26 avril. Kâschan. Nuit dans la maison Khaneh Roz. Tôt le matin dans le jour naissant. La cour fraîche, le chant des oiseaux, les lauriers en fleurs, les pistachiers, les parterres de pensées, la fontaine qui glougloute. Au petit-déjeuner, du pain iranien, conservé dans un panier fermé en fibre végétale, et du fromage blanc, ce fromage blanc qui nous fait remercier Dieu comme l’eau fraîche dans le désert. Ci-joint, la recette de ce pain délicieux entre tous :
http://allrecipes.fr/recette/6148/pain-iranien–barberi-.aspx
En contemplant le jour qui se lève, je pense à ce voyage, à ces intuitions qui m’habitent depuis longtemps et si fortes, si insistantes que je ne puis les taire par fidélité envers moi-même. Je reste convaincu qu’il nous faut passer de vastes traités avec l’Iran, des traités qui marginalisent le monde arabe dans son ensemble, à commencer par l’Arabie saoudite et autres rentiers du pétrole, suppôts plus ou moins déclarés du terrorisme mondial et des tendances les plus sinistres de l’islam, l’Arabie saoudite qui par ailleurs entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec le Pakistan, un pays sunnite radical (où chrétiens et chiites souffrent et sont assassinés). L’alliance avec l’Iran sera une alliance par le haut ; pour être durable, elle doit passer par une connaissance profonde de l’Iran, loin des médias. Une meilleure compréhension de l’Iran ne peut faire l’économie du chiisme, adopté par les Iraniens pour marquer la distance entre la spécificité iranienne et le reste du monde musulman (arabe mais aussi turc), essentiellement sunnite. Et l’iranité est venue poser ses nuances sur le chiisme, au point que l’on peut véritablement évoquer un chiisme iranien. Ce haro en direction de l’Iran me semble de plus en plus suspect. J’espère que la rhétorique guerrière et la surenchère verbale vont être bientôt oubliées. La douce pénétration des capitaux saoudiens, qataris et koweïtiens, notre dépendance en pétrole vis-à-vis de certains pays arabes me semblent être des dangers plus sérieux — car plus insidieux — que le nucléaire iranien.
Vers Téhéran. Les hauteurs sont tavelées ou striées de tonalités nettement différenciées : ocre rouge foncé ou clair, ocre jaune foncé ou clair, brun foncé ou clair, vert antique… Dans ce relief, les travaux de l’érosion sont doux et les formes qu’ils circonscrivent sont curvilignes. En approchant de Téhéran, un lac presque asséché. Le sel déposé forme une immense tache d’une blancheur presque aveuglante sur fond de lointains bleutés. Sous un certain angle, on pourrait imaginer une baie atlantique, écumeuse et moirée. Un peu plus loin, des langues de sable roux avec, par endroits, des concrétions verdâtres disloquées. Au loin, l’énorme chaîne de l’Alborz et ses sommets enneigés au-dessus d’une brume gris-bleu avec le formidable mont Demâvend, un volcan éteint qui de ses 5 661 mètres domine la capitale.
Façade du Musée national d’Iran (1937), construit par le Français André Godard.
Au Musée national d’Iran (appelé aussi Musée archéologique d’Iran) inauguré en 1937. Ci-joint un lien de La Revue de Téhéran (N° 18, mai 2007) intitulé ‟Le Musée national d’Iran” :
http://www.teheran.ir/spip.php?article273
Et un lien sur l’architecte André Godard (1881-1965) qui en a dessiné les plans. Il s’agit d’une notice biographique (en anglais) élaborée par Encyclopædia Iranica :
http://www.iranicaonline.org/articles/godard
Ce musée se divise en deux parties principales avec un bâtiment dédié au pré-islamique et un autre à l’islamique. Par manque de temps, je ne visiterai que le pré-islamique ; il m’intéresse davantage, notamment, l’Elam, Suse et les bronzes du Luristan qui m’accompagnent depuis l’enfance.
Quelques notes prises à la hâte et enrichies de liens :
Un homme de sel (âge trente-sept ans, découvert en 1993). Ci-joint, un article de La Revue de Téhéran (N° 36, nov. 2008) intitulé ‟Les hommes de la mine de sel de Tchehrâdâd” :
http://www.teheran.ir/spip.php?article826
Des rythons parthes dont le bouquetin et le bœuf à bosse.
Statue en bronze de taille réelle d’un prince parthe en pantalon de style bakhtiari (très ample).
Petits bronzes séleucides dont un Zeus et une Athéna.
Tablettes sumériennes en argile saturées de cunéiforme, dont une tablette de comptabilité venue de Persépolis.
Une merveilleuse petite tête en lapis-lazuli achéménide trouvée à Persépolis.
Des éléments colossaux venus de Persépolis, dont des chapiteaux zoomorphes. La claire influence assyrienne.
Une statue de Darius en granit gris venue d’Égypte orientale et transportée jusqu’à Suse.
Parmi les plus ravissantes pièces de ce musée, les poteries zoomorphes de Mârlik. Ci-joint, un article de La Revue de Téhéran (N° 58, sept. 2010) intitulé ‟Un rython en forme de zébu : un trésor archéologique de Mârlik” :
http://www.teheran.ir/spip.php?article1252
Poteries à long bec horizontal de Qom (début du 1er millénaire av. J.-C.).
Poteries décorées à l’ocre rouge de Sialk (Kâshân, 1er millénaire av. J.-C.). Ci-joint, un article de La Revue de Téhéran (N° 22, sept. 2007) ; il est intitulé ‟Les collines de Sialk, Kâshân” :
http://www.teheran.ir/spip.php?article161
Des bronzes et de la poterie du Lursitan, une poterie aux motifs volontiers géométriques (striés) avec, parfois, des variations sur le bouquetin. Les bronzes du Luristan, mon tout premier contact, j’étais enfant, avec la culture iranienne. Ci-joint, un lien de Encyclopædia Iranica intitulée ‟Bronzes of Luristan” :
http://www.iranicaonline.org/articles/bronzes-of-luristan
Des objets en bitume de Suse. Ci-joint un livre qu’il me faudra lire : ‟Le bitume dans l’Antiquité” de Jacques Connan :
http://clio-cr.clionautes.org/le-bitume-dans-l-antiquite.html#.U3hk9l7gR5Q
Et cette poterie étonnante que La Revue de Téhéran (N° 1, déc. 2005) évoque dans un article intitulé ‟Le premier « dessin animé » du monde bientôt exposé au Musée national d’Iran” :
http://www.teheran.ir/spip.php?article677
Suse (IVe millénaire av. J.-C.)
Dernières heures iraniennes. Discussion en anglais et un peu en français avec le réceptionniste de l’hôtel. Lecture du Tehran Times du 17 avril 2014. Quelques titres : ‟First Iranian stock brokerage center opens in London”, ‟Fars Province, cradle of Persian Empire”, ‟Spain unemployment to take 10 years to recover”.
27 avril. Teheran Imam Khomeini International Airport – Frankfurt am Main, à bord d’un Airbus A340-300 de la compagnie Lufthansa. Frankfurt am Main, la piste que moire la pluie, à peine visible dans les brumes. Frankfurt am Main – Barcelona à bord d’un Airbus A321. La nostalgie de l’Iran, déjà. Mais en Iran ne m’arrivait-il pas d’avoir la nostalgie de l’Espagne ? Dans Barcelona-El Prat Airport, terminé la lecture de ‟Introduction to the Holy Gâthâs” où passent les noms d’Abraham-Hyacinthe Anquetil-Duperron et d’Eugène Burnouf, des précurseurs qui établirent les études de l’Avesta comme une branche reconnue du savoir, des Français précurseurs en la matière qui furent suivis par des Allemands qui excellèrent dans les études iraniennes (religion, histoire, philologie). Mon regard quitte régulièrement cette lecture pour admirer l’aéroport. Il y a quelques heures, j’admirais des poteries de Suse et des bronzes du Luristan ; à présent, j’admire l’ultra-moderne. N’être que regard. Naître pour admirer et célébrer.
De retour chez moi et avant de refermer ce carnet de voyage, je feuillette deux gros volumes achetés à Prague dans les années 1980, dans l’antre d’un bouquiniste, deux volumes qui pesèrent lourds dans le sac à dos du voyageur ferroviaire que j’étais alors ; ces deux volumes : ‟Histoire des Perses (d’après les auteurs orientaux, grecs et latins et particulièrement d’après les manuscrits orientaux inédits, les monuments figurés, les médailles, les pierres gravées, etc.”, deux volumes du Comte de Gobineau reliés en cuir rouge et édités chez Henri Plon, imprimeur-éditeur, en 1869. Je relève ces mots qui corroborent ce que j’ai toujours pensé, par l’intuition puis par l’étude : ‟Enfin, les Iraniens ont occupé grandement le monde de l’intelligence, car, par la situation mitoyenne des contrées qu’ils ont successivement envahies, ils ont été de constants médiateurs entre l’Asie orientale et l’Europe, et ont eu charge de faire circuler de l’une à l’autre de ces régions les notions de toute nature élaborées chez chacune d’elles. La religion non moins que l’histoire a souvent passé par leurs mains. Ce sont des faits dignes d’attention”. Et l’autre peuple qui mérite cette même considération et pour les mêmes raisons (bien que ce peuple ait été longtemps privé de territoire) est… le peuple juif.
Olivier Ypsilantis
Intéressant votre voyage en Iran. c’est une destination peu connue par les autres voyageurs. On lit trop peu d’avis sur ce pays.
Merci pour votre article
Merci, Olivier, pour ce long reportage et ses magnifiques photos. Ça donne envie d’y aller et de discuter avec des Iraniens, mais seulement quand cet immonde régime sera tombé.
Était-ce un voyage organisé ou est-il possible de louer une voiture et de se promener à sa guise ?
Cher Olivier
Quel voyage! Vous m’avez donné envie d’y aller quand…ils seront redevenus fréquentables.
Avez-vous été libre de vos mouvements? Avez-vous pu discuter avec les gens comme vous le vouliez?
Bref, vous avez encore beaucoup de choses à nous raconter!
Je ne parlerai que de ce que j’ai vécu. Les Iraniens vous abordent spontanément, le principal obstacle étant la langue. Rien à voir avec la peur que j’ai pu lire dans l’URSS de Brejnev ou la Roumanie de Ceaucescu. J’ai confiance dans le peuple iranien ; mais il me faudrait écrire : les peuples iraniens. L’Iran est l’un des rares pays qui me donnent un peu d’optimisme, avec Israël. Nous en parlerons.