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Quelques notes, été 2022 – 7/7

 

(« De Leningrado a Odesa » / L’inquiétude climatique / L’expert au service des politiques / Anthony de Jasay / « El oro de Mussolini »)

Alors que je consulte El Mundo en date du samedi 21 mai 2022, un article en pleine page retient mon attention. Il est question de la réédition d’un livre intitulé « De Leningrado a Odesa », un récit de plus de six cents pages écrit par le capitaine Gerardo Oroquieta Arbiol aidé dans sa rédaction par son compagnon d’armes, le capitaine César García Sánchez. Ce récit vient enrichir la mémoire de la División Azul par laquelle passeront plus de quarante-cinq mille Espagnols, pour des raisons très diverses et pas seulement idéologiques. Ce récit couvre douze années, du siège de Léningrad (avec en particulier Krasny Bor, soit le plus dur combat livré par les Espagnols sur le front de l’Est) au rapatriement des survivants après une longue captivité, à bord du Semíramis en 1954 (soit un an après la mort de Staline), un navire parti d’Odessa à destination de Barcelone.

Le Semíramis arrive à Barcelone le 2 avril 1954, avec des survivants espagnols des combats et des camps. Le régime franquiste saisit cette opportunité. Alors que le navire s’approche des côtes espagnoles, Radio Nacional transmet les noms des survivants, des survivants dont on ne savait plus rien depuis des années. L’émotion est à son comble et dans tout le pays on s’agglutine autour du moindre poste de radio pour écouter cette suite de noms.

Quelques précisions. Sur les quelque 47 000 volontaires espagnols partis pour le front de l’Est, les estimations sont les suivantes : morts au combat : 4 954 ; blessés : 8 700 ; prisonniers : 372. Après douze années passées dans des camps de travail soviétiques, 229 de ces 372 prisonniers reviennent au pays.

La dernière édition de « De Leningrado a Odesa » (Arzalia Editores, 2022) reproduit les dessins et la cartographie de l’édition originale de 1958 publiée à Barcelone par Gráficas Condal. Elle reproduit également les très beaux dessins de Manuel Rodríguez Marín, lui aussi un Espagnol de la División Azul prisonnier des Soviétiques.

Quelques précisions biographiques concernant le capitaine Gerardo Oroquieta Arbiol. Né à Zaragoza en 1917, décédé à San Sebastián en 1972 avec le grade de colonel. Phalangiste, il se bat au cours de la Guerre Civile d’Espagne aux côtés des Nationalistes avant de s’engager dans la División Azul où il commande une compagnie. Participe à la bataille de Krasny Bor au cours de laquelle son unité est quasiment anéantie. Gerardo Oroquieta Arbio blessé est considéré comme mort. Il est fait prisonnier et passe onze années dans divers camps soviétiques. Au cours de ces années il observe ceux qui l’entourent, sans préjugés, ce qui lui permettra d’écrire avec l’aide de son camarade César García Sánchez un volumineux livre de souvenir après son rapatriement en 1954, à bord du Semíramis, un livre écrit dans un style sobre que je me suis promis de lire.

 

 

Les articles alarmistes voire terrifiants se multiplient. L’inflation d’abord. Jusqu’où ira-t-elle ? Une question qui ne peut se contenter d’une réponse simple, considérant les temps que nous vivons. Je ne puis qu’apporter à cette question un élément de réponse nullement original mais que beaucoup poussent de côté : soit une création monétaire gigantesque et qui n’a pas commencé avec la Covid.

Autre sujet d’inquiétude : le réchauffement climatique avec notamment ses effets dévastateurs pour la péninsule ibérique. Les chercheurs de l’Institut océanographique de Woods Hole aux États-Unis signalent que cette péninsule n’a jamais été aussi sèche depuis plus de mille ans. La cause en serait l’effet du réchauffement climatique sur l’anticyclone des Açores, soit une zone à haute pression qui décrit un vaste mouvement giratoire dans l’Atlantique Nord et qui influe grandement sur la météorologie de l’Europe de l’Ouest. D’après les chercheurs de cet institut, la structure de cet anticyclone a beaucoup changé, un changement qui aurait commencé il y a deux siècles, avec son élargissement considérable. J’en déduis que ce changement ne serait donc pas exclusivement lié au changement climatique dût aux gaz à effet de serre. Ce dernier viendrait-il simplement amplifier et accélérer un processus dont il n’est pas à l’origine ?

Cet élargissement de l’anticyclone des Açores a été notamment étudié à partir des stalagmites. Ils révèlent que depuis plus de mille ans les hivers en Méditerranée occidentale sont de plus en plus secs, une tendance appelée à s’accentuer avec l’extension de l’anticyclone des Açores. Les pluies hivernales sont particulièrement importantes pour la péninsule ibérique. Cette tendance à la sécheresse aura des conséquences économiques et sociales considérables. A ce rythme, les espaces propices à la viticulture pourraient disparaître vers le milieu du XXIe siècle et la production oléicole pourrait baisser de 30% vers la fin de ce siècle.

 

J’ai de plus en plus l’impression (une impression à préciser) que toujours plus d’individus, aidés par les médias de masse, ont adopté le scientisme, cette philosophie – cette religion – qui s’est élaborée au XIXe siècle. On peut noter que les politiques font de plus en plus appel à des experts (généreusement payés avec l’argent public, soit l’argent des impôts) pour en imposer, pour s’imposer – de ce point de vue, Emmanuel Macron est un exemple de choix. C’est une tendance générale même si des politiques sont moins enclins que d’autres à solliciter les experts. Ces experts (le seul mot « expert » suffit d’ailleurs à en imposer) sont presqu’automatiquement associés à des scientifiques. Or, à ce que je sache, la science s’efforce de traduire dans son langage ce qui est, sans dire pour autant ce qui devrait être. La science n’est pas un programme politique et que des politiques se servent d’elle et lui fasse dire ce qui les arrange est une autre affaire. Et je pourrais en venir au cas extrême – mais pas tant – de Lyssenko et du lyssenkisme.

L’expert au service des politiques n’a pas la modestie de l’authentique scientifique qui sait que tout modèle scientifique, y compris le sien, n’est qu’une simplification de la réalité, un petit élément d’un puzzle probablement infini, un petit élément qui par ailleurs n’est en rien inamovible. L’authentique scientifique procède et progresse dans une constante remise en question de ses « certitudes ». Par ailleurs, et insistons, les avis des experts divergent (comme généralement ceux des scientifiques) et choisir l’un d’eux plutôt qu’un autre relève d’une démarche politique (protéger et étendre des intérêts particuliers) et non d’une démarche scientifique. On peut éventuellement parvenir à s’accorder sur l’état actuel des connaissances ; il est autrement plus difficile de déterminer les mesures à prendre (fort de l’appréciation de ces connaissances) face à une situation donnée, car les subjectivités – et les intérêts, n’oublions jamais les intérêts – s’affrontent. Imposer des décisions politiques en brandissant des rapports d’experts (éventuellement des scientifiques) relève d’une instrumentalisation de connaissances spécialisées.

 

Anthony de Jasay, un homme qui n’a cessé d’interroger les relations entre l’économie, l’État et l’individu. Ce penseur serait probablement plus connu s’il n’avait pas été aussi indépendant.

Anthony de Jasay a posé des questions essentielles et il a esquissé une alternative à l’État tel que nous le connaissons. L’individualisme d’Anthony de Jasay et ses réflexions sur la liberté ont été activés par sa vie dans une Hongrie où il est né en 1925 et d’où il s’est enfui en 1948. Cette jeunesse en pays socialiste l’incite à combattre le socialisme avec les armes de la logique socialiste et sa soumission à l’État à partir d’un contrat social volontairement accepté, avec redistribution des revenus et de la richesse comme moyen de participer au « common good ». Par ailleurs, Anthony de Jasay œuvre à l’élaboration d’une doctrine libérale cohérente, assez forte pour s’imposer face à ces courants de pensée hybrides qui dominent les sciences sociales et maintiennent les opinions publiques dans la passivité.

Son premier ouvrage majeur en philosophie politique : « The State », appelé à devenir un classique. Il y expose une théorie selon laquelle un gouvernement de par sa nature tend à vouloir toujours plus s’imposer. De même qu’une entreprise cherche à maximaliser ses profits, l’État cherche à maximaliser son pouvoir discrétionnaire et plus ou moins discrètement. L’entreprise s’engage dans la compétition (tout au moins dans une société capitaliste) tandis que l’État s’emploie à redistribuer – c’est le « redistributive drudge ». L’entreprise tend vers le monopole tandis que l’État tend vers le totalitarisme. Cette analyse d’Anthony de Jasay, avec mise en parallèle de l’entreprise et de l’État, découvre une logique autrement plus pertinente que les accusations diverses sur la soif de pouvoir portées envers tel ou tel politique.

 

J’apprends par El Mundo du 11 mai 2022 que Francisco Largo Caballero a tenté d’acheter la neutralité de l’Italie au cours de la Guerre Civile d’Espagne en lui proposant une souveraineté partagée notamment sur les Baléares. C’est ce que révèle Manuel Aguilera à partir de documents inédits, publiés dans son livre « El oro de Mussolini ».

En mars 1937, la République espagnole est bien isolée. Elle ne sait si elle peut compter sur la France ou le Royaume-Uni alors que s’affirme la présence italienne et russe. L’Union soviétique a une attitude ambiguë.

L’idée de négocier les Baléares serait venue de Luis Araquistáin, ambassadeur d’Espagne en France, une idée qu’il aurait soumise à son ami Francisco Largo Caballero, chef du Gouvernement, qui l’aurait à son tour soumise à Manuel Azaña, chef de l’État, et au ministre des Affaires étrangères, Julio Álvarez del Vayo. Ce projet recevra le nom de Schulmeister, un espion autrichien au service de Napoléon Ier.

Dans une lettre, Federica Montseny, alors ministre de la Santé, fait allusion à ce projet, un projet qui ne s’adresse toutefois pas à Mussolini mais à Hitler. Aucun document n’a été établi à ce sujet car une telle démarche de la part de Francisco Largo Caballero aurait été du plus mauvais effet. A ce propos, Hitler considérait que les Baléares devaient plutôt revenir à Mussolini, les Canaries l’intéressaient plus.

Cette affaire très peu connue n’était étayée par aucun document de première main, jusqu’à ce que Manuel Aguilera tombe sur la correspondance entre Luis Araquistáin et Francisco Largo Caballero dans les archives de la bibliothèque de la Stanford University, une découverte faite il y a une quinzaine d’années et qui l’a conduit à vouloir préciser les tenants et les aboutissants de cette affaire dans des archives à Madrid, Londres, Palma de Mallorca, Édimbourg et Rome.

Olivier Ypsilantis

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