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Les Juifs de Chine (Kaifeng) 2/3

 

II.  Les premiers Juifs en terre de Chine.

Suite à la parution des relations de voyages de Matteo Ricci et d’Alvaro de Semmedo, publiées respectivement en 1615 et 1641 et traduites sans tarder dans diverses langues européennes, savants et théologiens se posent des questions, des questions qui aujourd’hui encore n’ont pas trouvé de réponses définitives. Quand les Juifs arrivèrent-ils en Chine ? D’où venaient-ils ? Quels itinéraires ont-ils suivi ? Pour quelle raison ont-ils quitté leur(s) pays d’origine ? Dans quelles villes de Chine se sont-ils installés ? Autant de questions qui, faute de documents fiables, laissent libre cours à l’imagination, surtout lorsque s’y mêle l’histoire des dix tribus perdues.

 

 

En 1650, Menasseh ben Israël (1604-1657), grand-rabbin d’Amsterdam, fait remonter l’arrivée des Juifs en Chine à la dynastie Zhou (1122-256 avant J.-C.) en s’appuyant sur le verset suivant (Isaïe, XLIX, 12) : ‟Les voici qui viennent de loin, les uns du Nord et de l’Occident, les autres du pays des Sinim.” Il faut lire ‟Espérance d’Israël”, publié chez Librairie philosophique Joseph Vrin, en 1979. Ci-joint, une notice biographique Akadem sur ce rabbin passionné par l’histoire des tribus perdues :

http://www.akadem.org//medias/documents/bio_Menasseben_Israel-Doc3.pdf

Menasseh ben Israël n’est pas le seul à invoquer Isaïe afin d’apporter une réponse au mystère des Juifs de Chine. Pour le grand-rabbin d’Amsterdam, il ne fait aucun doute que ‟le pays des Sinim” renvoie à l’Empire du Milieu et que les Juifs de Chine descendent de la tribu perdue de Ruben, réfugiée en Chine entre 733-732 avant J.-C. (époque de la dispersion d’Israël) et 525-500 avant J.-C. (époque à laquelle se réfère la prophétie d’Isaïe). Mais la Chine n’était alors qu’un patchwork, comme l’Allemagne avant Bismarck. Elle ne s’unifiera qu’en 221 avant J.-C. Par ailleurs, le terme hébraïque Sin et ses variantes qui désignent la Chine ne se rencontrent pas avant le IXe siècle de notre ère. Mais surtout, depuis la découverte d’une copie complète du livre d’Isaïe parmi les rouleaux de la mer Morte, on sait que le terme Sinim (Sevaniyyim) se réfère aux habitants de Syène, ville du sud de l’Egypte. Et passons sur les erreurs d’interprétation en tous genres comme celle de cet honorable lettré chinois non-Juif qui, sur une stèle commémorative érigée en 1489, à l’emplacement de la synagogue de Kaifeng, situait à l’époque des Zhou non pas l’arrivée des Juifs en Chine… mais l’origine du judaïsme… D’autres laissèrent entendre que les Juifs se seraient rendus en Chine pour commercer la soie dès le VIIIe siècle avant J.-C. Les Juifs se lanceront bien dans le commerce de la soie mais postérieurement. Il est donc peu probable que les premières migrations juives remontent à la dynastie Zhou. L’hypothèse de certains jésuites selon laquelle les Juifs seraient arrivés en Chine sous la dynastie des Han (206 avant J.-C. 221 après J.-C.) est plus plausible mais sans preuve, puisqu’elle s’appuie essentiellement sur la tradition orale de la communauté de Kaifeng et sur une inscription gravée dans une stèle érigée à l’emplacement de la synagogue, en 1512.

 

Les premières traces tangibles d’une présence juive en Chine remontent à la dynastie des Tang (618-907 après J.-C.). Elles sont constituées par le fragment d’une lettre rédigée en judéo-perse, sur du papier (un produit alors exclusivement fabriqué en Chine), découverte en 1901 par sir Aurel Stein, dans le Turkestan chinois, une lettre adressée par un marchand juif à l’un de ses compatriotes. L’autre trace, une page de prières rédigée en hébreu découverte par Paul Elliot parmi les documents exhumés par sir Aurel Stein dans une grotte de la province du Gansu. Ces deux témoignages dateraient du VIIIe siècle.

 

Le périple des marchands juifs, notamment des Radhanites, est largement décrit par le Perse Ibn Khordadbeh, dans son ‟Livre des Routes et des Royaumes” qui rend compte des routes commerciales et des peuples de la civilisation musulmane. Au IXsiècle, des marchands juifs se seraient non seulement rendus en Chine mais ils s’y seraient installés. Les annales de la dynastie des Tang ne mentionnent aucune présence juive en Chine ; mais le sinologue Paul Pelliot remarque : ‟A Ningpo, comme dans toute cette région de l’embouchure du Yang-tze, aventuriers et commerçants débarqués de larges jonques persanes, gens de toutes races et de tous cultes, manichéens et mazdéens, musulmans et nestoriens, se heurtaient à des frères venus par l’autre route, par le Turkestan et le Kansou. Il serait étrange que les Juifs se fussent seuls tenus en dehors de ce courant puissant.” Sous la dynastie des Song (960-1279), la présence de Juifs en Chine est une certitude puisque la communauté de Kaifeng édifie sa synagogue en 1163.

 

Les Juifs ont donc pénétré en Chine, individuellement ou en groupe, sur une période qui couvre plusieurs siècles. Il est possible qu’ils aient emprunté les voies maritimes des marchands musulmans, au départ du Yémen et du golfe Persique via l’Inde, pour gagner les ports de Ningpo et Canton. Il est certain qu’ils empruntèrent la voie terrestre, les routes des caravanes, la route de la soie, ainsi que l’attestent les traces ci-dessus évoquées.

 

Des indices laissent penser qu’outre Kaifeng il existait d’autres communautés juives en Chine. Parmi ces indices, citons celui que nous livre Abu Zayd qui, dans sa relation de voyage, fait état du massacre, en 879, à Canton, de ‟cent vingts mille Musulmans, Juifs, Chrétiens et Parsis qui vivaient dans la ville où ils étaient devenus marchands” par le rebelle Huang Chao. La stèle commémorative érigée en 1489 sur l’emplacement de la synagogue de Kaifeng mentionne des Juifs à Ningpo, à Ningxia (province du Gansu) et Huizhou (province de l’Anhui). Quoiqu’il en soit, lorsqu’au XVIIe siècle les jésuites prennent contact avec la communauté de Kaifeng, les autres communautés juives de Chine ont disparu sans laisser de trace.

 (à  suivre)

 

 

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