Un livre écrit en yiddish dans les années 1950 et récemment traduit en français par Marina Alexeeva-Antipov.
Sygmunt Stein s’engage dans les Brigades internationales à Paris. Gare de Lyon direction Marseille où il embarque pour Barcelone à bord du cargo ‟Barcelone”. La majorité des membres de l’équipage sont de la CNT. Ce cargo transporte ‟de gros ballots bien emballés, cerclés de cordes”, des armes en provenance du Mexique. En pleine mer, le cargo reçoit des invités, les officiers d’un navire russe. Ambiance chaleureuse. Arrivée à Barcelone. Accueil magnifique. ‟Sur nos têtes pleuvaient des fleurs et des foulards de soie. Des jeunes femmes à la peau couleur olive et aux yeux noirs nous envoyaient des baisers aériens.” Il n’empêche, le soir, avant de s’endormir, les questions se bousculent dans sa tête. Par exemple : Marx et Engels prédisent la révolution dans les pays industrialisés mais elle survient dans un pays arriéré, la Russie. La révolution espagnole donnera-t-elle raison à Bakounine ? Tracera-t-elle une voie nouvelle, loin de Staline ? Des scènes des procès de Moscou (1936-1938) ne cessent de lui revenir. Ci-joint, un lien Akadem très synthétique relatif à ces procès :
http://www.akadem.org/medias/
Train pour Albacete via Valencia. Première désillusion : de nombreux anarchistes se pavanent dans les rues en uniformes d’officiers. Il note à cette occasion que l’homme peut être capable d’oublier ses idées pour le pouvoir. Sygmunt Stein est un homme d’une belle lucidité et un fin observateur. A aucun moment il ne donne dans cet idéal éthéré et conventionnel, avec récitation du catéchisme ‟révolutionnaire”. Dans une station, entre Valencia et Albacete, il rencontre des anarchistes — des vrais — de retour du front. L’émotion est à son comble et ces derniers réservent un accueil des plus chaleureux à ceux qui s’apprêtent à les relever. Comme d’autres communistes, il s’interroge sur les consignes d’un Parti qui ose traiter les anarchistes d’agents de Franco.
Arrivée à Albacete et prestation de serment qui, remarque l’auteur, évite des mots tels que ‟socialisme” ou ‟révolution” afin de se conformer à la ligne du Parti communiste — de Staline donc — qui leur trouve un parfum trotskiste. Bien des choses commencent décidément à lui déplaire, comme ces deux officiers qui ne se comportent pas comme des camarades mais comme de véritables militaires.
Recruté pour l’éducation au service politique, il fait part de son mécontentement : il ne comptait pas venir en Espagne pour être assis derrière un bureau. Mais Sygmunt Stein est un élément de valeur, considérant le nombre de langues qu’il maîtrise. On l’invite à écrire son autobiographie détaillée ; puis à la modifier car le mot Bund y figure.
Sa mission consistera à veiller au moral des troupes mais aussi à combattre l’antisémitisme, présent jusque dans les Brigades internationales ! Il s’agira de montrer que le peuple juif ‟n’est pas simplement composé de marchands et d’avocats…” Il est sollicité par le service de la censure ; et s’il est sage et obéissant, on lui promet qu’il sera autorisé à lire le quotidien bundiste ‟Folkstsaytung”. Sygmunt Stein est de moins en moins à l’aise et même franchement inquiet. Un matin, en se rendant au bâtiment de la censure, il voit trois brancards recouverts d’une couverture militaire sous laquelle on devine un corps humain. Il s’inquiète, on lui conseille de s’occuper de ses oignons…
Sygmunt Stein n’hésite pas à dire que les communistes commettent en Espagne l’un de leurs pires mensonges, ce qui n’est pas peu dire. Parmi les premiers à s’engager dans les Brigades internationales, des Allemands et des Autrichiens qui fuient le nazisme (voir le bataillon Thälmann). Mais bientôt, et considérant que le moment est venu de faire main basse sur la guerre d’Espagne, les communistes commencent à structurer ces unités et à recruter en prenant soin de mélanger communistes, démocrates idéalistes et membres de la pègre, ces derniers étant à leurs yeux les éléments les plus sûrs… On sait que les régimes totalitaires privilégient les droits communs au détriment des politiques (tout particulièrement au sein du monde carcéral et concentrationnaire). Ainsi les ‟Comités d’aide à l’Espagne”, avec leur façade philanthropique et démocrate, sont-ils contrôlés de l’intérieur par des communistes, agents de Staline. Sygmunt Stein affirme que le bataillon franco-belge des Brigades internationales est constitué à quatre-vingts pour cent de marginaux (délinquants, clochards, chômeurs, etc.). J’ai eu accès à de nombreux livres et documents sur les Brigades internationales et je dois avouer que cette proportion avancée par l’auteur me laisse pantois — n’aurais-je pas été moi aussi victime de la propagande communiste…?
Ce livre est un document de première importance. Sygmunt Stein ne récite à aucun moment un catéchisme ou ne se laisse aller à des généralités ; il observe et décrit. La précision de ses observations m’évoque les livres autobiographiques de Georges Orwell. Sygmunt Stein signale ce qu’à ma connaissance aucun historien n’a signalé avec une telle netteté : si les Brigades internationales ont attiré des combattants volontaires, d’autres combattants ont été enrôlés de force, raflés par la police et la gendarmerie, aux abords des débits de boissons et des maisons closes, sous les ponts, etc. On pourrait croire que certaines pages de ce livre ont été écrites par Blaise Cendrars ou Pierre Mac Orlan.
Le symbole des Brigadas Internacionales, l’étoile rouge à trois branches.
Les Brigades internationales sont vraiment internationales. Parmi leurs membres, on trouve des Arabes, des Hindous, des Chinois, des Japonais. L’auteur confirme une impression que j’ai souvent eue, à savoir que les combattants les plus sympathiques et les plus cultivés ont volontiers été recrutés chez les Anglais, les Américains et les Scandinaves regroupés dans la brigade Lincoln. Pour continuer dans la désillusion (car Sygmunt Stein agit sur ma petite personne idéaliste comme de la soude caustique), j’apprends que de nombreux combattants des Brigades internationales avaient deux idées fixes : faire une carrière d’officier et s’enrichir grâce au pillage, et qu’ils ont été nombreux à y parvenir.
J’ai publié un article sur ce blog, le 3 février 2012, sous le titre ‟Les Juifs dans la Guerre Civile d’Espagne” :
http://zakhor-online.com/?p=
A ce sujet, Sygmunt Stein apporte d’intéressantes précisions au chapitre 9, ‟Les Juifs dans les Brigades internationales”. Il rapporte ce que je savais : les convictions marxistes de certains Juifs devaient gommer leur judéité, un anachronisme selon eux ; de nombreux Juifs ont été employés dans l’administration des Brigades internationales car elles ‟manquaient de matière grise”. Ils furent les premières victimes des purges effroyables du général Gomez sur lequel je reviendrai.
Parmi les Juifs engagés aux côtés de la République, les Palestiniens — c’est ainsi qu’étaient généralement dénommés les Juifs de la région avant la création de l’État d’Israël. Ces Juifs pensaient que la révolution en Espagne hâterait l’avènement d’un État juif. D’autres Palestiniens venaient en Espagne oxygéner leurs espoirs révolutionnaires : la tournure capitaliste que prenait la société juive de Palestine les décevait. Ces Juifs palestiniens étaient répartis dans différentes brigades. Beaucoup d’entre eux venaient du Parti communiste (MPS) et de l’Hashomer Hatzaïr, un mouvement de pionniers sionistes de gauche. Dans ce groupe, une importante proportion de femmes.
On ne peut parler des Brigades internationales sans évoquer André Marty, surnommé ‟le boucher d’Albacete”. Je n’entrerai pas dans la polémique afin de ne pas surcharger le présent article. L’auteur de la postface, Jean-Jacques Marie (qui ne peut être soupçonné de sympathie envers un homme de l’appareil stalinien), s’efforce d’en faire un portrait plus nuancé, moins émotionnel.
Sygmunt Stein évoque les beuveries et les orgies organisées pour les huiles des Brigades internationales. On pourrait croire à de la vulgaire propagande anti-républicaine concoctée par les nationalistes. Ce n’est malheureusement pas le cas. Observateur infatigable, Sygmunt Stein prend note de ce qui l’entoure sans jamais rapporter des ouï-dire. La République avait déclaré illégales la corrida et la prostitution avant de faire marche arrière. A Albacete, le commandement militaire ordonne de nouveau la fermeture des maisons closes et les prostituées porteuses de maladies vénériennes sont accusées d’être des agents de Franco ayant pour mission de contaminer l’adversaire… Mais, précise Sygmunt Stein, les communistes qui recrutent à tour de bras (les recruteurs sont payés au résultat) ne s’embarrassent guère de formalités médicales (les volontaires ont pourtant l’obligation de passer devant une commission médicale) et n’hésitent pas à expédier en Espagne nombre de porteurs de ces maladies. A ce sujet, il faut lire ce que rapporte le Dr Bernhard Littwach (1902-1998), un Juif berlinois (la plupart des membres du corps médical venus aider la République sont juifs), un médecin généraliste réputé pour la justesse de ses diagnostics. Le commissariat politique se mit à contrôler ses diagnostics et à les modifier à sa guise afin de n’envoyer au repos que les combattants jugés politiquement sûrs… Ce médecin intègre est lui aussi pris dans la toile tissée par les commissaires politiques et il est contraint de multiplier les fausses attestations. Quant aux médicaments et au matériel médical dernier cri fournis en quantité, ils disparaissent pour l’essentiel dans des entrepôts. Le Dr Bernhard Littwach les soupçonne d’être envoyés en U.R.S.S., des soupçons qui se vérifieront.
Un livre dont je recommande la lecture, un livre lui aussi traduit du yiddish. Ci-joint, un document PDF qui fourmille de précisions. Il est intitulé ‟Against Fascism – Jews who served in The International Brigade in the Spanish Civil War” :
http://www.
Le livre ci-dessus a été publié en yiddish en 1964, à Varsovie, sous Władysław Gomułka. On se doute qu’il n’aurait pas été publié dans la Pologne d’alors s’il s’était écarté d’une certaine ligne. Efraïm Wuzek énumère les faits d’armes de la compagnie Botwin. Il rend compte de la volonté des combattants de lutter contre le fascisme, et au prix de leurs vies. Il n’invente rien mais il ne dit pas tout : la face d’une certaine réalité en masque une autre. On sait qu’au cours de la Guerre Civile d’Espagne, Staline, soucieux de passer une alliance militaire contre Hitler, se rapprocha de l’Angleterre de Stanley Balwin puis d’Arthur N. Chamberlain et de la France d’Édouard Daladier. A cet effet, Staline s’érigea en défenseur de la propriété privée et des valeurs de la bourgeoisie. Rien de ce mélimélo ne transparaît dans les souvenirs d’Efraïm Wuzek. La partie la plus intéressante de ce livre a été écrite par sa fille, Larissa, des pages qui occupent une bonne moitié de l’ensemble et qui s’intitulent : ‟Les vies d’Efraïm Wuzek”.
Quelques repères biographiques. Jeune militant sioniste de gauche en Pologne, Efraïm Wuzek part pour la Palestine en 1922 où il s’inscrit au Parti communiste palestinien en 1927. Il revient en Pologne mais le Parti communiste y est interdit. Il repart pour la Palestine où il défend la politique de ‟une terre, deux peuples”. Incarcéré à plusieurs reprises par la puissance mandataire, il part pour Paris en 1937 puis s’engage dans les Brigades internationales. Fin 1948, il est en Pologne où il va faire carrière dans l’appareil communiste. Mis à la retraite, il publie ses souvenirs. La campagne antisémite de 1967 l’incite à quitter le pays pour Israël. Larissa fait un portrait chaleureux de son père, Efraïm, sans jamais donner dans le panégyrique. Elle écrit qu’il est un ‟autodidacte auquel manquera peut-être la capacité d’analyse critique indispensable à une réflexion méthodique.” Le seul passage critique des souvenirs d’Efraïm Wuzek concerne André Marty, ce bureaucrate stalinien imbu de lui-même et constamment occupé à brailler des menaces.