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« Universalisme de la foi juive » – En lisant Léon Askénazi

 

Religion universelle et religion universaliste, quelle est la différence ?

Une religion de type universel prétend englober le genre humain. Elle est de par sa propre logique interne prosélyte et « impérialiste », ce qu’a longtemps été le christianisme. Il semble toutefois que depuis Vatican II, la chrétienté s’oriente toujours plus vers une religion de type universaliste.

Une religion de type universaliste envisage que tout être humain puisse « faire son salut » moyennant certaines conditions minimales, essentiellement morales. C’est le cas du judaïsme avec les « sept lois de l’alliance de Noé ».

Ces deux types de religions renvoient donc à deux types de monothéismes : la religion universelle pouvant être représentée par l’islam, la religion universaliste par le judaïsme.

Le calendrier hébraïque est articulé par deux notions centrales de la foi biblique : Rosh Hashanah et Pessah. En dépit du caractère impénétrable de la direction de son histoire, le monde a un Créateur ; le Salut est donc possible, d’où l’optimisme métaphysique absolu à la base de la foi juive. Toutefois cet optimisme ne pouvait s’appuyer sur un raisonnement abstrait, il fallait que l’expérience historique le soutienne. Cette expérience est celle d’Israël à la sortie d’Égypte. A ce propos, la Torah a donné à la révélation du Sinaï une préface circonstanciée des événements de la sortie d’Égypte : « C’est bien Moi qui t’ai fait sortir d’Égypte et voici ma Loi… »

L’Hébreu sait que la condition de créature est une condition d’exil. Ce « mal-être » existentiel est expérimenté par toutes les cultures, toutes les traditions, chacune à leur manière. Toute expérience religieuse commence par la découverte d’un vice de forme qu’il y aurait à guérir – voir par exemple le problème moral dans la théologie chrétienne. L’homme se sent existentiellement en exil, la littérature mondiale de toutes les époques en témoigne. Et si l’optimisme métaphysique de l’âme hébraïque contraste avec la conscience tragique de l’âme grecque, les Hébreux n’en éprouvent pas moins l’exil, l’éloignement, ce qui lui permet de comprendre, par empathie, la tragédie existentielle des non-Hébreux qui ignoreraient que l’exil prendra fin.

Le monde s’interroge. Il découvre un peuple qui porte l’exil et la délivrance (Galout / Gueoulah), un peuple dont l’histoire traverse toutes les cultures. L’histoire d’Israël porte la preuve que la fin de l’exil est possible. Rosh Hashanah, jour de la Création – et commencement de l’exil du monde – conduit à Pessah, jour de la fin de l’exil. Pour l’Hébreu, ces deux expériences ne relèvent pas du raisonnement philosophique ou théologique et c’est ce qui explique la dimension universaliste de la foi d’Israël. Abraham et Moïse n’étaient pas des théologiens et la marque qu’ils ont laissée dans l’histoire des hommes n’a rien à voir avec les (savantes) thèses qui traitent d’eux. Abraham et Moïse, des expériences de vie et non pas des thèses d’école.

La question pour Abraham n’est pas de croire en l’existence du Créateur, de s’interroger à ce sujet, car Abraham sait qu’il y a un Créateur, mais d’avoir confiance dans la réalisation d’une promesse ; Abraham aura une descendance. La théologie post-biblique et post-hébraïque a radicalement dénaturé l’objet de la foi d’Abraham pour qui il ne s’agissait pas de croire que Dieu existe mais de lui faire confiance. Voir le mot hébreu émounah que le mot « foi » ne traduit qu’à moitié ; émounah est confiance, confiance dans les accomplissements de Dieu.

Pour Abraham, il s’agissait de faire confiance en une promesse de fécondité qui, alors, ne pouvait que lui sembler invraisemblable. La parashah (section biblique) du jour de Rosh Hashanah est celle de la naissance d’Isaac et non celle de la Création. Abraham est apparu en fin de cycle de civilisation, c’est pourquoi cette promesse lui parût invraisemblable : « Tu seras bénédiction pour toutes les familles de la terre » (Cen. XII, 3). Mais, rétorquera-t-on, puisque c’est Dieu qui promet, quel mérite a-t-on à croire en Sa promesse ? C’est précisément parce que c’est Dieu qui promet que cela ne se réalise pas forcément et qu’en conséquence Lui « faire confiance » est un événement considérable. Et c’est le paradigme de toute l’histoire d’Israël.

Ainsi, durant deux mille ans, nous savions que le retour à Sion se réaliserait, une certitude invraisemblable. La certitude hébraïque selon laquelle il y a un Créateur et que le salut est donc possible n’a rien à voir avec la théologie philosophique, elle est de l’ordre de la vertu.

Abraham se reconnaît comme créature, soit un être qui n’existe que parce qu’il reçoit l’être qui le fait exister : il connaît son Créateur. Dieu a contracté une alliance avec Abraham qui s’est montré prêt à être Son partenaire ; et Il a apposé sur ce contrat le sceau d’éternité. Toute créature peut partager cette expérience ; c’est pourquoi lorsqu’un non-Hébreu rejoint la tradition des Hébreux il est nommé fils d’Abraham.

Ils sont nombreux les versets de la Torah qui dénoncent l’incapacité des Hébreux à reconnaître que c’est Dieu qui les a fait sortir d’Égypte. L’Égypte peut être également envisagée d’un point de vue générique, soit ces pays où les Hébreux (les Juifs) ont été asservis, persécutés voire assassinés. L’Égypte a été l’Europe. Tout se passe comme si le peuple d’Israël d’alors pensait que c’était Moïse et personne d’autre qui les avait fait sortir d’Égypte. Cette attitude se retrouve chez des Juifs d’aujourd’hui, avec deux fortes tendances : d’une part, les harédim qui feignent d’imputer le rassemblement des exilés uniquement à Theodor Herzl et au sionisme ; d’autre part, des sionistes « laïcs » qui se scandalisent à l’idée qu’il s’agit bien de la réalisation de promesses prophétiques.

Le peuple juif d’aujourd’hui est bien le peuple dont parle la Bible. Confronté aux mêmes événements invraisemblables, il réagit de la même manière. Et ils sont nombreux les non-Hébreux qui voient dans les événements du sionisme contemporain la main de Moïse, celui qui guida les Hébreux hors d’Égypte, mais aussi la main de Dieu.

C’est étrange. La Bible évoque des événements qui se répètent, et dans leurs détails. Les Juifs peuvent donc se poser la question : quelle est notre part de liberté si tout est écrit ? La piété juive n’exclut pas la liberté, en aucun cas ; elle dit : avant l’événement, je suis absolument libre de me conduire comme bon me semble ; mais une fois l’événement accompli, je sais qu’il est le fait de la volonté du Créateur et il me revient de prendre sur moi toute la responsabilité. Les kabbalistes éclairent ce problème dans la différence de niveau entre le destin individuel, a priori libre, et le destin collectif, qui n’est autre que la volonté du Créateur.

 Olivier Ypsilantis

3 thoughts on “« Universalisme de la foi juive » – En lisant Léon Askénazi”

  1. Vous écrivez: “Ainsi, durant deux mille ans, nous savions que le retour à Sion se réaliserait, une certitude invraisemblable” Cette phrase, vous vous en doutez, me parle particulièrement. Me parle aussi la différence que vous faites entre une religion impérialiste et une religion universaliste. J’avoue ne jamais y avoir pensé.
    Entre le mot גולה gola (=galut) exil et le mot גאולה geoula, il n’y a qu’une lettre de différence, le א (Dieu) rajouté dans le deuxième: gueoula, la délivrance.
    Quant au mot emouna, אמונה, la foi, confiance, sa racine אמן se retrouve dans le mot אמון, éducateur, et ses dérivés ainsi que dans אמון (imoun) entrainement, comme ceux de l’armée.
    Vous parlez aussi des 7 lois de Noé: les non-Juifs qui les respectent sont appelés בני נוח Bnei Noa’h, les fils de Noé. Le rav Ouri Cherki, un des élèves de Manitou, a créé le Cenre Noahique Mondial:
    https://www.youtube.com/user/PourlesNoachides
    https://noahideworldcenter.org/wp_fr/#gsc.tab=0
    Merci pour vos articles. Bien amicalement,

    1. Merci Hannah pour toutes ces précisions. De fait, lorsque j’évoque le peuple juif et Israël, je me sens comme un biréacteur avec un réacteur en panne : je ne parle pas l’hébreu. Je me console en me répétant que nombre de Juifs en sont ignorants, ce qui est une bien piètre consolation j’en conviens.

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