Ce texte m’a été transmis par une amie espagnole. Je l’avais incitée à rédiger ses souvenirs de campagnes de fouilles en Syrie, au cours d’une dizaine d’étés consécutifs, peu avant le début de cette guerre commencée en 2011. Je l’ai traduit car il m’a semblé digne d’intérêt et pour diverses raisons.
Carte de la Syrie. Ce que rapportent les pages qui suivent se situe au nord de ce pays, dans les environs de Manjib, près de la frontière avec la Turquie.
En 1997, j’eus la chance de pouvoir intégrer l’équipe archéologique qui depuis trois ans travaillait à La Misión Española de Arqueología, en République arabe syrienne.
De 1968 à 1973, le Gouvernement syrien, avec l’aide de l’U.R.S.S., entreprit la construction du barrage de Tabqa, une grande réserve d’eau douce qui donna le lac Assad. Parallèlement fut élaboré un vaste programme archéologique qui engageait de nombreux pays, dont l’Espagne, et dont le but était de prospecter, documenter et fouiller les sites archéologiques situés sur les rives de l’Euphrate, étant entendu qu’une fois le barrage terminé toute la zone serait submergée, engloutissant sites archéologiques et villages, nombreux sur les deux rives.
Les universités de Murcia, Barcelona et Sevilla mirent sur pied une expédition, dirigée depuis Murcia par le professeur d’Histoire Antique, Antonino González Blanco, tandis que la supervision du travail sur le terrain fut confiée au professeur Gonzalo Matilla Seíquer, l’un et l’autre fondateurs et membres de l’Instituto del Próximo Oriente Antiguo (I.P.O.A.). Gonzalo Matilla Seíquer m’invita à participer à ce projet et je lui en serai à jamais reconnaissante. Grâce à lui, je pus travailler avec l’équipe espagnole (constituée de personnes originaires de la province de Murcia) qui fouillait les sites de Tell Hamis et Tell Qaraq Qusaq.
Le village de Qaraq Qusaq vu du pont, 1999
En plus du travail de prospection et de documentation de la zone, nous relevions les inscriptions en syriaque dans les innombrables grottes qui avaient été habitées par des ermites. A notre équipe allaient s’intégrer deux architectes, Ricardo et Javier, car on projetait alors de restaurer l’impressionnante forteresse proche de notre village, Qalad Nayin.
Ci-joint un tableau qui permettra de mieux faire comprendre notre travail, avec les dates des différentes étapes, un travail dans lequel il faudrait inclure la collaboration de la mission européenne de Tell Beydar.
Notre équipe était composée de spécialistes dans diverses disciplines, dont des archéologues spécialisés (préhistoire, monde hellénistique, romain et médiéval), des philologues, un photographe et un topographe, surnommé « El Topo », les architectes mentionnés, un interprète, des botanistes et un restaurateur, c’est-à-dire moi-même. Le lieu choisi pour abriter notre équipe : un hameau bédouin proche de Tell Qaraq Qusaq, au bord de l’Euphrate et à côté de l’unique pont qui reliait la Syrie à la Turquie, un pont si stratégique qu’il était surveillé par un poste militaire. A chaque fois que nous l’empruntions, il nous fallait montrer nos laissez-passer, au moins au début car les soldats ne tardèrent pas à ne plus se lever des matelas où ils étaient affalés. Afin de mieux supporter les longues heures de garde qu’ils devaient passer dans leur cabanon, ils buvaient du thé et fumaient des cigarettes. Nous agitions nos mains pour les saluer et ils nous répondaient pareillement en nous criant « Marhaba, marhaba !» (« Oh là, Oh là ! »). Nous étions environ à une heure et demie d’Alep. L’agglomération « civilisée » la plus proche, Manbij, était à une demi-heure.
Le maire (murtal) nous céda diverses maisons lui appartenant, construites de la même manière que les autres maisons du village, avec de l’adobe enduit d’argile, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et un haut plafond constitué de poutres en bois, de nattes en raphia (avec des motifs semblables à ceux des tapis qui recouvraient les sols des habitations bédouines) et de joncs mêlés d’argile, des maisons indépendantes mais proches les unes des autres et que nous aménageâmes en cuisine, salle à manger, dépendances, atelier, entrepôts et dortoirs. Nous construisîmes des WC (les cuvettes furent importées par mes camarades du Liban), inexistants dans la région, les autochtones satisfaisant leurs besoins dans la nature. A propos de WC, il nous fallut également en acheter un à la turque car les Syriens de notre équipe jugeaient que la cuvette était peu hygiénique. Nous entourâmes les WC d’un muret d’adobe d’une hauteur d’environ 1 m 80 qui nous protégea du regard des enfants dont la principale distraction après l’école était d’observer attentivement tous nos mouvements après s’être hissés sur le mur d’enceinte de notre camp.
Le siège de la Misión Española de Arqueología, 1995
La mission était installée. Elle fit l’acquisition d’une grande porte métallique que nous fermions la nuit ou les fins de semaines, lorsque nous partions en excursion. Au-dessus de cette porte ondoyaient fièrement un petit drapeau espagnol et un autre syrien.
La cour de la Misión Española de Arqueología
L’entrée de la Misión Española de Arqueología
Je ne me souviens pas avec exactitude de la chronologie des faits qui animèrent notre équipe, des faits qui pour certains méritent d’être rapportés, comme le cas de ce Sévillan terrorisé par les scorpions et par toutes sortes de choses, et qu’il fallut renvoyer dans son pays sans tarder. Alors que nous attendions une subvention qui devait arriver avec l’équipe catalane (une subvention destinée à prolonger de quelques jours notre séjour et, surtout, à faire face à de nombreuses dépenses comme la paye des ouvriers, le transport, etc.), cette équipe la dépensa sans honte en saucisses catalanes (et malgré l’indignation de l’équipe de Murcia, je dois confesser qu’elles furent dévorées par nous tous). Et je me souviens de ce novice qui prépara du thé avec de l’eau destinée aux toilettes, ce qui provoqua chez beaucoup de sérieux problèmes intestinaux.
Je pourrais écrire un livre sur la variété des coutumes indigènes, étranges pour moi. Les souvenirs s’agglutinent et se mélangent lorsque je m’efforce de les exprimer. Je me souviens des odeurs si intenses : odeurs des épices, du poisson, de la viande, du jasmin, du thé brûlant, du pain juste sorti du four, de la viande grillée, de l’épis de maïs cuit à la braise, du bétail, de la terre desséchée. Je me souviens de cette chaleur qui pesait sur mes épaules comme si je transportais un lourd sac… La nuit, le ciel était constellé d’étoiles et leur nombre dépassait tout ce que j’avais pu voir au cours de mes voyages. Parmi les souvenirs qui cherchent à se dire dans le plus grand désordre : les aboiements des chiens, les chants du muezzin venus des minarets et appelant les fidèles à la prière, les rires et les plaisanteries de mes collègues (toujours prêts à plaisanter y compris dans les situations les plus difficiles) et, bien sûr, les saveurs : le miel et le sésame des baklavas, les pommes et les pastèques, la viande, le riz et les salades (difficile de détailler tout ce qui entrait dans leur composition), le thé, un élément fondamental de notre vie, avec ces si nombreux verres bus au cours de la journée. Je dus apprendre à me passer de vrai café un mois par an et durant plusieurs années, un renoncement difficile pour moi, et me contenter de succédanés comme la cardamone ou le triste Nescafé avec du lait en poudre. Ces boissons ne se limitaient pas à accompagner les repas, elles étaient prétexte à des pauses au cours desquelles se réunir et commenter, amusés, le moindre fait de la journée.
Mais revenons en arrière en commençant par le début. José Miguel, mon mari, avait reçu trois ans auparavant la proposition d’intégrer La Misión Española de Arqueología, compte tenu de ses vastes connaissances de la céramique de l’Attique et de la céramique hellénistique. Au cours des périodes estivales et durant presqu’un mois et demi, je ne reçus de lui que de rares appels, passés de la centrale téléphonique d’Alep ou de Damas, ainsi que des lettres ou cartes postales qui arrivaient à Murcia plusieurs jours après son retour en Espagne.
En 1994 et 1995 moi et ma fille Virginia, alors âgée de six ans, passâmes le mois d’août à Murcia dans une chaleur torride. En 1995, enceinte de ma deuxième fille, Irene, j’en profitais pour commencer à déménager des affaires dans notre nouvelle maison de Las Torres de Cotillas, à peu de distance de Murcia. Je n’étais pas encore titulaire du permis de conduire ; ainsi demandais-je à mes frères et amis désireux de voir notre maison de transporter un peu quelque chose.
Les retours de José Miguel étaient une surprise car je n’en connaissais ni l’heure ni même le jour. Il revenait brûlé et pelé par le soleil. A sa peau adhéraient encore du sable du désert et de la crème protectrice car il n’avait pas eu le temps d’aller au hammam avant de prendre l’avion. S’il s’était passé sur la peau un strigile, comme le faisaient les Grecs après les exercices sportifs, il aurait ramassé des morceaux de croûte. Ses vêtements étaient passés et fripés. Il avait maigri et souffrait de problèmes d’estomac. De fait, quelques jours plus tard, il avait des coliques néphrétiques. Il était très fatigué mais parfaitement heureux. Il revenait chargé de cadeaux exotiques et précieux : des mouchoirs multicolores comme ceux que portaient les Bédouines. On m’a rapporté que ces couleurs criardes étaient destinées à aider à les localiser si d’aventure elles se perdaient dans le désert. Il revenait avec des boucles d’oreilles et des pendentifs d’Alep, des parfums et des tissus de Damas, de belles répliques de pièces archéologiques achetées dans des musées, des galettes de sésame et des baklavas et, surtout, quelque chose que je n’avais jamais eu la possibilité de goûter, du caviar russe acheté à prix dérisoire dans des commerces du quartier chrétien de Damas. Nous avons vite apprécié tant de mets exquis qu’il nous arrivait de prendre à pleine cuillère et non sur des canapés.
Il revenait avec mille histoires étranges concernant la vie de ces villages entourés de Bédouins, les rudes fouilles archéologiques et leurs intéressantes trouvailles mais aussi les excursions et promenades dans la région. Il me racontait la difficulté qu’il y avait à trouver un chauffeur honnête, la chaleur suffocante, les scorpions, les enfants et l’école, les baignades dans la rivière, le désert et les tempêtes de sable, les excursions en barque au château de Qalad Nayim… Certaines de ces aventures suscitèrent en moi des sensations intenses et colorées au point que je me vis là-bas, en Syrie, les partageant avec lui. Certaines d’entre elles se sont imprimées dans ma mémoire comme sur du papier photographique d’autant plus que, peu après m’avoir conté ses aventures, il alla chercher les tirages de ses photographies et diapositives, des photographies qui montraient la maison d’adobe passée à la chaux, avec le patio misérable et la treille non moins misérable sous laquelle, dans la soirée, on nettoyait la céramique trouvée au cours des fouilles dans la matinée, céramique qu’on disposait au soleil pour la faire sécher et la classer à l’intérieur de carrés délimités par des galets du fleuve, un travail auquel participait à l’occasion notre petite voisine, Fatima.
Fátima occupée à trier les fragments de céramique dans des carrés délimités par des galets
Nos amis Juan « El Gordo », José Antonio « Poilín » et Pedro constituaient le trio des « Raros » (les Bizarres). Avec Pedro Fructuoso, ils travaillaient aux flottaisons : dans un grand récipient d’eau ils plaçaient des échantillons de terre prélevés sur le champ de fouilles. Habituellement, des machines agitent l’eau afin de séparer la terre de la matière organique qui remonte à la surface tandis que la terre se dépose au fond. La matière organique est alors soigneusement récupérée avec une passoire pour être analysée. Mais nous ne disposions d’aucune machine et c’est à la main, avec une sorte de rame, qu’il fallait agiter l’eau boueuse.
Des membres de l’équipe occupés à agiter l’eau boueuse
Les chambres étaient presque vides. La chambre des filles avec les matelas à même le sol sur des nattes en raphia, les vêtements du jour accrochés à des clous, les chaussures appuyées contre un mur afin de pouvoir vérifier plus facilement si un arachnéen ne s’y était pas introduit ; un long banc improvisé à l’aide d’une planche et de briques était l’élément le plus imposant de la pièce ; y étaient disposés de nombreux pots et boîtes de crème protectrice pour toutes. La chambre des garçons, presqu’identique mais avec des bouteilles d’arak (l’anis local) pour boire un petit coup après les repas. Les gens avertis disent que cela aide la digestion et prévient des problèmes intestinaux, ce que je n’ai pu vérifier. Il est vrai qu’à défaut de toute autre boisson alcoolisée, j’ai peut-être un peu abusé de l’arak accompagné de glaçons. Dans les chambres des Syriens (chauffeur et garde), il n’y avait que des matelas et toutes sortes de récipients pouvant servir de cendriers, ces Syriens fumant comme des cheminées. Des chambres étaient équipées d’un ventilateur suspendu au plafond qui ne rafraîchissait pas mais au moins brassait l’air. Chaque nuit se posait le dilemme : choisir entre le bruit monotone qu’il faisait ou la chaleur suffocante sans le moindre courant d’air. La petite cuisine avec son réchaud à gaz (bien désuète pour cuisiner à son aise et nourrir près d’une vingtaine de personnes), son réfrigérateur, son étagère et ses deux petits éviers qui recevaient l’eau d’un des réservoirs d’eau en laiton que José et Jesús, avec l’aide du gardien Abbas, avaient installé sur le toit et qui approvisionnait les WC et la cuisine en eau non potable. Dans la salle à manger, une grande table constituée de planches en bois et de tréteaux ainsi qu’une chaise en plastique pour chaque membre de la mission. Le magasin où, sur des étagères métalliques, s’accumulaient dans des boîtes en carton les trouvailles archéologiques faites au cours des campagnes de fouilles. L’annexe, vide de mobilier, avait un ventilateur au plafond. Curieusement la nourriture était disposée à même le sol afin de mieux se conserver. On y trouvait essentiellement des pommes de terre, des tomates, des pommes et quelques pastèques, étant entendu que dans le réfrigérateur tenaient à peine les œufs, le yaourt, le fromage, une espèce de charcuterie que certains appelaient étrangement « mortadela de iguana », et à peine plus. Il n’y avait pas de lait frais, seulement du lait en poudre, et du thé. Les WC n’avaient que deux cuvettes et des toilettes à la turque pour les indigènes qui ne pouvaient décidément comprendre que nous puissions satisfaire nos besoins de la sorte. Nous disposions de quelques lavabos et de trois douches mais sans porte et sans rideau. Je dois avouer que j’avais tellement honte qu’on puisse me voir nue que je m’arrangeais pour prendre une douche à des heures inhabituelles. L’eau, ainsi que je viens de le dire, venait de deux réservoirs placés sur le toit. Jesús avait eu la bonne idée de placer une résistance afin que nous puissions avoir de l’eau chaude, au moins pour les deux ou trois premiers à se lever. L’année où « la huesitos » (la spécialiste chargée d’étudier les os des animaux qui apparaissaient au cours des fouilles archéologiques) fit partie de la mission, et qui comme moi travaillait au campement, l’eau chaude et parfois même l’eau tout simplement venaient à manquer car cette fille ne trouvait rien de mieux que se prélasser sous la douche, une demi-heure avant le retour des archéologues en sueur et épuisés. Il fallait alors remplir à la hâte les réservoirs devant des archéologues indignés.
Au cours de mon premier séjour à la mission, le frère d’Abbas, Musha, un garçon de dix-huit ans, ne tarda pas à s’apercevoir qu’il n’y avait ni porte, ni rideau dans les douches ; aussi prit-il l’habitude de se cacher dans un coin pour épier tranquillement les filles qui se lavaient. Plusieurs d’entre elles se mirent d’accord pour lui donner une leçon. Elles prirent des serviettes et des produits de toilette et s’en allèrent aux douches où elles se cachèrent. Lorsque Musha apparut en avançant sur la pointe des pieds, les trois filles se lancèrent sur lui et lui donnèrent une bonne correction. Pour un Bédouin, de surcroît fils du maire, ce fut probablement la plus humiliante leçon de sa vie : se faire corriger par trois femmes ! Il dût s’en remettre car deux années après il se maria et, à ce que je sache, il eût au moins une fille. Malheureusement, il fut tué au début de la guerre en tentant avec ses voisins et des Kurdes de la zone de défendre contre les islamistes l’unique pont.
La cour de la Misión Española de Arqueología
Je détaillais les nombreuses photographies rapportées par José Miguel et il me donnait sur chacune d’elles nombre de détails. De plus, il organisait des projections de diapositives pour les amis et la famille, diapositives qu’il commentait avec luxe de détails, relatant mille anecdotes de son « autre vie » (otra vida) : « Ici, notre voisine. Elle est restée veuve avec plusieurs enfants à charge et, selon la coutume dans cette région, le frère aîné de son défunt mari la prit pour épouse, en principe pour la protéger et ne pas la laisser dans le besoin. Mais le gredin avait une autre femme et venait chez sa nouvelle femme pour assouvir ses désirs, ce à quoi elle n’était pas disposée ». Autre diapositive : « Ici, vous voyez l’école. Le maître la louait le soir, après le départ des écoliers, pour que les amoureux disposent d’un endroit où avoir un peu d’intimité. Certains étaient mariés et venaient là à l’insu de leurs conjoints. Un tel comportement supposait beaucoup de courage car cette morale hypocrite était par ailleurs très sévère. De fait, un couple illégitime fut surpris « in fraganti ». Ils devaient se marier le jour suivant ; néanmoins le père tua la fille et l’enterra au bord du fleuve. Le garçon eut la chance de pouvoir s’échapper. Rocío expliqua à Abbas que si une telle chose arrivait en Espagne, on les mariait et que le problème était ainsi réglé, ce à quoi Abbas répondit en ricanant qu’en Espagne tous les hommes sont homosexuels (maricones) et que par ailleurs si le père n’avait pas tué la fiancée toute la famille aurait été condamnée à quitter son village… ». Je pourrais écrire des pages et des pages en rapportant ses commentaires.
Je ne pouvais le croire ! Gonzalo Matilla Seíquer me téléphona pour m’informer qu’au cours de la campagne de fouilles était apparu un sarcophage en terre cuite d’époque hellénistique (il avait dû apprendre la nouvelle par mon mari) avec un riche mobilier funéraire à l’intérieur (notamment deux alabastrons) et qu’il comptait sur mes services afin de le dégager d’une pièce puis le transporter à la mission pour le restaurer. Ma fille Irene allait avoir neuf mois. Je partis avec un sentiment de culpabilité, laissant pour tout le mois de septembre ma fille à ses deux grands-mères, quinze jours pour l’une et quinze jours pour l’autre. Je n’aurais pu laisser échapper cette occasion, une occasion unique.
Préparer ma valise n’était pas chose facile étant entendu que dans la région où je me rendais il était malaisé de se procurer certains produits indispensables pour nous, comme de la crème aftersun. Je mis dans cette valise mes vieux vêtements et des vêtements encore plus vieux pour les fouilles, des serviettes, des draps et beaucoup de jouets, des poupées, des stylographes, des feutres, des crayons de couleurs, des casquettes publicitaires et autres articles achetés dans un magasin Todo a 100 (pesetas) que je pensais distribuer aux enfants des deux villages avec lesquels nous aurions le plus de relations. J’y plaçai aussi quelques citrons au cas où l’un de nous tomberait malade. Là-bas, les bananes étaient un luxe et il n’y avait pas d’agrumes, des fruits que les locaux remplaçaient par des poudres qui avaient un goût de citron et avec lesquelles ils saupoudraient pratiquement tous les aliments y compris les salades à base de yaourt accompagné de concombres ou les salades de tomates. Je plaçai également quelques boîtes de conserve de thon consistant (qui se laisse piquer avec la fourchette) et non de ce thon en miettes qui se perd dans les salades, le seul proposé dans les commerces de Manbij. Et je n’oubliai pas une paire des meilleurs saucissons.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
Passionnante aventure
Chère Jacqueline,
Ma « fierté » est d’avoir poussé cette archéologue et amie à écrire ses campagnes de fouilles. De fait, en traduisant ces pages, j’ai retrouvé mon plaisir à lire les récits des archéologues, bien plus passionnants que toutes les fictions, comme « Mari » d’André Parrot ou « A la découverte des fresques du Tassili » d’Henri Lhote. Il y en a bien d’autres, comme Agatha Christie (Mallowan) dont les écrits dédiés à l’archéologie sont (me semble-t-il) trop peu connus.
Cher Olivier, c est formidable de pousser les autres à aller jusqu au bout de leurs désirs et possibilités quand eux mêmes se seraient mis des limite.
Ce récit à le mérite de montrer les difficultés sous jacentes au métier d archéologue, le courage et la témérité, surtout dans des pays aussi démunis. Le latent est plus intéressant que le manifeste que nous découvrons dans les musées comme allant de soi.
C’est vrai, on n’imagine pas tout ce que suppose un fragment de céramique ou un morceau de marbre dans un musée, tous les efforts d’une équipe et ses aléas. Cette archéologue plutôt jeune qui est atteinte d’une maladie dégénérescente discipline ses mains en fabriquant de minuscules objets qu’elle place dans des installations genre doll houses entièrement conçues par elle. Des pièces entières de sa maison sont occupées par les produits de ce passe-temps. J’en suis resté ébloui.
Non on n imagine pas. J ai eprouve beaucoup d emotion en Grece, à Jerusalem et ailleurs à contempler les fouilles sans jamais penser à la complexité de ce travail. J ai reporté cette émotion sur la psychanalyse et les travaux de Freud. Les fouilles intérieures
L histoire de cette femme archéologue est assez bouleversante. Elle a réussi à convertir ses re Garches ta utiles et intellectuelles en création manuelle. Les mains ont tant à nous dire. Kafka aussi qui ,aux Assurances ou il travaillait, dessinait la main des travailleurs mutilés qu’ il allait voir dans les provinces, pour leur accorder le plus de dédommagement possible.
Je me souviens d’avoir découvert ces documents qui montraient des mains de travailleurs mutilées par les dégauchisseuses (documents consultés par Franz Kafka) dans la monographie de Klaus Wagenbach aux Éditions du Seuil, dans l’excellente collection « Écrivains de toujours ». Franz Kafka a également envisagé de travailler la menuiserie. Mais c’est surtout en la Palestine qu’il espérait se servir de ses mains, avoir un lopin de terre à cultiver. Il me semble également qu’il avait eu le projet, une fois en Palestine, peu de temps avant sa mort, d’ouvrir un petit restaurant, avec Dora Diamant (ou Dymant) à la cuisine et lui assurant le service.