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« Je me souviens » en photographie 2/4

 

« A mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une photographie. » (Emile Zola)

 

Je me souviens de l’appartement de Sigmund Freud à Vienne, Berggasse 19. Je m’en souviens pour l’avoir visité. Ce n’est pourtant pas vers cette visite que ma mémoire me conduit le plus volontiers mais vers ces photographies d’Edmund Engelman, prises en mai 1938. Je découvris ces images en noir et blanc faites à la sauvette, au nez et à la barbe de la Gestapo, dans une galerie du Quarter Latin, rue de Seine, alors que j’étais étudiant. Je découvris  cette  extraordinaire densité d’objets dans un espace très cosy. Ces images qui ne cessent de me suivre, de me poursuivre — pourquoi ? — m’ont laissé pressentir le monde de Sigmund Freud au moins aussi sûrement que ses écrits dont le plus révélateur à mon sens, le plus extraordinaire : ‟Le rêve et son interprétation.”

 

Parmi les innombrables victimes de Staline, je me souviens de Tamara Litsinskaya, je me souviens d’elle par cette photographie format photo d’identité prise par le NKVD et retrouvée dans les archives de la Loubianka :

Tamara Litsinskaya. Née en 1910 à Moscou. Affiliée à aucun parti. Étudiante. Adresse inconnue. Arrêtée le  8 février 1937. Condamnée à mort le 25 août 1937 et fusillée le jour même. Motif de la condamnation inconnu.

 

Je me souviens qu’à Huế, dans la Cité impériale, j’étais hanté par des photographies de Don McCullin, en particulier par celle intitulée ‟Shell Shocked Soldier.”

 

Je me souviens que Gerda Taro, Gerta Pohorylle de son vrai nom, mourut les jambes broyées par un char, quelque part dans les environs de Brunete, au cours de l’été 1937. Je me souviens que son ami Robert Capa, Endre Ernö Friedmann de son vrai nom, mourut les jambes déchiquetées par une mine, quelque part au Tonkin, au cours du printemps 1954 :

La dernière photographie prise par Robert Capa. Indochine, 25 mai 1954, sur la route de Nam Định à Thái Bình. La mine sur laquelle le photographe va sauter est cachée quelque part sur le talus, à droite de l’image. 

 

Je me souviens de la foule pragoise qui tentait de dialoguer avec des équipages de chars soviétiques ; et je me souviens de ces jeunes soldats volontiers désemparés qui s’efforçaient de lui expliquer… Mais de lui expliquer quoi ? Je me souviens de Josef Koudelka, de ses photographies qui montrent des face-à-face pathétiques où celui qui est armé a l’air bien plus hésitant que celui qui lui fait face, les mains nues.

 

Je me souviens de Hugh van Es dont j’ai appris le décès en 2009, par la nécrologie d’un grand quotidien espagnol. J’ai eu une pensée pour lui, à Saigon. J’ai pensé à cette image qui le rendit célèbre, une évacuation de réfugiés par hélicoptère, le 29 avril 1975. Je me souviens de cette autre photographie que j’ai détaillée, dans Paris Match me semble-t-il. J’étais convaincu qu’il me fallait en décrypter le message sous peine de… Mais de quoi ? Aujourd’hui, avec la distance, je lui trouve une étrange beauté, avec cette boue ocre qui unit chaque élément de cette vaste composition, avec ces attitudes de souffrance et ces gestes de compassion. Cette image n’est jamais sortie de ma mémoire et je la détaille une fois encore avec une émotion renforcée par le souvenir de mon émotion d’enfant :

Une scène de la guerre du Vietnam vue par Hugh van Es, comme une peinture en camaïeu… Et une suite de quarante-sept photographies d’une exceptionnelle qualité, certaines signées Horst Faas et Eddie Adams :

http://www.boston.com/bigpicture/2010/05/vietnam_35_years_later.html

 

Je me souviens que dans les souvenirs d’enfance de mon père figure cet épisode. Un char M10 Destroyer du 1er Régiment Blindé de Fusiliers-Marins de la Division Leclerc, posté sous ses fenêtres, rue de Fleurus (il habitait au 27, immortalisé par Gertrude Stein), tira plusieurs coups de canon en direction du jardin du Luxembourg, contre un blockhaus de la rue Guynemer. C’était fin août 1944. J’ai retrouvé une photographie qui retient un instant de ses souvenirs. Mon père me signala qu’une femme, une bouchère me semble-t-il, fut tuée à sa fenêtre dans l’immeuble visible sur ce document, à l’angle de la rue de Fleurus et de la rue d’Assas. Cette scène s’inscrit dans l’attaque du palais du Luxembourg, l’un des points fortifiés par l’Occupant dans la capitale :

Une scène de la Libération de Paris, rue de Fleurus, août 1944. Ci-joint, un lien détaillé rend des combats pour la libération du palais du Luxembourg :

http://www.senat.fr/evenement/archives/D39/lib1.html

 

Je me souviens de Joe J. Heydecker, ce soldat allemand qui prit clandestinement des photographies dans le ghetto de Varsovie et, ainsi, montra au monde l’inimaginable. Je me souviens de cet autre soldat allemand, Heinrich Jöst, qui lui aussi prit des photographies, clandestinement, dans ce même ghetto. Par lui, je me souviens de cette femme dont je ne connais pas le nom :

Une vendeuse ambulante de brassards avec étoile de David. Photographie prise par Heinrich Jöst, le 19 septembre 1941.

 

Je me souviens de Klaus Barbie photographié par Marc Riboud.

 

Je me souviens de cette photographie de Lee Miller prise par David E. Scherman. La correspondante de guerre se lave dans la baignoire de Hitler, après la défaite de l’Allemagne, en 1945. “She got Scherman to photograph her, unclothed, in Hitler’s bath. Her boots are placed in the foreground, covered in the dust of Dachau, which she had visited the day before. The juxtaposition belonged to that Surrealist universe in which dream and coincidence reign” écrit Lucy Davies dans ‟The Telegraph.” Je me souviens aussi de ces photographies de David E. Scherman, de la série ‟Lee Miller in Camouflage.”

 

Je me souviens des photographies prises par George Rodger à Bergen Belsen.

 

Je me souviens des photographies de Pearl Harbor prises par Bob Landry. Elles ne montrent pas l’attaque elle-même mais les résultats de cette attaque, les immenses carcasses tordues et à moitié ou aux trois-quarts immergées et dont ne sort plus aucune flamme, plus aucune fumée.

 

Je me souviens que je découvris l’œuvre de Raymond Depardon par une photographie prise en Libye, en 1978, montrant un camion proportionnellement aussi chargé qu’une bicyclette vietnamienne :


 

Je me souviens du fils d’Errol Flynn, Sean Flynn, reporter de guerre disparu en 1970 au Vietnam et probablement exécuté par les Khmers Rouges. Je me souviens des efforts de sa mère, Lili Damita, pour le retrouver, pour retrouver son corps, ses ossements.

 

Je me souviens de Werner Bischof, de sa photographie emblématique qui montre un petit joueur de flûte cheminant devant la Cordillère des Andes. Je me souviens que Werner Bischof se tua dans un accident de voiture, l’année où fut prise cette l’image, en 1954 donc. Sa voiture s’écrasa au fond d’une vallée de la Cordillère des Andes, comme celle que montre la photographie ci-dessous. La légende dit que ce fut sa dernière photographie :

Un petit joueur de flûte bolivien marche vers Cuzco

 

Je me souviens de cette enfant, l’une des si nombreuses victimes des Khmers Rouges, l’une des au moins 12 580 victimes du S-21, à Phnom Penh, ce lycée français transformé en centre de tortures et d’exécutions :

 

Je me souviens…

 (à suivre)

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