Skip to content

Quelques considérations économiques – 2/6

Le phénomène Thomas Piketty est fort intéressant. Ce n’est pas tant ce qu’il dit qui me retient mais le phénomène mode, en France surtout où la mode est sacrée, ce qui ne me gêne guère lorsqu’il s’agit de vêtements, ce qui me gêne plus lorsqu’il s’agit d’idées, car la mode est le conformisme du moment, elle permet aux paresseux et aux couards de se glisser dans le gros de la troupe et, ainsi, de s’éviter tout effort et s’épargner les coups, tout en se déclarant porteurs de l’excellence.

Thomas Piketty, l’économiste-fonctionnaire est devenu chroniqueur au quotidien Le Monde, journal qui vit de l’impôt dans la mesure où ses caisses sont régulièrement renflouées par l’État. C’est un homme peu inspiré, un comptable et rien de plus mais qui n’a pas l’utilité d’un vrai comptable. Mon jugement n’est en rien dicté par des considérations d’ordre idéologique mais par l’ennui qu’a suscité en moi son livre, « Le capital au XXIe siècle », et dès les premières pages, un ennui tel que je n’ai pu aller plus loin. Outre le manque d’inspiration (un économiste doit aussi être un philosophe), j’ai pressenti que ce fatras de chiffres servait avant tout à justifier des convictions politiques, que ce fatras avait été soigneusement électionné afin de ne pas contredire une orientation. Cette avalanche de chiffres est d’abord destinée à enfouir le contradicteur, à l’étouffer, à le décourager. Thomas Piketty est à l’économie ce que François Hollande est à la politique, un fonctionnaire dans le sens péjoratif du mot – j’insiste car je ne suis pas de ceux qui considèrent le fonctionnaire comme une personne a priori méprisable, bien au contraire.

Thomas Piketty veut s’imposer et en imposer, pour ce faire il lui faut trouver une idée qui en impose, une idée étayée par des cataractes de chiffres qui vont dans le sens de cette idée. La documentation de Thomas Piketty est donc sélectionnée afin de ne jamais contrarier l’idée-force qui est : « Le revenu du capital croît plus vite que le revenu national ». En conséquence, haro sur « les riches », une catégorie qu’on définira arbitrairement car on est toujours à la fois le riche de l’un et le pauvre de l’autre ; autrement dit, la notion de riche est d’une absolue relativité. Pour Thomas Piketty (comme pour François Hollande, son ami) le riche est celui qui est plus riche que lui. C’est ainsi, chez les socialistes on trouve un mélange d’idéalisme et de jalousie, l’idéalisme servant volontiers de paravent à la jalousie.

Je me suis donc contenté de lire des résumés du livre de Thomas Piketty, à commencer par celui publié sur Challenges, « “Le capital au XXIe siècle” : faites comme si vous aviez lu le best-seller de Piketty » :

https://www.challenges.fr/economie/le-capital-au-xxie-siecle-ce-qu-il-faut-retenir_17908

Ce livre est un succès commercial qui a bénéficié d’importants soutiens. Pourtant, il me semble que ce n’est qu’un phénomène très passager et qu’on ne parlera plus guère de cette « Bible » dans quelque temps. Déjà parce que les montagnes de chiffres découragent et que les mémoires ont vite fait de les contourner. Mais, surtout, ce livre est un livre de tâcheron, peu inspiré, rien à voir avec les grands économistes qui possédaient un style et imprimaient un élan durable. La vision qu’a Thomas Piketty du monde est celle d’un homme de dossiers, d’un petit-bourgeois calé dans le confort de son bureau et à l’abri des intempéries. Il y a un côté rond-de-cuir et courtelinesque chez ce bonhomme au physique enveloppé (comme celui de François Hollande) à qui on aimerait conseiller un peu d’exercice et une alimentation moins sucrée et moins grasse.

J’en reviens à son livre et aux comptes-rendus que j’ai pu en lire – et il n’est pas dans mon habitude d’abandonner un livre en cours de lecture.

Donc, si la rentabilité du capital dépasse la croissance sur une longue période, la part des riches s’accroît au point que logiquement il ne reste rien pour les autres. Or, l’enrichissement moyen est soutenu depuis plusieurs générations. A ce propos, il faudrait relire le livre probablement le plus lu et le plus traduit de José Ortega y Gasset, « La rebelión de las masas », écrit dans l’entre-deux-guerres et dont je pourrais rapporter certains passages qui restent résolument actuels et qui démentiraient Thomas Piketty, opposant ainsi un inspiré à un tâcheron.

Jean Fourastié (un économiste connu du grand public pour avoir été le père de l’expression les « Trente Glorieuses ») rend compte d’une diminution marquée des inégalités. Ce qui faisait le lustre des familles de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie se transmet très difficilement ou ne se transmet pas ; mais, surtout, le prix des produits courants n’a cessé de baisser. Il fallait un mois de salaire il n’y a pas si longtemps pour acheter un téléviseur ou un réfrigérateur, et la part de l’alimentation dans le budget d’une famille moyenne était beaucoup plus élevé il n’y a pas si longtemps. Jean Fourastié a suivi sur le long terme les prix exprimés en salaires d’un très grand nombre de biens, et je me souviens que notre professeur d’économie nous détailla ce point. Ma mémoire en garde un souvenir très précis et j’ai multiplié les lectures à partir de ses exposés.

Thomas Piketty ne va pas dans ce sens et il ne signale pas pourquoi ni comment. Il aligne des chiffres et encore des chiffres au point que ç’en devient suspect. On croule sous les détails sans jamais percevoir la structure de l’édifice. Et il me semble que c’est précisément parce qu’il est incapable de travailler à une ample et solide structure (comme Jean Fourastié, pour ne citer que lui) que Thomas Piketty me navre. Thomas Piketty n’est pas un architecte, il ne fait qu’empiler des matériaux dans un vaste entrepôt. Thomas Piketty n’est pas un constructeur, il n’est qu’un manutentionnaire.

On cherche donc la structure en s’efforçant à partir de ce que nous sert Thomas Piketty de comprendre pourquoi les observations de Jean Fourastié sur cette question ne seraient plus valables aujourd’hui. On passe donc du structurel au conjoncturel en espérant trouver une explication à cet éventuel changement.

De nombreux spécialistes travaillant dans diverses disciplines ont analysé les statistiques avancées par Thomas Piketty. Certains de leurs travaux ont été regroupés dans un ouvrage international et collectif sous le titre « Anti-Piketty, vive le capital au XXIe siècle ». Je n’en ai lu que des comptes-rendus. Leurs critiques pointent en particulier une mauvaise prise en compte des différences fiscales d’un pays à un autre (elles sont nombreuses et considérables y compris au sein d’un même pays, et je pourrais prendre le cas des États-Unis ou de l’Espagne pour ne citer qu’eux) et plus encore de la redistribution. Ils rapportent également que Thomas Piketty, l’homme des chiffres, choisit ceux qui lui conviennent afin de pouvoir établir les conclusions qui lui conviennent, ce qui est le propre de l’idéologue. Thomas Piketty, poursuivent-ils, ajuste ses données à son raisonnement, ce qui traduit un enfermement de la pensée. Un chercheur digne de ce nom agirait plutôt à l’inverse me semble-t-il.

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*