Maïmonide dit dans son grand livre, le « Mishneh Torah », que le roi-Messie adviendra et restaurera la souveraineté politique d’Israël telle qu’elle était au temps des Hébreux. La royauté de David à laquelle fait allusion Maïmonide, transposée dans notre temps, c’est la souveraineté politique du peuple d’Israël sur la terre d’Israël.
Maïmonide nous avertit que la restauration messianique a des étapes. La première, le rétablissement de la souveraineté politique juive sur la terre d’Israël. La deuxième, la reconstruction du Temple. Rappelons que l’espérance de Maïmonide s’inscrit dans un contexte historique précis, soit un peu avant l’Inquisition, lorsque la symbiose entre le peuple d’Israël et les nations du monde est effective au sein de la culture espagnole, une espérance qui sera démentie, en particulier parce que les Juifs d’Espagne (hormis quelques familles) préféreront partir dans toutes les directions plutôt que vers Eretz Israël.
La grande richesse de l’Âge d’or espagnol témoigne de la symbiose du peuple juif – d’Israël – avec la civilisation d’alors, une symbiose qui laissait entrevoir que le peuple d’Israël devait se décider à clore le temps de l’exil et revenir en Israël, enrichi de l’expérience de sa relation avec la civilisation universelle d’alors, de telle sorte que le projet de l’histoire d’Israël, selon la Bible, puisse se réaliser. Mais les Juifs séfarades référèrent féconder le reste du monde plutôt que de revenir à Jérusalem. Maïmonide et les rabbins ont pris note que ce temps aurait pu être messianique, soit marquer la fin de l’exil ; mais le peuple juif n’était pas décidé.
Maïmonide poursuit : « et il rassembla les exilés d’Israël ». Mais alors, si le roi-Messie doit restaurer la souveraineté politique juive sur Israël et reconstruire le Temple, et après seulement rassembler les exilés, avec qui va-t-il accomplir cette œuvre ?
Nous en venons aux nidahim, ceux des dix tribus perdues du royaume d’Israël, le royaume du Nord, et qui sont partout. Ils sont de la maison de Joseph, des femmes et des hommes qui dans le monde entier ont des souvenirs de l’identité hébraïque, des souvenirs plus enfouis que ceux des Juifs qui se reconnaissent ouvertement et sont reconnus comme tels, soit les descendants du royaume de Juda, les golim (ceux de l’exil, galout).
Les nidahim. Il ne s’agit pas de marranes, des convertis de force ou des assimilés d’Espagne ou du Portugal, mais de descendants des dix des douze tribus d’Israël qui ont été déportés et se sont très vite fondus dans des civilisations du temps de Babylone, avant le temps de Rome donc. Or, depuis les travaux du deuxième président de l’État d’Israël, Yitzhak Ben-Zvi (président de 1952 à 1963), de nombreuses équipes d’ethnologues israéliens ont retrouvé en Afghanistan, au Pakistan et en Inde, trente à trente-cinq millions de personnes de rite musulman (sunnite, chiite et soufis) qui conservent des traditions hébraïques. Nous savons par les textes de la Mishnah et du midrash que les dix tribus perdues se trouvaient dans ces régions.
Lorsque le mot golim est employé, c’est en référence aux descendants du royaume de Juda. Les nidahim sont les membres des dix tribus du Nord du royaume d’Israël qui s’est séparé du royaume de Juda après le schisme qui suivit le règne du roi Salomon. Le Messie – le roi-Messie – qu’évoque Maïmonide est un Juif qui restaurera la souveraineté de Juda sur Israël, reconstruira le Temple, ramènera les exilés du royaume du Nord – les dix tribus perdues, les nidahim.
Maïmonide poursuit : « et tous les principes de jugement, les lois, la Constitution de l’État reviendront en son temps », celui du Messie, ce qui signifie que la Torah sera la Constitution de cet État d’Israël reconstruit « comme c’était avant ». Avant ? Mais quand ? Maïmonide ne donne pas de précision, et d’abord parce que pour les Hébreux avant c’est encore avant.
« On offrira des sacrifices ». Des sacrifices ? Qorban en hébreu, ne désigne pas la destruction d’êtres vivants ou de biens en vue d’obtenir un pardon mais une approche de sainteté symbolisée par l’offrande de prélèvement sur la récolte avant qu’elle ne soit commercialisée, la récolte qui fait vivre l’homme mais qui par le circuit économique de la plus-value (pour reprendre un langage marxiste) fait que le pain est grevé de fautes. Les sacrifices dans le Temple correspondent au repas du grand prêtre, des repas parfaits car n’ayant subi aucune commercialisation. La sainteté c’est manger, car manger est indispensable à la vie, mais manger une nourriture qui n’a pas connu la faute. Tel est le sens des sacrifices de la Bible qu’évoque Maïmonide. Ils se détournent et radicalement des sacrifices tels que les envisagent les païens et les idolâtres. Le Temple où devait se consommer ces aliments sans faute a été détruit parce que pour la société hébraïque d’alors ces repas ne signifiaient plus rien.
Le programme messianique de Maïmonide se résume ainsi, redisons-le : souveraineté juive en Eretz Israël ; reconstruction du Temple ; retour des exilés ; les lois de la Bible et de la Torah sont la Constitution de la société. Alors, on pourra manger le repas du sacrifice.
« Et on pratiquera la shemitah, l’année sabbatique du repos de la terre et l’année du jubilé », pour une société vraiment humaine. Et, nous dit Maïmonide, les Hébreux doivent y croire même dans les temps les moins propices à la réalisation de cette utopie. Mais lorsque l’horizon se dégage et que les temps se montrent plus propices, il faut non seulement croire mais œuvrer sans plus attendre.
Maïmonide rappelle que ce ne sont pas les prophètes qui ont parlé les premiers du Messie, la Torah en a parlé avant eux, la Torah qui a été donnée avant le commencement de l’histoire d’Israël comme nation. Les Juifs sont habitués à penser que l’espérance messianique n’est venue qu’après le temps de l’exil. Maïmonide, lui, parle du chef politique que la Torah prévoit pour Israël dès le commencement de son histoire. C’est pourquoi celui qui ne croit pas en la possibilité d’un roi messianique est renégat non seulement de la foi des prophètes mais aussi de la Torah.
PS. Je publierai entre décembre 2020 et janvier 2021, deux fois sept articles sur Maïmonide que je tiens en réserve.
Olivier Ypsilantis