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Notes de lecture (économie) – 3/14

 

Tableau V – Murray Rothbard, un penseur des plus stimulants comme l’est Ayn Rand. Murray Rothbard s’inspire de l’École autrichienne d’économie dont il est membre de la branche rationaliste. Autrement dit, les lois de l’économie peuvent être déduites par l’observation de la nature humaine ou d’un axiome. Le vecteur de la pensée de Murray Rothbard : l’individualisme méthodologique.

Murray Rothbard est le seul (avec Ludwig von Mises) à avoir proposé une théorie économique à l’École autrichienne d’économie dans « Man, Economy, and State with Power and Market » que cette école reconnaît comme un ouvrage de référence. A son œuvre économique Murray Rothbard associe un activisme politique qui conduit avec « The Ethics of Liberty » à une vaste théorie sociale libertarienne unifiée.

Parmi les nombreux apports de Murray Rothbard : une théorie de l’État. Il se base sur la définition de l’État selon laquelle il s’agit d’une organisation dont les revenus proviennent de la contrainte (voir la fiscalité) et qui a le monopole du pouvoir et de la force sur un territoire donné. Les agents de l’administration bénéficient de la taxation car ils ne l’imposeraient pas dans le cas contraire. Autrement dit, et ainsi que je le rappelle quand l’occasion m’en est donnée : l’État n’est pas au service de tous, il est exclusivement ou d’abord au service de lui-même, il est une gigantesque et implacable machine exclusivement ou en priorité occupée à se nourrir. Et qu’est-ce qu’elle avale ! Fait curieux, mais pas tant, plus elle avale plus elle excite son appétit, vérifiant ainsi le vieil adage : L’appétit vient en mangeant. Si les citoyens (les contribuables) étaient vraiment bénéficiaires des impôts, ils les payeraient volontairement, avec un certain empressement voire un empressement certain. Quoi qu’il en soit, le citoyen préférerait avoir le contrôle exclusif de ses impôts. Aucun acte d’expropriation ne créée d’utilité sociale, aucun ! Ce constat nous amène dans une suite logique à envisager voire à réclamer l’abolition de l’État.

 

Murray Rothbard (1926-1995)

 

Cette abolition doit être radicale car l’État, contrairement à ce qu’envisagent certains anarcho-capitalistes, ne peut être limité dans la mesure où cette limitation, aussi rigoureuse soit-elle, signifierait une contradiction : l’État ne peut être à la fois protecteur de la propriété (privée) et expropriateur de la propriété (privée). Afin d’en finir avec cette contradiction, Murray Rothbard repousse les demi-mesures, tout simplement. Il est le premier depuis Gustave de Molinari à réclamer que les fonctions régaliennes de l’État soient elles aussi proposées à la concurrence, une concurrence aussi ouverte que possible. Pour Murray Rothbard, le public pourrait retirer autant d’avantages de cette privatisation que de n’importe quel autre secteur de l’économie.

Murray Rothbard a également reformulé la théorie du monopole. La concurrence correspond à un libre accès à un marché tandis qu’une économie monopolistique verrouille tout accès au marché qui devient un privilège exclusif de l’État. La situation de monopole est calquée sur le monopole territorial, une aire contrôlée par un État. Mais ce qui me passionne chez Murray Rothbard, c’est l’aspect pluridisciplinaire de ses travaux. Il ne se limite pas à l’économie et peut être également considéré comme un philosophe – ce que tous les authentiques économistes sont aussi ; et par « authentiques économistes » j’entends ceux qui ne sont pas de simples techniciens affairés dans les chiffres et les graphiques, ceux dont le regard est ample et non pas limité par des empilements de dossiers, genre Thomas Piketty, un simple tâcheron. Murray Rothbard, philosophe mais aussi historien. Il réactive des doctrines du droit naturel par son intérêt pour John Locke, ce qui est notable dans « The Ethics of Liberty ».

 

Tableau VI – L’État est devenu un phénomène parfaitement mondial ; aucune portion des terres émergées ne lui échappe ; même les espaces maritimes lui appartiennent, ce que la question de la pêche suite au Brexit nous a remis en mémoire. L’État s’est tellement mis dans notre quotidien que nous ne nous interrogeons plus guère à son sujet. Et pourtant…

Murray Rothbard dans « Anatomy of the State » répond à des questions que nous ne nous posons plus tellement l’air que nous respirons est… étatisé. L’État cherche à s’identifier à la société, à un ensemble d’individus. On se souvient de « L’État, c’est moi », si volontiers cité, formule que Louis XIV aurait prononcée devant les parlementaires parisiens, en 1655. Mais il y a une formule moins brutale, insidieuse, terriblement insidieuse, si insidieuse, si doucereuse que personne n’y prête garde et s’endort, heureux : « L’État, c’est nous ». Ce pourrait être le titre d’une berceuse destinée précisément à endormir le citoyen. « L’État, c’est nous », sous-entendu : « L’État, c’est (aussi) moi ». Mais l’État n’est ni moi, ni toi, ni nous, l’État n’est qu’une organisation qui s’emploie à conserver un monopole de l’usage de la force et de la violence sur un territoire précis. Par ailleurs, cette organisation, phénomène unique, tire ses revenus non pas de contributions volontaires ou de rémunérations pour services rendus, mais de la coercition.

Et comment l’État s’enrichit-il ? On ne peut s’enrichir que de deux manières : par le système production / échange ou par la prédation, la prédation qui suppose une production préalable ; on ne s’empare pas de rien. L’État est un prédateur (sur un territoire strictement défini), un prédateur systématique et parfaitement organisé. Il ne produit rien et vole légalement puisque c’est lui qui fait la loi. Il nourrit une classe parasitaire qui place entre elle et le reste de la société qui la nourrit suffisamment de jeux de miroirs pour qu’elle puisse se dissimuler et se faire oublier en tant que telle, une classe parasitaire, un prédateur systématique et parfaitement organisé.

Pour obtenir l’acceptation des citoyens (acceptation diversement active et diversement passive), il faut que ces jeux de miroirs construisent des images qui les convainquent. L’État est sage et sait ce qui est bon pour les autres ; il se dévoue pour le bien de tous et lutte contre l’avidité et l’égoïsme (il défend la veuve, l’orphelin et j’en passe) ; il est légitime, etc. L’État conspue la critique indépendante et s’emploie à culpabiliser autant qu’il le peut celui qui s’y adonne, et à cet effet il appelle la collectivité à la gronder. L’État sait qu’il peut compter sur la grégarité. Rien ne résiste à un troupeau qui par sa seule masse mise en mouvement emporte tout dans un immense piétinement.

Bref, le citoyen qui considère avec méfiance et défiance l’État, y compris le plus démocratique, est un égoïste. Et qu’est-ce qu’un égoïste ? Un égoïste… un homme qui ne pense pas à moi, pour reprendre la profonde remarque d’Eugène Labiche, remarque digne d’un grand moraliste du XVIIIe siècle français. J’en ai connu de ces citoyens qui regardaient avec hostilité celui qui se méfiait et se défiait de l’État, comme si l’État c’était aussi eux et qu’en tentant de m’en éloigner je leur retirais un peu de pain de la bouche. La propagande étatique, et surtout en démocratie, fait des ravages si insidieusement et si doucereusement que tous les arguments visant à la dénoncer sont retournés contre vous. On vous conseille même de garder le lit ou de consulter. L’État est sans cesse libre de bouger les frontières de la coercition. La constitution qui dessine les limites de l’État peut être redessinée à volonté puisque l’État est juge et partie.

Les guerres modernes n’ont fait qu’accroître l’emprise des États sur les sociétés belligérantes. De ce point de vue, les deux guerres mondiales ont été déterminantes. Elles ont accéléré un processus bien engagé. L’État est devenu une maladie virulente. Quel traitement pourrait le stabiliser puis le faire régresser et, enfin, l’éradiquer ?

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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