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Notes iraniennes  

 

En header, une Iranienne pratiquant un sport national, le tir sur un cheval lancé au galop.

 

A l’époque antéislamique, on ne trouve trace d’hostilité entre la Perse et le judaïsme, qu’il soit local ou de Judée. Personne n’ignore l’initiative des Achéménides, Cyrus et Darius (au VIe siècle av. J.-C.). L’époque de la domination perse est une période décisive pour la rédaction de la Bible. Dans les livres d’Esdras, d’Esther et de Néhémie, la figure du souverain perse est résolument positive, celle de Cyrus en particulier. Il ne faut cependant pas se laisser aller à penser que les souverains achéménides aient été plus bienveillants envers les Juifs qu’envers les autres peuples de leur immense empire, comme les Grecs ou les Égyptiens. La religion iranienne, très structurée, nationale (on naît zoroastrien, on ne devient pas zoroastrien), nullement prosélyte, n’assimile pas les croyances des peuples soumis à l’Achéménide, autant de peuples dont on s’assure la fidélité et la tranquillité en soutenant leur religion ou, tout au moins, en ne s’en mêlant en aucun cas et d’aucune manière.

 

notes-iraniennesL’une des illustrations de Julius Schnorr von Carolsfeld pour la Bible. Ci-dessus, les Juifs sont libérés par Cyrus. 

 

Les souverains achéménides ne pratiquent pas une discrimination positive à l’égard des Juifs. La vision si lumineuse qu’en ont les Juifs tient en bonne partie à un puissant effet de contraste ; en effet, les souverains hellénistiques et plus encore les souverains romains sont perçus, à juste titre, comme des repoussoirs.

De l’influence iranienne dans la Bible. Le livre d’Ezéchiel (VIe siècle av. J.-C.) ne porterait-il pas la trace d’une influence zoroastrienne, avec ces ossements desséchés qui retrouvent chair et ressuscitent ? (En aparté. Cette histoire me conduit vers ce dessinateur israélien si fécond, si intelligent, Dry Bones, vers Yaakov Kirschnen dont les œuvres enrichissent « The Jerusalem Post » depuis 1973. Dry Bones, un nom inspiré d’Ezéchiel 37 : 1-14). Les affinités doctrinales et thématiques entre judaïsme et zoroastrisme constituent un sujet d’étude des plus passionnants. Il faut toutefois se garder de tomber dans un enthousiasme naïf, de placer ces deux religions dans les bras l’une de l’autre et de leur faire danser la valse. Il est préférable de s’en tenir à des hypothèses et de noter à l’occasion un air de famille — qui peut être trompeur comme l’est si souvent l’air de famille.

Le zoroastrisme n’est pas un monothéisme stricto sensu — et ce n’est pas amoindrir cette religion de l’antique et prestigieux Iran que de le dire. De même, ce n’est pas vouloir amoindrir le judaïsme que de dire qu’à l’époque pré-hellénistique, il n’était pas encore ce bloc monothéiste sans faille. Les Juifs ne sortirent pas de l’idolâtrie d’un coup de baguette magique. Inscrits dans l’Histoire comme tous les autres peuples, ils devinrent authentiquement juifs après bien des errances et des convulsions. C’est l’une des parts de leur gigantesque et exceptionnel héritage. Rien ne naît de rien et nous sommes des héritiers appelés à interroger notre héritage. Les Juifs le savent mieux que les autres. Les Chrétiens le savent mais la Théologie de la Substitution a fait son œuvre, bien insidieusement. Quant aux Musulmans (hormis quelques éclairés), ils ont des progrès à faire avec leur histoire de Coran qui leur serait tombé tout rôti dans le bec.

Le milieu judéen dans lequel se forme le christianisme est irrigué d’influences perses. Par exemple, le livre de Daniel (IIe siècle av. J.-C.) aurait influencé les Iraniens, mais le fleuve qui sépare vivants et morts (Daniel, 7 : 10) serait une image venue des Iraniens, adorateurs du feu. Le protocole des souverains juifs (voir cet épisode relatif au roi de Judée Hérode Antipas) n’aurait il pas subi une influence iranienne ? Souvenez-vous de ce banquet au cours duquel Salomé obtint la tête de saint Jean-Baptiste. Ne s’agirait-il pas d’une reproduction à l’identique du protocole des souverains achéménides ? Ce protocole : le jour de l’anniversaire du souverain, celui-ci ne pouvait refuser une requête, y compris celle inspirée par la vengeance. Le parallélisme entre l’épisode rapporté dans l’Évangile de Marc (6-14/29) et celui rapporté par Hérodote (Histoires IX, 110-111).

Ne pas oublier que sous les premiers souverains achéménides, le retour des Juifs à Jérusalem ne fut que partiel, que la majorité d’entre eux, et les plus fortunés, restèrent en Mésopotamie, à Babylone plus particulièrement où sera rédigé l’essentiel du Talmud. D’importantes communautés juives étaient établies plus à l’est, notamment à Merv (actuel Turkménistan) où les fouilles ont mis à jour l’un des plus anciens cimetières juifs, une découverte qui laisse penser que les Zoroastriens d’Asie centrale auraient tenu leurs usages funéraires des Juifs. Voir les travaux de Boris I. Marshak.

Les Sassanides mènent la même politique que les Achéménides, avec des périodes de répression. Les Chrétiens sont particulièrement visés lorsque le christianisme se propage dans les provinces orientales de l’empire et, plus encore, lorsque le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain.

Il y eut bien des alliances politiques entre les souverains iraniens et les Juifs, des alliances qui expliquent qu’il y eut beaucoup plus de Juifs en Babylonie qu’en Judée. Il n’empêche que certains souverains sassanides ont été intolérants et ont laissé de bien mauvais souvenirs, comme Peroz Ier surnommé « le Méchant » par les écritures juives. Mais d’une manière générale, il est établi que les Juifs ont été autrement mieux traités chez les Perses que chez les Grecs ou les Romains, puis chez les Chrétiens. Avec la conquête musulmane de la Perse, la situation des Juifs se dégradera terriblement.

La rapidité de la conquête arabe (musulmane) de la Perse sassanide s’explique essentiellement par l’épuisement consécutif à cette guerre de vingt-cinq ans (602-627 ap. J.-C.) contre l’Empire byzantin, pareillement épuisé. La conquête s’opéra en deux temps : l’Irak (avec la victoire de Qadisiya, en 636) puis le plateau iranien, entre 642 et 655. Une bonne partie de l’élite perse adopta alors la religion des conquérants afin de sauvegarder sa position sociale. Les populations suivront peu à peu.

 

  tombe-de-cyrus La sépulture de Cyrus II à Pasargades. 

 

C’est à partir de 750, avec la victoire des Abbassides et l’instauration du califat à Bagdad, que les Persans commencent à gagner en importance dans l’Islam, notamment avec le vizirat (jusqu’à son abolition en 936), un poste généralement dévolu à un Persan. Les Abbassides doivent beaucoup aux Persans. Par exemple, c’est avec l’aide de ces derniers qu’ils triomphent des Omeyyades. Voir cette révolte partie du Khorasan, une province qui entre 775 et 803 donna tous les vizirs, avec les Barmécides, des bouddhistes convertis à l’Islam.

Dans l’Islam classique, les Persans sont réputés pour leur art de gouverner les hommes (tandis que les Grecs le sont pour leur maniement de la pensée spéculative) ; mais ils sont également soupçonnés de fausse conversion à l’Islam — comme le seront les Juifs séfarades, accusés de judaïser en secret dans l’Espagne des Rois catholiques. Les  Persans rendent de brillants services aux conquérants arabes mais bien des indices laissent penser qu’ils conservent un profond (et secret) attachement à la Perse d’avant la conquête arabe, au zoroastrisme, religion iranienne par excellence. Cette méfiance des conquérants va provoquer une réaction persane, littéraire, la Shu’ubiya. Ci-joint, un article à caractère synthétique intitulé « La Shu’ubiya en Iran : la résistance à l’arabisation au Moyen Âge » et signé Tatiana Pignon :

http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-Shu-ubiya-en-Iran-la-resistance.html

Des Persans se mettent donc à publier en arabe des textes d’une grande violence où ils louent la civilisation perse pour mieux souligner le mépris dans lequel ils tiennent les Arabes, ces mangeurs de rats et de lézards sortis du désert. Les Perses comprennent sans tarder que cette religion qui leur est imposée est décidément trop frustre pour eux, ces héritiers d’une civilisation pré-isamique incomparable, matrice de tant de religions et de philosophies. Car il faut le dire, en aparté, le Coran est à la Bible (et je ne parlerai pas du Talmud) ce que le « Petit livre rouge » est au « Capital », ce que le stalinisme et le marxisme-léninisme sont au marxisme, etc. Je ne suis pas marxiste mais je ne crains pas de remettre les pendules à l’heure — to set things straight. Par ailleurs, tout ce qui dans l’Islam mérite d’être retenu procède des Iraniens. Faut-il le déplorer ? Ils ont apporté un peu de lumière dans cette ténébreuse création venue d’Arabie saoudite. Une fois encore, je procède par raccourcis mais pour l’heure je m’en contenterai…

Les Persans qui attribuent des vertus à l’étude, contrairement aux Arabes (ce n’est pas moi qui le dit mais l’historien arabe Ibn Khaldoun, au XIVe siècle), sont sur-représentés en terre musulmane et dans tous les domaines de la connaissance, y compris en tant que grammairiens de l’arabe…

Entre le VIIIe et le XIe siècle, les Persans écrivent essentiellement en arabe. Pourtant, dans la littérature de l’Islam classique, le Persan désigne l’étranger par excellence. A partir du Xe siècle, cette langue monte en puissance, comme langue de cour et de culture, et se fait une place à côté de l’arabe, jusqu’alors unique langue écrite de l’empire. Les maîtres arabes éprouvent comme malgré eux la supériorité persane quant aux choses de l’intellect et de l’esprit ; reconnaissons au moins ce mérite à ces descendants de chameliers et de gardiens de chèvres.

C’est la victoire des Turcs dans l’Orient musulman qui va assurer le triomphe de la langue persane, entre le XIe et le XVIIIe sèche, une langue qui s’impose comme langue impériale, de cour et d’administration. N’oublions pas que ce classique de la littérature persane, le « Shâh Nâmeh » (« Livre des Rois ») de Ferdowsî, ce grand poème épique, a été dédié par son auteur à un souverain turc, fondateur de la dynastie des Ghaznévides, Mahmoud de Ghaznî, à la cour duquel participe l’astronome Al-Biruni, par ailleurs auteur de la plus élaborée des études sur l’Inde avant les études occidentales modernes. On parle persan à cette cour, même si Al-Biruni préconise l’usage de l’arabe pour la richesse et la précision de son lexique scientifique élaboré au contact avec le grec — voir les traductions du grec à l’arabe accumulées depuis le IXe siècle à Bagdad.

Ce sont donc les Ghaznévides, des Ottomans, qui vont exalter le persan, en particulier sa poésie, le persan qui peu à peu chasse l’arabe de la majeure partie des territoires orientaux de l’Islam. La suprématie du persan s’affirme sur plusieurs siècles, et dans tous les domaines, de l’histoire universelle jusqu’aux sciences, l’un des derniers domaines de l’arabe à résister. Au XIVe siècle, le persan est la langue du commandement, de l’administration, de l’histoire et même de la religion, de l’Anatolie turque jusqu’à l’Inde des sultans de Delhi. On ne peut que regretter qu’à partir du XVIIIe siècle, le persan se soit retrouvé limité à l’Iran et à quelques régions de l’Asie centrale, régions où sont encore pratiquées des langues sœurs du persan, comme le tadjik, la langue du Commandant Massoud — le Lion du Pandjchir. Que son nom soit béni !

Le Chiisme ne devient religion d’État en Iran qu’au tout début du XVIe siècle, sous les Safavides, une dynastie d’origine turque qui prend le pouvoir en 1501, dans l’Azerbaïdjan iranien. Ce fait peut paraître paradoxal quand on sait que c’est l’irruption des Turcs seldjoukides (des sunnites purs et durs) qui avait marqué le reflux du Chiisme. Après avoir vaincu les Ouzbeks, les Safavides s’étaient retournés contre l’Empire ottoman et le menaçaient — pourquoi ? Parce qu’il ne s’agissait pas d’une dynastie iranienne mais turque, une dynastie à ambitions universelles donc. Il convient de rapporter cette donnée à la situation qui est celle du Proche-Orient et du Moyen-Orient aujourd’hui…

Ci-joint, une vidéo où s’exprime une fille d’Iran, ce qui permettra à ceux qui ne connaissent pas cette langue de goûter sa beauté et ses rythmes qui n’ont rien à voir avec les raclements et glapissements de l’arabe qui s’accentuent à mesure que l’on va vers l’ouest. Il reste à espérer que l’Iran sera nettoyé de l’écriture arabe ainsi que le désirait le général Bahram Aryana, ce qu’il rapporte dans « Une éthique iranienne », un article en deux parties publié sur ce blog même :

http://zakhor-online.com/?p=9485

http://zakhor-online.com/?p=9500

Mais écoutez cette femme, Mahtab Keramati, les sonorités du persan :

https://www.youtube.com/watch?v=tInXGpCQnbU

https://www.youtube.com/watch?v=Ig29y8-wCIU

 

 femme-iranienneUne Iranienne parmi tant d’autres, Mahtab Keramati (née en 1970 à Téhéran).

 

    Olivier Ypsilantis

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