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Quelques retours dans le passé – 2/2

 

Certes, le chiisme et le sunnisme ont un socle commun mais ce qui les oppose est suffisamment marqué pour susciter et nourrir les pires violences. Et l’affrontement historique entre ces deux religions va durement marquer les années à venir. Évoquons très brièvement la question de l’imamat sans passer en revue tout ce qui les différencie. Simplement : le sunnisme n’a pas d’intermédiaire entre le croyant et Dieu, il n’a pas de clergé ; tandis que le chiisme a un clergé qui n’est pas moins hiérarchisé que le clergé catholique. Dans le chiisme persan, celui qui désire consacrer sa vie à l’étude de la religion commence par six années de théologie avec disciplines multiples qui lui permettent de pratiquer l’effort d’interprétation (le ijtihad) et de devenir mollah avant d’accéder au rang d’hodjatoleslam, un titre par lequel ses compétences dans l’exégèse des textes sacrés sont reconnues. Après dix à quinze ans, l’un de ses disciples devient à son tour hodjatoleslam, ce qui propulse automatiquement le maître au rang d’ayatollah. Le peuple choisit alors l’ayatollah qui dans ses prêches (du vendredi) propose ses interprétations touchant aux grands sujets qui préoccupent l’homme. Chacun est libre de choisir l’ayatollah dont l’interprétation lui convient le mieux. Cet ayatollah devient un marja’, un référent. Les membres du clergé chiite iranien suivent donc une préparation comparable par ses exigences et sa durée à celle des rabbins. Avec le sunnisme, redisons-le, il n’y a pas d’intermédiaire entre le croyant et Dieu depuis l’abolition du califat en 1924, d’où problème : le premier venu peut pérorer et invectiver. Antoire Sfeir : « L’impossibilité pour les imams après Ali d’accéder au pouvoir politique les pousse à développer une justification théologique de leur mise à l’écart : leur pouvoir est désormais ‟occulté” ». Les imams sunnites ont pour la plupart suivi une formation faite à la va-vite lorsqu’ils ont suivi une formation. Une autorité politique peut désigner qui elle veut sans tenir compte de sa formation ; et l’effort d’interprétation étant fixé (dans le sunnisme) depuis la fin du XIe siècle, à quoi bon se casser la nénette ? Par ailleurs, l’absence d’autorité centrale depuis 1924 laisse le troupeau se répandre à sa guise, un troupeau qui renverse et piétine tout sur son passage en se piétinant lui-même… Certes, personne n’est autorisé à parler seul au nom de l’islam, mais le premier venu sunnite, incapable de faire autre chose que de brailler des passages du Coran et fort d’une lecture littéraliste peut se dresser sur ses ergots sur son tas de fumier sous prétexte qu’il a la foi. Rien de tel chez les chiites ; c’est pourquoi je me permets d’affirmer qu’il y a des parcelles de lumière dans le chiisme et plus encore dans les marges du chiisme, avec ces religions minoritaires, voire ultra-minoritaires, tandis que le sunnisme n’est que nuit profonde.

 

 

Je présenterai dans un article « L’Islam mondialisé » d’Olivier Roy. L’auteur montre que la mondialisation de l’islamisme est due au fait que la religion n’est plus arrimée à une tradition, à une éducation soignée, et qu’ainsi elle se fait produit multifonctionnel, se dresse devant la connaissance (théologique), la pousse de côté, piétine tout ce qui n’est pas elle au nom de sa propre « pureté » sitôt que la connaissance se met en tête de la reprendre.

Les divergences entre chiisme et sunnisme sont bien plus imposantes qu’on ne le croit généralement ; et elles ne cessent de s’affirmer. L’avenir du monde sera en partie déterminé par ces divergences. Autre divergence entre sunnisme et chiisme : le sunnisme se considère comme le produit le plus achevé du monothéisme ; pour lui, Juifs et Chrétiens ont laissé une religion inachevée (voire détournée). Aussi les non-musulmans sont-ils plus ou moins aimablement relégués au second rang lorsqu’ils ne sont pas plus ou moins aimablement invités à se convertir. Le chiisme quant à lui poursuit vaille que vaille son effort d’interprétation. Les études sont volontiers prisées ; il s’agit même d’une démarche impérative. A ce propos, signalons que si l’effort d’interprétation (ijtihad) a conduit Khomeini au pouvoir, c’est aussi ce même effort qui à présent remet en question le pouvoir des religieux en Iran. Autre divergence encore : les chiites attendent le retour du Mahdi, ce qui suppose que l’autorité du guide des croyants ne peut être que temporaire, qu’elle est inlassablement soumise à un examen critique de la part des théologiens ayant suivi une formation particulièrement poussée. L’effort d’interprétation n’épargne personne. Les différences entre sunnisme et chiisme ne s’en tiennent décidément pas à un simple vernis.

Mais qui sont les chiites ? Les chiites sont avant tout des exclus, des persécutés au sein de l’islam. Ils commencent par trouver refuge dans des zones reculées et montagneuses. Et c’est en Perse, au XVIe siècle, qu’ils cessent d’être des exclus, des persécutés. Plus précisément, c’est en 1501 que les Séfévides imposent le chiisme (duodécimain) à l’Empire perse. S’en suit un ample mouvement de conversion, le pays étant alors majoritairement sunnite. Au XVIIIe siècle, sous la dynastie Qadjar, s’opère la fusion du chiisme et de la Perse. Les religieux ne prennent pas pour autant la place de l’État ; ils confortent leurs positions là où l’État est peu présent voire absent. A la fin du XIXe siècle, alors que la dynastie Qadjar est sur le déclin, le clergé soulève le peuple contre le Shah décidé à céder le monopole de la culture et du commerce du tabac à l’Angleterre. Il convient d’étudier scrupuleusement l’histoire du chiisme en Perse (et en Iran) pour mieux comprendre ce vaste pays, sa position très particulière sur la scène internationale et ses manœuvres diplomatiques.

Si le chiisme et le ijtihad ont amené Khomeini au pouvoir, en 1979, ce sont aussi eux qui remettent en cause le pouvoir des religieux dans le pays. Le chiisme n’est pas le sunnisme et on va assister à une augmentation significative des conflits entre ces deux branches principales de l’islam, conflits activés par des intérêts économiques et géopolitiques. Et nous ne serons pas épargnés. C’est pourquoi il faudrait que nous commencions par nous détacher de cette politique à très court terme, de cette politique épidermique en amplifiant notre regard, en brisant la porte du réduit dans lequel cherche à nous enfermer la machine à informer — à désinformer —, en quittant cette maison de fou qu’est devenue « l’information », maison où se pratique sans répit le passage à tabac — le matraquage par le factuel. A cette folie, il faut opposer le glaive et le bouclier de l’étude et de la connaissance. En étudiant l’histoire de ce grand pays, on comprend que l’Iran cherche avant tout à préserver une influence régionale mais aussi — et surtout — à se prémunir de menaces extérieures. On ne le dira jamais assez, l’Iran souffre d’un sentiment d’encerclement, un sentiment qui n’a pas été élaboré par la mollahcratie, pour reprendre un mot à la mode. L’histoire de ce pays nous apprend aussi qu’il n’a jamais initié des guerres. La longue guerre Irak-Iran (1980-1988) en est un exemple ; il y en a d’autres. La politique pan-chiite de l’Iran est avant tout destinée à créer un glacis protecteur autour d’un pays qui n’éprouve pas seulement une menace à l’Ouest (face à l’immense monde arabe et à la Turquie) mais aussi à l’Est. Il est curieux que des hommes à la vision ample et dotés d’une solide culture ne prennent ce fait que (très) rarement en compte. Je me permets de le rappeler quitte à passer pour un suppôt de l’actuel régime iranien.

Sans entrer dans les détails, je rappelle que le chiisme est divers, que l’influence de l’Iran s’exerce essentiellement sur les chiites duodécimains alors qu’elle est très faible sur les ismaéliens. A ce propos, l’étude des tendances minoritaires (voir ultra-minoritaires) en marge du chiisme est passionnante. S’il y a un peu de lumière dans le monde ténébreux de l’islam, c’est de ce côté qu’elle doit être recherchée.

Les Juifs eurent à souffrir en terre d’islam — et peut-être plus encore en terre chrétienne, mais là n’est pas le sujet du présent article. Aujourd’hui, ce sont les Chrétiens qui prennent le chemin de l’exil lorsqu’ils ne sont pas massacrés. Toutes ces violences ne doivent pas nous faire oublier les violences intra-musulmanes, notamment entre sunnites et chiites, ces derniers, minoritaires, étant les principales victimes. Ces violences religieuses se doublent volontiers de violences inter-ethniques — et inter-tribales et inter-claniques. Et je pourrais en revenir aux Hazaras d’Afghanistan (des chiites victimes des Pachtounes, des sunnites), aux Alévis de Turquie (des chiites victimes des Ottomans, des sunnites), aux chiites du Pakistan (ils sont quelque trente millions), victimes de discriminations et d’exactions qui les amènent à se radicaliser. Je pourrais également évoquer la situation des chiites dans le monde arabe, eux aussi volontiers victimes de discriminations et d’exactions comme récemment au Bahreïn et en Arabie Saoudite. Mais je n’insisterai pas.

Afin de prolonger cet article, deux liens ci-joint respectivement intitulés : « Arabie Saoudite : plutôt Al-Qaïda que l’Iran ! Contre l’axe chiite, Riyad mise sur les djihadistes » et une mise en garde de Nicolas Dupont-Aignan : « Si Assad tombe, Daesh deviendra inexpugnable ». Cet homme nous invite à prendre nos distances face aux calculs à la petite semaine et à une certaine démagogie. Il déclare notamment que nous devons cesser de nous prostituer auprès du Qatar et des États du Golfe, que nous devons enfin réintroduire la Russie dans les grandes manœuvres. « En un mot, notre pays doit retrouver sans plus tarder une politique étrangère réellement multilatérale et indépendante ! » :

http://www.causeur.fr/arabie-saoudite-alqaida-yemen-iran-34265.html

http://www.lepoint.fr/politique/nicolas-dupont-aignan-si-assad-tombe-daesh-deviendra-inexpugnable-24-08-2015-1958771_20.php

Un dernier mot. Mon « bavardage » ne doit pas faire oublier que le judaïsme et Israël occupent dans mon cœur une place centrale, que je souhaite un Israël capable de foudroyer ses ennemis. Si j’évoque de la sorte l’Iran, c’est aussi parce que j’entrevois intuitivement une possibilité d’entente, une entente par le haut, ce que je n’entrevois aucunement avec les Arabes, toute entente par le bas devant être repoussée.

Olivier Ypsilantis

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