17 juillet
Iquique (capitale de la 1ère Région de Tarapacá), une ville née du salitre – oro blanco (le salpêtre). Elle s’est enrichie de monuments principalement entre 1880 et 1920, époque où cette ville devint le principal puerto salitrero du Chili. Cette ville d’environ 150 000 habitants pourrait faire l’objet d’un reportage photographique. Le développement de la ville est gêné par une cordillère. Pensé à Barcelone qui subit une même gêne.
Observé les loups de mer le long de la jetée et pensé à leur contribution à la culture des peuples de pêcheurs, aux différents usages qu’ils firent de leur cuir, comme ces embarcations constituées de deux outres (balsas), technique qui fut employée jusqu’aux premiers temps de l’exploitation du salitre.
La place Arturo Prat et ses dix dais en bois ornés de lambrequins sous lesquels sont installés des bancs publics. Au centre, une tour gothico-mauresque, le symbole de la ville.
L’Hostal Catedral où nous passerons trois nuits est situé juste en face de la cathédrale, un édifice aux couleurs fraîches, crème et rose pâle, chapiteaux corinthiens dorés, voûte en plein cintre bleu de cobalt avec étoiles dorées en relief. Dans une chapelle attenante, trois Christ dont un Sr. de los Milagros qui trône, couvert de graffitis, des louanges, et d’ex-voto, petites plaques pyrogravées. A ses pieds, des missives. Derrière, sur le mur, encore des graffitis. Le piédestal est creux avec, sur le côté, une petite porte ; je l’ouvre : missives et ex-voto s’empilent.
Les pélicans d’Iquique.
La flotte de pêche. Coques orange comme passées au minium et intérieurs bleu foncé. Quelques noms d’embarcations : Carmelita, Abuelita, Queen Mary, Cria Cuervos, Escorpión, La Chinita, Renacer, Rosita, Corsario, La Sirenita, Soy como soy.
Flânerie calle Baquedano. La variété du répertoire des styles et rien que du bois. Les pignons ressemblent à des caisses à savon.
Le Chilien n’est pas vif et ses réponses viennent lentement, lorsqu’elles viennent. Et elles sont généralement peu adaptées aux questions.
Museo Regional. Sur le ticket d’entrée, il est écrit : “Denuncié el hallazgo o venta de objetos arqueologicos.”
Notes prises dans ce musée. Cultura Chinchorro (entre 4 000 et 2 000 av. J.-C.), des peuples de pêcheurs. Leur technique de momification est l’une des plus anciennes du monde. Un masque d’argile peint est placé sur un visage. Des figurines d’argile imitent et accompagnent les corps momifiés. Venus de l’intérieur des terres, les peuples de céramistes se mêlèrent aux peuples de pêcheurs ; ainsi le développement du littoral se vit-il activé.
L’influence de la culture Tiwanaku (dont le centre se situait sur l’altiplano du Titicaca) s’étendra au Pérou, à la Bolivie, aux régions septentrionales du Chili et de l’Argentine. Voir son influence sur cette côte désertique – les masques rituels en cuir de loup de mer, la déformation des crânes, etc.
Les géoglyphes (une signalétique) étaient destinés à guider les caravanes qui cheminaient entre la Cordillère des Andes et la côte.
Le rituel des hallucinogènes ; inhalation nasale.
Des almohadillas deformadas ; les déformations les plus courantes étaient de type anular (cráneo cilíndrico) ou tabular (cráneo aplanado y oblicuo, cráneo aplanado y erecto).
Les vêtements en peau de pélican des pêcheurs pré-incas.
Rituel inca : le chien de chasse sacrifié, décapité, sa tête entourée d’une couronne de pointes de flèches (me renseigner).
Les cultes incas rendus au soleil et aux montagnes. Les Crétois les adorèrent aussi, différemment.
Le condor, vénéré des Incas. La tête de cet oiseau présentée en ce musée a été utilisée comme récipient à peinture rouge. Le rouge et le jaune étaient les couleurs caractéristiques de la noblesse.
Les objets religieux de l’altiplano, une synthèse d’éléments chrétiens et aymaras (voir les anses des calices ornées de lamas (camelidos) afin de favoriser la fécondité du bétail.
Dans des vitrines, las fichas salitreras (supprimées le 29 septembre 1924). El intercambio económico obrero-administración no era a través de un medio de cambio monetario sino un cambio de trabajo por medios de vida; las fichas o vales indicaban las mercaderías a obtener (productos de primera necesidad) en almacenes o depósitos conocidos con el nombre de “pulperías”.
Avant de m’endormir, des visions du village d’Isluga.
Dans la cathédrale d’Iquique ; à côté de la statue de Teresa de los Andes est affichée une prière à son intention.
Envoyé une carte postale à M. ; au recto, l’église d’Isluga. “Nous longeons la cordillère des Andes sur des milliers de kilomètres, avec des incursions dans des vallées et sur l’altiplano. Le Chili, pays le plus étiré du monde, est facile à explorer ; il suffit d’aller vers le nord ou le sud. Le plus beau souvenir de ce voyage d’un été 1998 restera probablement la lumière andine, d’une pureté qui ne peut se concevoir en Europe. Lorsqu’on a rencontré cette lumière, le ciel grec lui-même perd. Nous irons de Santiago de Chile à Arica. Nous n’aurons pas de temps pour la Patagonie.”
Dans une boulangerie, le sourire spontané d’une vendeuse. Elle a des ancêtres indiens. Un sourire enfin ! Le sourire qui aide tant le voyageur.
18 juillet
Que le voyageur n’hésite pas à noter sa mauvaise humeur. Pourquoi faudrait-il qu’il la taise ? La noter l’aidera à la surmonter.
Cher Omar Khayyam, tu nous reposes des religions, tu nous réconcilies avec la vie… et la mort.
Un homme politique chilien à la télévision (j’ai omis de noter son nom) ; il ressemble à ces loups de mer observés hier dans le port d’Iquique.
Je ne me porterai pas au secours de certaines suppositions.
Les problèmes que peut poser l’appareil digestif durant le voyage. Entre colique et constipation, il se rappelle à notre bon souvenir et finit par exiger toute notre attention. Le voyageur peut être heureux d’être de retour rien que pour faire ses besoins chez lui.
Une dune immense, el Cerro del Dragón, son échine aiguë. En 1987, un vent inhabituel sema la panique dans la ville d’Iquique, les maisons se remplissaient de sable. Habituellement, des petits vents contraires la maintiennent bien en place.
Sur l’emplacement de notre pension (Hostal Catedral) s’élevait un théâtre (La Torre) où joua Sarah Bernhardt.
Visite de la ville morte Santiago Humberstone, una oficina salitrera – de l’archéologie industrielle. Elle est classée monument national. Durant la Semana del Trabajador Pampino, début novembre, la ville morte retrouve alors vie. Le théâtre pour les ouvriers.
Pampa del Tamarugal (de tamarugo, arbre dont les racines plongent à une profondeur qui correspond environ à dix fois la taille de l’arbre).
Panamericana ; geoglifos de Pintados. Je m’efforce d’en relever certains motifs sur mon carnet.
Pica. Asentamiento español en 1536. Dans l’église, à droite en entrant, La Cène grandeur nature avec tous les apôtres en habits sacerdotaux. Les auréoles sont en zinc gaufré. Judas Iscariote en est privé. Tomad y comed este es mi cuerpo. Le corps du Christ, du bois recouvert de plâtre et de peau de lama d’une belle tonalité brune qui joue admirablement avec le brun rouge de ses blessures. Ses bras sont articulés. De chaque côté de la Vierge, le drapeau chilien. Encore un diminutif : Sta. Teresita de los Andes (Santa Teresita ruega por nosotros). Toute l’église est en bois, y compris les colonnes cannelées qui sonnent creux.
Mangé au restaurant Los Naranjos. Pica est un village qui tire toute sa richesse des agrumes. La serveuse : “¿Que quiere el joven?” A quarante ans passés, ce compliment porte.
L’église de Matilla, son beau campanile. La Cène ; les apôtres sont bien moins expressifs que ceux de l’église de Pica. A côté de Judas Iscariote, des pièces de 100, 50, 10 et 5 pesos. Santa Teresa de los Andes, Juanita Fernández Solar de son vrai nom, est née le 13 juillet 1900. Elle entre chez les Carmélites des Andes le 7 mai 1919 et meurt du typhus le 12 avril 1920. “Cristo, ese loco de amor, me ha vuelto loca” écrit-elle.
Dans chaque église, une représentation sculptée du Christ aux outrages. Son manteau rouge répond au manteau mauve du Christ porteur de la croix.
Le Nord du Chili, ce pays de momies.
Pabellón de Pica (Promontorio de guano de ave). C’est en ce lieu que travaillaient les Chinois réduits en esclavage par les Péruviens. Ils seront libérés par les Chiliens dans leur avancée vers le nord (Guerre du Pacifique). La Playa Chanavaya, au sud d’Iquique, où les corps des Chinois enterrés se sont momifiés. “Los Chinitos parecían dormir” me dit la guide qui en a vus plusieurs au cours de fouilles.
Pueblo de La Huayca. Une petite église bleue construite par les gens du village. Façade en bois avec colonnade et balustrade ; côtés et toit en tôle ondulée. A l’intérieur, la Cène est peinte à même la cloison faite de planches longitudinales.
Retour à La Tirana. L’immense campement s’est réduit à des îlots. Éparpillés, des sacs en plastique captent la lumière du couchant. Dans l’église María del Carmen, une statue de la Vierge est promenée, suivie d’une fanfare frénétique et d’enfants et adolescents des deux sexes qui se contorsionnent, vêtus en Indiens, style western plutôt qu’andin. Le parvis est entouré de publicités Coca Cola. Ces diables qui s’agitent demandent pardon à la Vierge. Le Diable essaye de tenter la Boliviana. Le Condor descend et s’efforce de les séparer, mais en vain. Il remonte alors, demande de l’aide à Dieu qui envoie une fée (hada).
Peluquería unisex Victor Hugo à Pozo El Monte (l’une des communes d’Iquique). L’école a pour nom Los Pampinitos. Le Chili est plein d’adorables diminutifs. Un magasin, Bien Jolie.
Au Chili dinero se dit plata, ce qui convient à un pays qui pour l’heure tire l’essentiel de ses ressources du monde minéral.
Le drapeau chilien et le drapeau des États-Unis, variations sur un même thème.
19 juillet
Iquique (départ 8h45) – Arica (arrivée 13h). Une annonce dans l’autocar Pullman Carmelita : “Demuestre su cultura, ayude a mantener limpio el interior de este transporte.” Le mot culture est employé d’une manière particulièrement juste. Ce mot (comme tant d’autres mots) a été et est tellement trimbalé…
Lorsqu’il arrive, ce qui est rare, que votre regard rencontre leur regard, ils le détournent aussitôt et, généralement, baissent les yeux. Les Chiliens parlent peu. Les transports en commun, les restaurants, tous les lieux publics sont silencieux. Ils n’accompagnent la parole d’aucun geste. Les rares poignées de mains que j’ai expérimentées étaient molles. Au restaurant, les clients ont le nez dans leur assiette. Partout le sourire est rare, le sourire qui réconforte tant le voyageur…
Visite du champ de bataille de Los Dolores qui, le 19 novembre 1879, vit d’un côté les forces chiliennes, de l’autre la coalition Pérou – Bolivie. La bataille dura deux heures et demie ; les Chiliens l’emportèrent.
Passé devant les géoglyphes de Chiza situés juste en bas d’une très longue descente. Le géoglyphe peut être blanc sur fond noir (voir Los Pintados et la technique du raspaje) ou noir sur fond blanc (voir Chiza). Pensé à de possibles interprétations en linogravure.
No confunda su ciudad con suciedad, une inscription qui fait partie du paysage urbain chilien.
On sourit plus à Arica qu’à Iquique. Pourquoi ?
Trouvé une chambre calle Gallo, Hostal La Piramide avec baño privado, ce qui mérite d’être noté : c’est la première fois que je puis m’offrir ce luxe depuis le début de ce voyage.
Des petites maisons de plain-pied années 1930. Beaucoup portent en fronton l’année de leur construction qui constitue ainsi un élément essentiel de leur ornementation.
Les oliviers de la vallée de Azapa (la aceituna azapeña). J’ai une pensée pour les olives de Kalamata et de Sevilla.
Musée archéologique San Miguel de Azapa. Quelques notes prises au cours de cette visite :
Le travail d’estampage auquel j’aimerais me livrer sur les pétroglyphes disposés dans le jardin.
La rencontre de la cultura chinchorro et de la culture altiplánica.
Une momie de nourrisson entourée de fibre végétale, allongée sur un portaguagua de caña, le visage recouvert d’un masque d’argile.
Les keros peints et les keros gravés – et toujours cette envie de me livrer à des travaux d’estampage.
Les embarcations (voir maquettes) constituées de trois éléments : un élément central et, de chaque côté, en retrait, un élément rapporté.
Tinka : plato con figura de animales en el centro, usado para asperjar chicha (un alcohol) en ritos.
El juego de la chaya (papel picado). On s’arrose, on se lance de la farine et des confettis. Les filles et les garçons se chahutent.
Inca Kola, une boisson péruvienne gazéifiée, très mauvaise pour la santé me semble-t-il.
Un géoglyphe encore : un lama inscrit dans un carré. A côté, un régiment d’artillerie s’est fait son géoglyphe : l’insigne du régiment.
Visite du Morro de Arica. Prise de la forteresse le 7 juin 1880. Sur le tube d’un canon sont gravées les armes du Chili et la devise du pays : “Por la razón o la fuerza.”
Des hauteurs vertigineuses avec des coulées blanches de haut en bas : le guano dont la récolte coûta la vie à tant d’hommes. Des cordes pendent le long des falaises. Il y a une vingtaine d’années, des Chiliens sans ressource risquaient encore leurs vies pour récolter ce très précieux engrais, contre la falaise et sans la moindre sécurité.
Un reportage télévisé sur Theresienstadt. Pensé à “Un vivant qui passe. Auschwitz 1943 – Theresienstadt 1944”, un entretien Maurice Rossel (un Suisse, délégué à Berlin du C.I.C.R.) – Claude Lanzmann. On croit rêver, on se pince.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis