonte à la prise de cette ville par Alfonso X. Elle était implantée le long des murailles, entre la Puerta Nueva et la Puerta de Orihuela. Une ordonnance de décembre 1412 exigea la stricte séparation des Juifs du reste de la population. En janvier 1413, Juan II communiqua aux autorités locales des instructions détaillées sur l’organisation de cette judería, précisant notamment qu’il ne devait rester qu’un point de circulation entre le quartier juif et le reste de la ville. En octobre 1437, Juan II ordonna que Musulmans et Juifs portent des signes distinctifs et vivent dans des quartiers séparés. Le conseil municipal fit savoir que les uns et les autres vivaient déjà dans de tels quartiers.

 

En août 1481, l’envoyé des Rois catholiques, Juan de la Hoz, se rendit à Murcia, dans la judería, afin de veiller à l’application des dispositions prises par les Cortes de Toledo, l’année précédente. Le rapport de cette visite méthodique nous permet de connaître avec une certaine précision les limites de cette judería à la fin du XVème siècle. Juan de la Hoz ordonna que des travaux soient entrepris afin de réduire plus encore la porosité entre la judería et le reste de la ville : réaménagement des portes de l’enceinte et surélévation de l’enceinte. La judería se vit si comprimée que des Juifs furent contraints de déménager, leurs maisons se retrouvant hors de ses limites. Les chrétiens propriétaires dans le quartier juif de briqueteries (adoberías) ou de moulins à huile (almazaras) furent autorisés à y circuler pour des raisons professionnelles. Suite à la visite de Juan de la Hoz, le conseil municipal rédigea une série de décrets visant à déloger les Juifs qui tenaient commerce dans la partie chrétienne de la ville. Il leur fut aussi imposé de financer les aménagements de leur quartier. Les chrétiens dont les habitations jouxtaient ou donnaient sur la judería devaient, quant à eux, les démolir. A la fin du XVème siècle, le quartier juif de Murcia se vit ainsi réduit à une centaine de familles.

 

La période la plus prospère de la communauté juive de Murcia se situerait entre le dernier tiers du XIVème siècle et la première décennie du XVème siècle. A en croire les déductions du professeur Juan Torres Fontes (établies à partir du nombre des victimes de la peste, soit 450 victimes juives sur un total de 6 088), les Juifs de Murcia auraient représenté 7,4 % de la population de la ville, soit 1 150 individus. Ce calcul est toutefois aléatoire car la population totale de Murcia aurait été non pas de 15 000 mais de 10 000/ 11 000 habitants ; suivant la même méthode de calcul, la population juive de Murcia se serait élevée à 750/850 individus. Et vers la fin du XVème siècle, peu avant l’expulsion de 1492, la judería de Murcia comptait à peine plus de 500 habitants.

 

Les souverains et les autorités municipales avaient placé les juderías sous leur protection, une protection qui impliquait une surveillance renforcée le Vendredi Saint. En effet, la commémoration de la mort du Christ mettant à vif les nerfs des chrétiens, des incidents pouvaient éclater à tout moment. Aussi, ce jour-là, la judería était-elle protégée par une garde placée sous la responsabilité de l’alguacil de la ville. Cette protection n’était pas bénévole : la communauté juive devait s’acquitter de la somme de trois cents maravédis.

 

Le cimetière juif (osario) se trouvait près de la Puerta Nueva, à côté de cultures d’irrigation (huertos) qui portaient préjudice aux sépultures. De plus, ce cimetière était non-enclot, ce qui explique les fréquentes dégradations qu’il subissait. Le conseil municipal informa qu’il condamnerait à une amende de soixante maravédis quiconque serait surpris à ne pas respecter ces lieux : en effet, il n’était pas rare que les chrétiens y laissent paître leurs bêtes, s’y débarrassent de leur fumier et autres ordures, et travaillent le lin sur les pierres tombales. Les plaintes de la communauté juive étaient fréquentes.

 

Une anecdote. Le 6 décembre 1477, deux représentants de la communauté juive de Murcia firent appel au conseil municipal. Ils avaient appris que les autorités s’étaient engagées à céder un terrain à un dénommé Francisco Pérez Beltrán, terrain qui selon ces représentants avait été cimetière juif. Le 13 décembre, le conseil municipal fit savoir que des sondages avaient été effectués, qui confirmèrent les dires de ces deux Juifs, et ledit terrain fut restitué sans plus attendre à leur communauté.

 

Il y eut deux cimetières juifs. Le nouveau fut ouvert après saturation du premier. Ils étaient très proches l’un de l’autre. On s’y rendait par le même chemin en passant par la Puerta Nueva. Ils étaient situés entre les huertos et la acequía (canal d’irrigation) de la Nelva.

 

Le royaume chrétien de Murcia constituait une zone-frontière à la frontière instable. Il jouxtait le royaume musulman de Granada. Les incursions et razzias menées par les Maures gênaient la croissance économique et démographique de ce royaume. Afin d’en stimuler la croissance économique, Juan I fit savoir par une lettre du 19 octobre 1384 que tous ceux qui s’installeraient dans les villes-frontières seraient exemptés d’impôts royaux directs pour une période de dix ans. Cette décision royale favorisa une immigration en provenance de Castille, plus encore d’Aragon (principalement d’Orihuela), et même du royaume de Granada. Afin d’accélérer ce processus, Juan I fit diffuser plus largement, en date du 11 août 1392, les dispositions énoncées le 19 octobre 1384, en insistant sur le fait que cette décision concernait non seulement les Chrétiens mais aussi les Juifs et les Musulmans.

 

La protection accordée aux Juifs par les autorités locales attira ces derniers dans le royaume de Murcia ; ils furent mieux traités que dans les autres royaumes de la Péninsule. L’immigration juive dans ce royaume ne cessa qu’en 1411, suite aux prédications de Sant Vicent Ferrer. Elle reprit dans les années 1460, probablement sous l’influence de Doña Leonor Manrique, épouse de Don Pedro Fajardo et grande protectrice des Juifs.

    

La séparation entre le quartier juif et le quartier chrétien n’était pas si stricte, ce dont témoigne une documentation de la première moitié du XVème siècle. Dans la deuxième moitié de ce même siècle, les prescriptions visant à séparer Juifs et Chrétiens se durcirent. Ainsi, le 30 octobre 1473, le conseil municipal ordonna aux Juifs demeurant dans la partie chrétienne de la ville de déménager dans les huit jours sous peine d’une amende de mille maravédis. Le 15 avril 1475, le conseil réitéra cet ordre en exigeant que les Juifs vendent à prix coûtant leurs biens immobiliers situés dans la partie chrétienne. Le 11 novembre 1477, le conseil avertit que Juifs et Chrétiens ne pouvaient acquérir un bien immobilier que dans leurs quartiers respectifs ; et que s’ils passaient outre, leurs biens seraient confisqués par la municipalité. Par ailleurs, tout Juif surpris à vivre parmi les Chrétiens devenait passible d’une amende de six cents maravédis.

 

Les violences contre la communauté juive étaient davantage le fait du peuple que du pouvoir. Les Juifs faisaient volontiers appel à la protection du roi et de la municipalité qui n’hésitaient pas à la leur accorder, généralement pour des raisons économiques. Les Juifs de Murcia furent moins inquiétés que les Juifs du reste de la Péninsule : ils faisaient office de messagers entre Chrétiens et Musulmans, le long de cette zone- frontière. Certains souverains se placèrent en défenseurs des Juifs plus spontanément que d’autres. Enrique II, pour ne citer que lui, comprit qu’un changement d’attitude envers la communauté juive pourrait favoriser sa trésorerie…

 

L’attitude conciliante des autorités municipales envers les Juifs de Murcia changea en 1411, suite aux prédications de Sant Vicent Ferrer. Effrayés par les menaces que véhiculait sa parole, nombre de Juifs se convertirent. Une fois encore, les Juifs cherchèrent la protection royale, protection que Juan II leur accorda le 8 août 1411, dans une lettre adressée aux autorités du royaume de Murcia, lettre qui fut lue sur les places publiques et sur les marchés afin que personne ne puisse prétendre l’ignorer. Le 14 mars 1412, Juan II renouvela sa protection aux Juifs de Murcia, Cartagena et autres villes du royaume, afin de les soustraire aux violences des pouvoirs locaux. En effet, ces villes se basaient sur l’ordonnance de Valladolid, dictée par sa mère, Catalina de Lancáster. Afin de remédier à une telle situation, Juan II ordonna aux conseils municipaux de se baser désormais sur les dispositions prises par son oncle, Don Fernando de Antequera, favorables aux Juifs, et que leur soit restituée la totalité de ce qui leur avait été confisqué.

 

Ainsi que je l’ai signalé, la situation des Juifs (mais aussi des Musulmans) différait à Murcia du reste du royaume de Castille. Dans cette zone-frontière toujours menacée l’autodéfense était la règle. Ainsi la communauté chrétienne fut-elle amenée à faire appel aux Juifs et aux Musulmans de cette zone-frontière, chose inconcevable dans le reste du royaume. Ainsi, le 27 avril 1457, Diego López de Puerto Carrero, corregidor de Murcia, fit savoir que, selon la volonté du roi, tous les habitants de la ville, Chrétiens, Musulmans et Juifs, possédant un patrimoine au moins égal à trente mille maravédis, devaient pourvoir à la fourniture de chevaux et d’armes. Les Juifs portèrent plainte auprès d’Enrique IV, un roi qui leur était favorable. Le 28 janvier 1460, ce roi révoqua la disposition en prétextant que les Juifs n’avaient pas l’habitude des armes et des chevaux, qu’ils devaient par ailleurs s’acquitter d’impôts spéciaux et que cette nouvelle mesure risquait de provoquer leur départ.

 

La connaissance que nous avons de l’importante communauté juive de Murcia est le fait exclusif de documents. Aucune fouille n’a été entreprise entre ce qui fut la Puerta Nueva et la Puerta de Orihuela. Il serait par exemple intéressant de fouiller cet espace libre de construction, la Plaza Sardoy, emplacement supposé de la synagogue.

 

P.S. Les lecteurs qui veulent en savoir plus sur les Juifs de Murcia pourront lire l’étude de Luis Rubio García : “Los Judíos de Murcia en la Baja Edad Media (1350-1500)” publié par Universidad de Murcia, 1992.

 

 

1 thought on “Le quartier juif de Murcia au Bas-Moyen Âge”

  1. Les « saints » opportunistes comme Vincent Ferrier ou Sant Vincent Ferrer me laissent toujours un goût très amer en bouche mon cher Olivier.

    Un document datant de 1925 écrit par xxxxxx dont le titre est « un homme d’action Vincent Ferrier » donne une idée un plus précise de ce genre de bonhomme. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4151874.image.f674

    Je dis bonhomme tout en ne désirant pas heurter ta sensibilité chrétienne, tu me comprendras.

    Je me suis longtemps posé la question depuis nos conversations sur ce dominicain ambulant qui s’il avait vécu aujourd’hui aurait remisé sa robe de bure pour faire chanteur populaire ou syndicaliste.

    Ce qui l’excitait le moine était sans aucun doute la performance en public devant des foules baveuses et souvent analphabètes. Le bas moyen-âge fut une bien mauvaise période pour l’obscurantisme. Il faut dire que le dominicain fut un fin stratège ma foi.

    Bien sûr qu’il a réussi là où d’autres ont pu échouer à faire entrer dans le cercle du christianisme mes frères depuis si longtemps disparus.

    Et pour cause ! Deux séries de peste noire avec des millions de morts a de quoi mettre sur les nerfs. Pas fou le syndicaliste papal !

    Décrit par Maxime Gorce ainsi : « un moine catalan, méconnu au point de n’être souvent considéré que comme le chef d’une bande de flagellants, fut un des hommes qui ont le plus puissamment agi sur son temps. »

    Sacré Vincent ! Une vie emplie de concerts gigantesques autour des charniers.

    Voici ce que l’auteur dit à propos du travail de Ferrier : « Intellectualiste, il sait que la force de persuasion émane de l’action propre d’un système de pensée construit à l’instar d’une forteresse ; théologien prédestiné à émouvoir les foules, il se préserve, par les sévères discipline de la logique et de la métaphysique, de la tentation d’user des moyens par lesquels l’éloquence n’est qu’une basse ruse de l’instinct physiologique. ». Comment convaincre les hommes ? Par la prédication.

    Où est la logique dans tout ça ? L’homme de bure préconise la raison en toute chose et va jouer toute sa vie sur « l’instinct » des foules afin de ramener à D.ieu ces âmes égarées, le plus souvent par la peste, la pauvreté, la famine, les guerres. Fastoche !

    Ferrier était fils de notaire. Pour « réussir » l’Eglise était la première des entreprises qu’il fallait rallier. Ce qu’il fit dès l’âge de 17 ans.

    Je vais faire court et donner le lien. Ferrier m’apparaît comme le parfait opportuniste. Comment un homme ami de Benoit XIII fut capable de le désavouer et de se rallier à Rome sinon pour continuer à faire ce qu’il aimait le plus : emballer les foules ?

    Le spectacle était au rendez-vous ; car en bon espagnol qu’il était Sant Vincent Ferrer amenait avec lui des « roadies », des moines qui représentaient son staff et ses maîtres d’oeuvre. Les témoignages de l’époque donnent des chiffres dignes de stars passant à Bercy : entre 3 000 et 10 000 personnes à chaque passage. Et puis la mise en scène ! GRANDIOSE ! Sur une estrade se tenait le moine et derrière lui un immense Christ en croix espagnol peint de couleurs violentes. Ses « flagellants » se promenant au milieu de la foule en se fouettant le torse donnait à celle-ci le goût du sacrifice.

    « MORTS LEVEZ VOUS ET VENEZ AU JUGEMENT ! » hurlait-il de sa voix de stentor.

    Évangélisation efficace.

    Cela aurait pu s’arrêter à cette « marotte » mais je pense que qu’il tentait de vider son sac d’indulgence depuis sa trahison vis à vis du Pape d’Avignon Benoit XIII. Dans la foulée, il faisait ce qu’il aimait le plus : foutre la trouille à ceux qui venaient l’écouter en grand nombre et faire abjurer les juifs de leur foi. Il a bien réussi.

    La manipulation de l’esprit, la relégation constante des juifs dans la dhimitude ou dans des ghettos, ah mon ami…que de cruauté à l’égard de mon peuple.

    Je ne sais pas si je devrais le dire, ce n’est peut-être pas très casher mais parfois il m’arrive de trouver bien pire la manipulation de l’esprit poussant à l’abandon du judaïsme, que les morts par pogromes ou tueries habituelles de ces braves chrétiens poussés dans la haine des juifs par leurs curés.

    Je ne devrais pas penser comme ça. La vie doit l’emporter. Toutefois, non seulement il m’arrive de penser à cette ènième forme d’injustice qui eut des répercussions terribles dans les évènements proches de ces conversions. Comment ne pas imaginer le pire des systèmes mis en place par l’Église qui après les conversions employait les nouveaux chrétiens dans la sale besogne consistant à éliminer leurs frères d’avant ? Oh ! Peut-être pas tout de suite bien sûr…disons une génération suivante ?

    Ne peut-on au regard justement de ce que l’Église – en fait toutes les églises – se demander la part de folie réelle que le christianisme avait développé pour vouloir à tout prix éradiquer le « peuple témoin » . Pourquoi ? Sinon parce que confusément et durant 15 siècles, ces penseurs ecclésiastiques voyaient en nous, pourtant parias, honnis, soumis à la vindicte, des hommes vraiment libres n’obéissant qu’à la loi « révolutionnaire » que représentait et représente encore aujourd’hui, la Tora ?

    Désolée si je me suis prise au jeu. Ferrer est un exemple. Les « saints » m’ont toujours amusé ou plutôt, soyons sincère jusqu’au bout : mise en colère.

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