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Nostalgie narcissique

 

Je tiens à préciser que ce texte m’a été envoyé par un ami, psychiatre et psychanalyste, qui se surnomme « Dov Kravi ». 

 

L’indifférenciation est devenue le but ultime des forcenés de l’égalitude.

En affreux réactionnaire, je me gausse régulièrement de ces théories en vogue dans la postmodernité que sont théorie du genre et antispécisme. Ces toquades ont comme point commun leur souci d’effacer toute différence, que ce soit entre les sexes, les générations, les individus, les espèces, et last but not least, les civilisations.

Dans son acception commune, l’adjectif ‘narcissique’ est péjoratif, qui s’applique à une personne s’admirant elle-même de façon exagérée et ayant par surcroît tendance à considérer les autres comme inférieurs, voire négligeables  — bien entendu, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.

Du point de vue psychanalytique, le narcissisme est une instance psychique dont l’étude permet de mieux appréhender nos fonctionnements. Quel est le lien entre le narcissisme et ces égarements à la mode, à la base desquels on trouve idées délirantes et manipulations perverses ?

Essayons de nous représenter ce que peut être la vie fœtale. Le fœtus flotte dans son milieu amniotique, à l’abri dans une pénombre accueillante et douillette qui le préserve de toute excitation venue de l’extérieur.

Il ne ressent aucun besoin : ni soif, ni faim (sa nourriture est apportée par le cordon ombilical), ni nécessité d’excrétion (son métabolisme est régulé de façon autonome par l’organisme de sa mère).

Aucun conflit, ni en lui-même ni avec autrui, puisqu’autrui n’existe pas, ni le monde extérieur, pas même sa mère — ce qui est en partie inexact : sa mère existe en lui comme il existe en sa mère, mais sans qu’il y ait deux individus distincts. Ils ne font, ils ne sont qu’un.

 

“Le beau Narcisse”, une lithographie de 1842 d’Honoré Daumier extraite de la série “Histoire Ancienne”.

 

Quand bien même il serait apte à penser, il n’est pas torturé par l’idée du temps qui passe : il est dans l’atemporalité, qui lui permet l’immortalité.

Ainsi, le fœtus, parasite royal, ne connaît ni conflits, ni besoins, ni désirs. Il est dans une complétude parfaite. Aucune réalité ne peut menacer la félicitée prénatale. « Le narcissisme est présent dès l’origine de la vie et restera dans le sujet jusqu’à la fin. » (Béla Grunberger). Le fœtus dans son univers utérin avec lequel il se confond vit en autarcie, tel dieu à l’abri des désagréments de la conflictualité.

Mais un jour, tout se gâte : il faut bien que le fœtus naisse. Comme chacun sait, tant qu’on n’est pas né, on n’est pas au monde. Après la naissance, les perturbations apparaissent, avec l’imposition de la réalité extérieure et l’émergence des composantes pulsionnelles. C’est la chute, telle que la décrit la genèse : Adam et Ève sont chassés du paradis terrestre et pénètrent dans un monde — le nôtre — rempli de dangers, de conflits, de traumatismes, de pertes, d’échecs, de deuils, de maladies et de mort. La fête est finie, les humains doivent à présent « gagner leur pain à la sueur de leur front. »

Lorsque ce foetus, devenu adulte, projettera son narcissisme sur une figure divine, on retrouvera alors dans cette projection cet état d’unicité, de souveraineté et d’omnipotence. Les empreintes, les traces de cette cœnesthésie[1] sont suffisamment marquées pour donner naissance à des fantasmes issus de la félicité amniotique : l’éternité, la divinité, la béatitude totale, l’omnipotence, la pureté absolue, toutes notions érigées en un idéal de grandeur sans limite qui imprègne la vie humaine de son alpha à son oméga[2].

Le seul défaut de ce monde merveilleux est qu’il n’existe pas, sinon dans l’interprétation a posteriori des traces de la cœnesthésie prénatale. L’époque élationnelle ne peut évidemment déclencher aucun souvenir, mais on peut retrouver les indices de son enregistrement dans les différentes créations humaines telles que les religions, les mythes, le folklore, les contes, toutes productions qui évoquent la nostalgie d’un paradis perdu.

Certains garderont la nostalgie de cet « autre monde » parfait, avec un sentiment de révolte indignée d’en avoir été chassés : « Comment a-t-on osé me faire cela, à moi ? » Ils conserveront toujours ce regret de la perfection, de la félicité et de la pureté.

C’est ainsi que l’indifférenciation est devenue le but ultime des forcenés de l’égalitude. Ces nostalgiques refusent les limites, les conflits, la temporalité, l’altérité. Il ne doit plus y avoir de dissemblance, d’opposition et partant, plus de conflits. Car les conflits, c’est comme la guerre, c’est très méchant.

L’omnipotence narcissique est menacée par nos limites, celles que nous imposent nos manques, nos échecs, nos pertes, nos deuils, tous aléas dont la vie n’est point avare. Il convient donc de les nier, à commencer par les différences entre les sexes, ce qui éliminera la domination masculine. On niera aussi les différences de générations, symbole de l’autorité (forcément oppressive). Du coup, voici la temporalité évacuée comme par magie.

Les gourous de ces théories[3] sont de véritables pervers et/ou délirants selon lesquels le sexe n’existe pas plus que le corps biologique, la zoophilie est l’avenir de l’homme, l’infanticide pourrait parfois se révéler éthique, l’inceste est licite, la pédophilie n’est qu’un comportement sexuel comme un autre et l’assassinat serait justifié dès lors qu’il pourrait favoriser les transplantations.

« Que ces interdits universels et fondateurs soient les conditions même de l’existence de sociétés humaines élargies ne traverse pas un instant [leur] esprit. »[4]

Le plus atterrant est que ces énergumènes, loin d’être poursuivis voire internés, sont autorisés à diffuser leurs délirantes productions et à propager leurs lubies dans les chaires de « bioéthique » (!) des plus grandes universités, autrefois appelées « temples du savoir ».

Comment en sommes-nous arrivés là ? Et question corollaire, est-il encore possible, en ces temps de confusion indescriptible, que pensée magique, inepties immorales et modes délétères soient défaites par la raison et l’éthique ?

 

______________

(1) Impression générale résultant de l’ensemble des sensations corporelles.

(2) Cette référence à Teilhard de Chardin n’est évidemment pas fortuite.

(3) Pour ne citer que les plus médiatiques : John Money (et son Lyssenkisme meurtrier), Anne Fausto-Sterling (qui veut en finir avec la biologie « viriliste »), Judith Butler (pour qui le sexe n’existe pas plus que le corps), Peter Singer (qui n’hésite pas à se présenter lui-même comme « le philosophe vivant le plus influent ». (mais pourquoi se limiter aux vivants ?) et sa zoophilie éthique, etc.

(4) Jean-François Braunstein : La philosophie devenu folle. Le genre, l’animal, la mort (Grasset) p.60

Dov Kravi

 

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