Battle of Britain, une part grandissante de l’opinion publique américaine souhaite la défaite du nazisme sans pour autant vouloir l’engagement de leur pays dans la guerre. En septembre 1941, Charles Lindbergh, le leader charismatique de l’America First Commettee réagit dans un discours où il déclare notamment : « The three most important groups who have been pressing this country toward war are the British, the Jewish and the Roosevelt administration ». John T. Flynn lui reproche d’avoir accusé les Juifs en public car il juge ce propos contre-productif. Ci-joint, l’intégralité du discours prononcé à Des Moines (Iowa), le 11 septembre 1941, par le célèbre aviateur :
http://www.charleslindbergh.com/americanfirst/speech.asp
L’attaque contre Pearl Harbor va porter un coup terrible à l’America First Committee qui se voit accusé de manque de patriotisme. En octobre 1944, peu avant les élections, John T. Flynn publie un pamphlet intitulé « The Truth About Pearl Harbour », un pamphlet qu’il augmentera peu après la mort de Franklin D. Roosevelt, en avril 1945. Dans cet écrit, il insiste non seulement sur l’incompétence du président américain, il va jusqu’à déclarer que celui-ci a délibérément favorisé cette attaque afin d’entraîner son pays dans la guerre. Plus exactement, et toujours selon John T. Flynn, Franklin D. Roosevelt ne savait pas vraiment où se produirait l’attaque japonaise (Singapour, les Philippines ou Guam ?) et il n’avait pas prévu un tel désastre, aussi s’empressa-t-il de reprocher à l’amiral Husband E. Kimmel et au général Walter C. Short leur incompétence.
Pearl Harbor est un moment fort de la théorie de la conspiration, avec John T. Flynn en figure de proue. Nombre de Républicains, d’historiens (voir Harry Elmer Barnes et Charles Austin Beard), sans oublier quelques militaires, sont outrés par les accusations lancées à l’encontre de Husband E. Kimmel et Walter C. Short. Bien des années plus tard, Gore Vidal, dans son roman « The Golden Age » (publié en 2000), se fera le propagateur de cette théorie.
Harry Elmer Barnes (1889-1968)
En 1953, Harry Elmer Barnes publie une série d’essais de quelque sept cents pages sous le titre « Perpetual War for Perpetual Peace » (sous-titré « A Critical Examination of the Foreign Policy of Franklin Delano Roosevelt and Its Aftermath ») dans lesquels s’expriment huit auteurs. Franklin D. Roosevelt est accusé d’avoir favorisé l’attaque sur Pearl Harbor, d’avoir entraîné les Alliés dans une guerre où ils ne se sont pas montrés meilleurs que leurs ennemis, et enfin d’avoir brader les intérêts du pays aux conférences de Yalta et de Potsdam. Harry Elmer Barnes n’apporte toutefois aucune preuve tangible à ses accusations. En 1981, quarantième anniversaire de Pearl Harbor, John Toland publie « Infamy: Pearl Harbor and Its Aftermath » où il déclare détenir de solides preuves, des preuves que démentent les Japonais qui se sont efforcés de maintenir un silence radio total. Puis il se lance dans une ronde de si… Si l’Amérique était restée neutre, il n’y aurait pas eu Hiroshima et peut-être pas de Guerre Froide, de course aux armements, de guerre de Corée, de guerre du Vietnam… Il faut lire Stephen Ambrose qui, dans un article du New York Times, en 1992, pose des questions plutôt gênantes aux amateurs de la théorie de la conspiration.
En 1996, le National Security Agency transfère des milliers de documents du US Signal Intelligence Service (Arlington Hall, Virginia) à l’US National Archives. Y figurent de nombreux documents relatifs à Pearl Harbor. Les chercheurs s’y plongent. L’un d’eux, Robert B. Stinnett, publie après dix-sept ans de recherches : « Day of Deceit: The Truth About FDR and Pearl Harbor » où il déclare que non seulement les États-Unis avaient percé le codage japonais mais que les Japonais n’avaient en aucun cas maintenu le silence radio : « Previous accounts have claimed that the United States had not cracked Japanese military codes prior to the attack. We now know this is wrong. Previous accounts have insisted that the Japanese maintained strict radio silence. This too is wrong. The truth is clear: FDR knew ». Des experts en cryptographie ont déclaré après avoir lu le livre en question que l’auteur avait mal interprété les documents consultés, probablement par incompétence. Pour admettre la thèse de Robert B. Stinnett, il faudrait commencer par admettre que tous les officiers chargés de percer le code de la marine nippone participaient eux aussi à la conspiration… puisqu’ils ont affirmé n’y être parvenus qu’après l’attaque…
Fort d’un document intitulé « History of GYP-1 », Stephen Budiansky affirme que le plus ancien document décrypté et traduit date du 8 janvier 1942. Furieux, Robert B. Stinnett se contente d’accuser celui-ci et ceux qui le soutiennent d’avoir des « close ties with the National Security Agency ». Ci-joint, un lien intitulé « Closing the Book on Pearl Harbor » de Stephen Budiansky :
http://www.budiansky.com/ARTICLES_ARCHIVE_files/cryptologia.pdf
Gore Vidal peut être qualifié de revisionist. David Aaronvitch définit le révisionnisme de la manière suivante : « It (revisionism) was (and is) less an alternative way of studying than an adoption of deliberately alternative opinions about the past ». Ci-joint, un long article intitulé « Gore Vidal and Revisionism » :
http://mises.org/library/gore-vidal-and-revisionism
Gore Vidal (1925-2012)
L’idéologue en chef du révisionnisme aux États-Unis est Harry Elmer Barnes. Il définit le révisionnisme comme un « effort to revise the historical record in the light of a more complete collection of historical facts, a more calm political atmosphere, and a more objective attitude ». C’est vague ! A la fin de guerre, avec la découverte des atrocités nazies, la Shoah en particulier, les révisionnistes se trouvent embarrassés. Certains d’entre eux vont alors s’efforcer de trouver une parade en déclarant que les Alliés ne se sont pas mieux comportés que leurs ennemis, avec les bombardements massifs de civils et l’utilisation de l’arme atomique. Harry Elmer Barnes est l’un d’eux. Au début des années 1960, il met en doute l’agressivité de Hitler avant de remettre en cause l’ampleur de la Shoah. Ci-joint, un lien de Jewish Virtual Library intitulé « Holocaust Denial: A Brief History » dans lequel passe la figure de Harrry Elmer Barnes :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Holocaust/denialbrief.html
En lisant « The Drama of the European Jews » (publié en 1964) de Paul Rassinier, Harry Elmer Barnes se voit conforté dans ses préjugés. Il ne nie pas les atrocités, mais il remet en cause leur ampleur. La Shoah ne serait qu’un mythe destiné à rapporter de l’argent au sionisme. Il écrit : « By presenting a reparations invoice based on the figure of six million Jews exterminated, each one representing an indemnity of 5,000 marks, the International Zionist Movement has been concerned mainly with lightening the permanent deficit weighing on the bankers of the Diaspora; indeed, even to get rid of it and transform it into an appreciable profit ». Et il ajoute : « It only weakens the case when, with the use of false documents, the weakest sort of testimony, and statistics outrageously inflated, the State of Israel claims indemnity for six million dead. This complete inaccurate figure only serves Communist and other political causes in Europe, and outright financial purposes in Tel Aviv ». Harry Elmer Barnes est mort en 1968. Une revue encore publiée à ce jour porte son nom, The Barnes Review, un bimensuel négationniste, au sens strict du mot, fondé par Willis A. Carto en 1994 :
http://www.splcenter.org/get-informed/intelligence-files/groups/barnes-review
Après la guerre, John T. Flynn ne démord pas. Il continue à poursuivre ses ennemis, parmi lesquels le défunt Franklin D. Roosevelt. Il s’en prend tout particulièrement à Hollywood, une entreprise dont le but était selon lui de faire basculer l’opinion publique en faveur de l’entrée en guerre du pays. Son argumentation est simple. Les studios de Hollywood avaient d’énormes intérêts avec le Royaume-Uni qui les finançait. Si le Royaume-Uni perdait la guerre « seven of the eight leading (motion picture) companies will be wiped out ». Par ailleurs, Hollywood était toujours selon lui un repère de réfugiés (« swarms with refugees ») guidés par des émotions nationales et ethniques…
En 1944, John T. Flynn s’en était pris à un certain nombre de livres et d’articles qui auraient précipité le pays dans la guerre. Il en vient à présent à dénoncer les communistes et ceux qui ont des sympathies pour eux. Dans son livre « Under Cover », il déclare que les Américains subissent malgré eux l’influence communiste. Dans « Why the Americans Did Not Take Berlin », il s’en prend une fois encore à Franklin D. Roosevelt suspecté de sympathies pour le communisme, d’où l’abandon de la moitié de l’Allemagne et de l’Europe à Staline… Il existe un grand nombre de documents mis en ligne sur cette personnalité de la vie politique américaine.
On se souvient qu’avant la guerre, la droite américaine accusait le New Deal d’être l’œuvre des communistes, des marxistes. Alors que la guerre a pris fin et qu’un rideau de fer (Iron Curtain) est tombé sur l’Europe, il s’opère dans le pays un glissement de l’opinion vers le populisme et la droite. En 1946, les Républicains remportent des succès au Congrès et le président Harry S. Truman surfe sur la vague. Les fonctionnaires (public servants) doivent répondre de leur loyauté.
Été 1949, les Soviétiques testent leur première bombe atomique ; en septembre de la même année, Tchang Kaï-chek est vaincu ; en juin 1950, les Nord-Coréens poussent vers le sud et les États-Unis se retrouvent impliqués dans un lointain conflit. Des Républicains se questionnent : qui est responsable de cette série de désastres ? Les soupçons contre l’administration Roosevelt sont réactivés. Certains la voient infestée de crypto-communistes. L’affaire Alger Hiss va renforcer ces soupçons et alimenter la théorie de la conspiration. Été 1950, le climat se dégrade, avec l’arrestation d’Ethel et de Julius Rosenberg.
Joseph McCarthy, sénateur du Wisconsin, n’est pas plus anti-communiste que la plupart de ses collègues républicains. En janvier 1950, il comprend que la dénonciation d’un complot communiste peut l’aider à structurer sa campagne électorale. Il s’empresse de faire allusion à une liste de membres du State Department supposés être des espions à la solde du communisme. David Aaronovitch écrit : « McCarthy, comments David M. couldn’t have known “whether those individuals were communists, fascists, alcoholics, sex deviants or common liars. As a gambling man he was simply raising on a poor hand, searching for an ace or two before his bluff was called” ». Ses accusations choquent les Démocrates mais aussi des Républicains qui demandent plus de preuves. Aidé par une équipe hétéroclite, dont quelques muckrakers (voir Westbrook Pegler), McCarthy s’affaire à trouver des « preuves », aussi ténues soient-elles. Parmi ses premières victimes, Owen Lattimore.
Joseph McCarthy (1908-1957)
David Aaronovitch juge qu’Owen Lattimore est « guilt by dissociation » et il ajoute : « The technique was not unsuccessful. Even those publications like Times Magazine who were skeptical or hostile to McCarthy were unwilling to risk defending men like the reviled academic. »
John T. Flynn est l’un des plus fervents supporters de McCarthy. Il poursuit de sa colère ces socio-démocrates qui ont promu le New Deal, entraîné le pays dans la guerre et qui, toujours selon lui, ont des affinités avec le communisme. En 1953, il publie « The Lattimore Spy » où il dénonce des écrivains, des journalistes, des éducateurs et des membres influents de l’appareil politique supposés avoir amené le United States Department à trahir la Chine et la Corée au profit des communistes. Vers la fin de sa vie, John T. Flynn s’en prend aux United Nations (UN), accusées de brader la souveraineté américaine.
Pour David Oshinsky (auteur de « A Conspiracy So Immense: The World of Joe McCarthy » dont je recommande la lecture), McCarthy a donné une « explication » simple au déclin américain dans le monde par a massive internal conspiracy. En fait, les États-Unis n’ont jamais été aussi puissants, une puissance qui va se confirmer tout au long des années 1950 et au-delà. Alors ? Le maccarthysme serait l’expression d’un malaise interne, avec la disparition de la organic society (voir James Stewart), un phénomène accéléré, mais non provoqué, par l’engagement des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, avec cet immense brassage au sein même de l’armée américaine. Ainsi que l’écrit David Aaronovitch : « It is hardly too fanciful to suggest that the communist menace was in some way an externalisation of infernal fears about alterations of the passing world. »
Olivier Ypsilantis