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En lisant « Les martyrocrates » de Gilles-William Goldnadel – 1/2

 

Je présente ces notes prises au cours de la lecture du livre de Gilles-William Goldnadel, « Les martyrocrates », sous-titré « Dérives et impostures de l’idéologie victimaire », paru en 2004. Je conseille la lecture de ce livre ainsi que celle d’un autre livre du même auteur, « Le nouveau bréviaire de la haine », sous-titré « Antisémitisme & antisionisme », paru en 2001. Ces deux livres se répondent.

Le livre de Gilles-William Goldnadel, « Les martyrocrates. Dérives et impostures de l’idéologie victimaire », porte sur la dérive progressiste post-shoah. Cette dérive, ainsi qu’il l’expose, porte sur l’ensemble des comportements de nos sociétés occidentales, la française plus particulièrement, avec la justice (Gilles-William Goldnadel est avocat pénaliste et président d’Avocats sans frontières), la presse, les ONG, l’affaire du sang contaminé et j’en passe. Je me suis limité à prendre des notes sur les parties qui traitent plus spécifiquement de l’antisémitisme-antisionisme.

 

Gilles-William Goldnadel (né en 1954)

 

L’idéologie victimaire se porte bien, se porte de mieux en mieux – mais jusqu’à quand ? Cette frénésie m’intéresse depuis des années. J’ai commencé à m’intéresser à elle par le biais de la question palestinienne, de la Nakba (!?) et tout un tralala très complaisamment relayé par les médias de masse affairés à mettre leur nez dans les affaires d’Israël – hier, dans celles du Juif.

Martyrocrate est un néologisme élaboré par Gilles-William Goldnadel qui ouvre son livre sur ces mots : « Si j’ai forgé le mot martyrocrate, je n’ai pas inventé la chose ».

Ci-joint donc, quelques notes de lecture à l’occasion augmentées d’une remarque personnelle :

De la détestation de l’État-nation européen et, plus généralement, occidental suite aux révélations sur les camps nazis, sur la destruction des Juifs d’Europe plus particulièrement. Lire « Le nouveau bréviaire de la haine » de Gilles-William Goldnadel, un titre qui fait allusion au « Bréviaire de la haine : le IIIe Reich et les Juifs » de Léon Poliakov dans lequel est exposé de caractère spécifique de la Shoah. De la détestation de l’État-nation européen et, plus généralement, occidental à la détestation de l’État d’Israël, détestation qu’active par ailleurs un antisémitisme relooké. « Le nouveau bréviaire de la haine » et « The Holocaust in American Life » de Peter Novick se recoupent sur de nombreux points. Voir le livre du Juif révisionniste américain, Norman Finkelstein, « The Holocaust Industry », proche des thèses de Roger Garaudy.

La prise de conscience massive par l’Occident de l’ampleur et de la spécificité de la Shoah a été en grande partie déclenchée par le procès d’Adolf Eichmann, en 1961, avec des juges juifs, dans un État juif, avec l’assistance de témoins juifs qui condamnent au nom du peuple juif.

1967, la guerre des Six Jours, une guerre qui remise l’image du Juif veule ou tire-au-flanc et qui a cours des deux côtés de l’Atlantique. A partir de ce moment, les témoignages des survivants vont se multiplier, des créateurs juifs (écrivains et cinéastes) d’Europe et des États-Unis vont se raconter et raconter. Il fallait cette victoire fulgurante et massive pour que le Juif n’apparaisse plus uniquement comme une victime passive. C’est donc une vingtaine d’années après la libération des camps que la Shoah commence à occuper un espace médiatique conséquent qui s’amplifie dans les années 1980 et 1990.

En consultant la bibliographie et la filmographie sur la Shoah, on constate que 90 % de la production date d’après 1970. A l’origine de ce phénomène, aux États-Unis : les Juifs américains et leurs organisations. Le support privilégié : la production cinématographique télévisuelle. En Europe, à commencer par la France, ce ne sont pas les sionistes qui se sont emparés de la Shoah à des fins politiques, loin s’en faut, mais des organisations se présentant comme « antiracistes » de la gauche laïque, juives ou non, ainsi que des associations de déportés et de résistants volontiers communistes ou sympathisantes. Haro sur l’extrême-droite présentée comme l’héritière directe du racisme génocidaire. Lire l’article de Gilles-William Goldnadel publié dans le numéro de Libération du 30 janvier 1998, « Juif du réel et Juif du virtuel », où l’auteur fait observer que la trop grande focalisation sur le passé (c’était à l’époque du procès Papon) pouvait faire oublier certains dangers bien présents.

Les cultures chrétienne et musulmane sont d’essence martyrologique et doloriste, la culture chrétienne surtout, avec le Crucifié. Et puis il y a ces nombreux passages des Évangiles où la sanctification passe presqu’obligatoirement par le sacrifice et la souffrance. La tradition révolutionnaire promeut elle aussi le culte des martyrs, version laïque. Che Guevara comme figure christique, etc. Le Talmud quant à lui prescrit plus de retenue. Ainsi, par exemple, le riche n’a pas à être jugé défavorablement parce que riche et le pauvre n’a pas à être jugé favorablement parce que pauvre. Il faut enjamber ces a priori. Les rabbins ne sanctifient pas la souffrance ; ils ne la jugent en rien rédemptrice comme elle l’est trop souvent dans le christianisme et l’islam. Job refuse de plier et interpelle Dieu, et sèchement. Il y a dans le christianisme un certain narcissisme et je crois même y déceler, par moments, des tendances masochistes, ce qui ne donne jamais rien de très bon.

Vers la fin des années 1960 donc, les chrétiens se détachent de l’accusation de déicide. La souffrance des Juifs les place à côté du Crucifié. « L’enseignement du mépris » ne fait plus tant d’émules. Jean XXIII réunit concile Vatican II destiné à en finir avec une accusation presque deux fois millénaire. Par ailleurs, la refondation de l’État d’Israël transforme l’image du Juif et dynamite le stéréotype du Juif errant dont on connaît l’origine.

A partir des années 1970, on se met à insister sur la judéité de Jésus-Christ. A ce propos, je me souviens que dans « Journal 1951-1975 », Maxime Alexandre rapporte que les nombreux chrétiens qu’il fréquente pensent que Jésus était chrétien… Le chrétien s’émeut devant le Juif dépossédé de tout, décharné, humilié, abandonné, menacé par un pouvoir formidable botté et casqué. Mais cette douce inclinaison va être contrariée et l’antisémitisme va se ravigoter et s’habiller de neuf pour un nouveau numéro suite aux « insolentes » victoires d’Israël contre de puissantes coalitions arabes.

Mai 68 est un moment essentiel dans l’histoire de la martyrocratie en Europe et son système martyrocratique. Ce moment fait suite en importance au procès d’Adolf Eichmann et à la guerre des Six Jours. Et des choses vont se mettre à empuanter l’air. Le 27 novembre 1967, le général de Gaulle au cours d’une conférence de presse tient d’étranges propos suite à cette guerre. Par ailleurs, la jeunesse française commence à prendre conscience de l’ampleur de la Shoah (qui n’est pas encore désignée de la sorte), de la Collaboration, des compromissions de l’État français avec l’Occupant. Cette prise de conscience va de fil en aiguille conduire à la dénonciation et au rejet de l’« État bourgeois » (l’État démocratique), de l’État-nation.

Les organisations néo-trotskystes, très présentes, « utilisent délibérément l’esprit martyrocratique pour remplacer le défunt prolétariat ouvrier par un nouveau prolétariat composé de toutes les minorités souffrantes, tout en délégitimant les institutions étatiques nationales ». L’un des textes matriciels (tant d’un point de vue psychologique que politique) de l’esprit gauchisant des années 1970 s’intitule « Auschwitz ou le grand alibi » d’Amadeo Bordiga, fondateur du Parti communiste italien. Je vous invite à lire très attentivement ce document, si vous ne l’avez pas lu, et à visiter les sites et blogs de l’ultragauche qui le promeuvent.

Cette critique de l’État-nation (bourgeois et démocratique) va se condenser dans un slogan qui s’accapare la Shoah : « CRS = SS ! » L’État bourgeois est déclaré fascisant, hypocritement fascisant. Et puis il y a cet autre slogan : « Nous sommes tous des Juifs allemands ! », un slogan qui va bien au-delà de la solidarité envers un camarade (Daniel Cohn Bendit) interdit de séjour en France. Ce sont des gens de gauche qui ont évoqué publiquement et bruyamment, au cours d’une importante manifestation (le 24 mai 1968), ses origines juives. Une nouvelle martyrologie se met en place : le CRS est un SS et Daniel Cohn Bendit est un Juif (allemand). Démagogie et martyrologie marchent main dans la main – la chose n’est pas nouvelle. J’ai toujours dénoncé la démagogie sous toutes ses formes comme l’activatrice des pires catastrophes politiques et sociales. Les slogans que je rapporte ci-dessus sont par ailleurs inexplicables sans l’inquiétude d’une jeunesse qui s’interroge sur l’attitude de son pays (de ses parents voire grands-parents) au cours de l’Occupation.

De la souffrance infligée à l’Innocent (Jésus) à la Shoah comme horresco referens. On a souvent dit que le colonialisme européen serait à l’origine d’un certain complexe occidental envers le tiers-monde, un complexe qui s’est établi a posteriori et qui s’est exprimé ouvertement à partir des années 1970, avec comparaisons systématiques entre les pratiques des colonisateurs et celles des nazis. L’historiquement correct apparaît bien dans les années 1970 ; et le politiquement correct est l’historiquement correct, ce qui revient à analyser le monde d’hier à partir des critères de son époque, ce qui revient à se fourvoyer tout en pensant avoir raison…

La Shoah à toutes les sauces… Souvenez-vous ! Sarajevo assiégé c’est le ghetto de Varsovie ! Milosević c’est Hitler ! Et ainsi de suite… Et on en vient doucement au conflit israélo-arabe. Le quotidien Le Monde, encore lui, publie un dessin du pseudo-massacre de Jénine (attribué par Yasser Arafat aux Israéliens), dessin qui évoque les ruines fumantes du ghetto de Varsovie. Et c’est parti, mon kiki ! La Shoah, l’horresco refenrens, à toutes les sauces, non seulement en politique internationale mais aussi en politique intérieure. La vie quotidienne européenne s’est shoatisée, et pas seulement la vie politique. La shoatisation établit un système-réflexe de valeurs moralisatrices. C’est le système post-chrétien, d’essence religieuse, adossé aux nouvelles martyrologie et démonologie. C’est la nouvelle démonologie nazificatrice. C’est la nouvelle martyrologie judaïficatrice. Mais les promoteurs de cette martyrologie et de cette démonologie en prennent à leurs aises. Ainsi, pourquoi les chrétiens du Sud soudanais, victimes d’un indéniable génocide conduit par le Nord soudanais islamiste, n’ont-ils pas droit à la sollicitude ? Est-il préférable d’avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ? Dans le cas soudanais la victime est chrétienne, elle ne fait pas partie d’une minorité souffrante qui a vu s’accomplir la Shoah dans l’espace européen – un chrétien ne saurait représenter l’altérité persécutée. Et le bourreau étant musulman, il n’est pas idéal pour figurer dans le saint bréviaire dénonciateur du post-chrétien, un musulman de surcroît noir et pauvrement équipé… Rien à voir avec le guerrier blanc doté d’une formidable technique et aisément nazifiable

Olivier Ypsilantis

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