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Une suite espagnole – 5/10

 

Tableau 6

Lorsqu’il est question de la Guerre Civile d’Espagne, on pense surtout à la violence pratiquée par les rebelles, soit ces militaires désireux d’en finir avec la IIe République. La violence des « Blancs » ne doit pas cacher celle des « Rouges », aussi ai-je décidé dans ce Tableau 6 de faire une brève présentation d’une violence volontiers poussée de côté. Les vaincus ne sont pas nécessairement des Anges et les vainqueurs ne sont pas nécessairement des Démons, les seuls Démons.

Loin de ce petit monde dualiste, des historiens dignes de ce nom ont commencé il y a plus de vingt ans à fouiller les archives. Parmi eux, le professeur José Luis Ledesma Vera. Je m’empresse de préciser qu’il suffit d’évoquer el terror rojo pour être aussitôt soupçonné de sympathies franquistes. Il est vrai que le régime franquiste a usé et abusé de cette expression pour mieux cacher ses pratiques de terreur au cours de la guerre civile puis au cours des années immédiatement postérieures alors qu’il était pleinement installé au pouvoir. Pour ma part, j’ai toujours détaillé les deux faces d’une monnaie avec une même attention. Les uns et les autres ont assassiné et massivement, je dis bien assassiné, ce qui suppose qu’ils ne se sont pas contentés de tuer des ennemis au combat.

 

 

17 juillet 1936, la rébellion militaire est en marche. Elle part de Melilla, enclave espagnole au Maroc. Cette rébellion conduite principalement par Franco (mais il me faudrait citer d’autres noms de généraux) fait ses premières victimes. Les rebelles ne sont pas les seuls à se lancer dans la danza de la muerte. Les pistoleros de gauche font des victimes à Sevilla, capitale de l’Andalousie, première grande ville où prend l’insurrection venue de Melilla. Ce sont probablement les premières victimes des « Rouges » et leurs noms seront gravés dans le marbre dès la fin de la guerre en tant que « asesinados por los marxistas », pour reprendre une formule consacrée par le régime franquiste, le terme « marxiste » étant devenu avec lui un terme générique synonyme du Mal absolu – terme qui semble ignorer la composante anarchiste si puissante en Espagne. Dans les jours qui suivent, des insurgés et des religieux sont tués ou assassinés, à Madrid, Málaga, Alicante et dans divers villages de La Mancha et d’Andalucía. A Barcelone, des insurgés blessés sont exécutés sommairement. Idem à Madrid, notamment à la caserne de la Montaña où après être venus à bout de la résistance des miliciens massacrent autant qu’ils le peuvent. Le nombre des victimes des « Rouges » ne cesse d’augmenter au cours des semaines qui suivent ce 17 juillet 1936. Et dans le pays des colonnes de fumée s’élèvent au-dessus des églises et des couvents. Les réquisitions et les contrôles se multiplient comme se multiplient les sigles des partis et des syndicats barbouillés sur les véhicules. Toute la violence sous-jacente et à peine contenue au cours des années 1930, soit la IIe République, commence à déborder de partout. Insistons : il ne s’agit pas d’une simple réaction face à une tentative de coup d’État mais de l’expression bien d’une violence larvée et avait toutefois causé bien des victimes. On ne comprendra rien à ce temps de l’histoire de l’Espagne aussi longtemps que l’on ne tiendra pas compte d’une complexité particulière, loin de l’idée d’une Espagne tranquille, gentiment républicaine et dérangée par une bande de traîneurs de sabres.

Ce temps de l’histoire de l’Espagne est particulièrement embrouillé et, de ce fait, particulièrement intéressant. Il ne peut être abordé d’une manière manichéenne. Par cette remarque je veux insister sur l’inanité du discours franquiste mais aussi du discours de gauche, aujourd’hui, en Espagne.

Non ! Les Espagnols ne sont pas une race sanguinaire – una raza sanguinaria – comme on a pu le dire. Les Espagnols ne sont pas plus sanguinaires que leurs voisins. Pour espérer comprendre un peu quelque chose à cette affaire, il est préférable de s’attacher à l’étude historique, ce qui implique une pratique pluridisciplinaire et de la modestie. La génétique n’a pas sa place dans embrouillamini espagnol. Cette pratique pluridisciplinaire implique des analyses croisées et une forte capacité de synthèse, des synthèses ouvertes, capables d’admettre de nouvelles données et à tout moment.

La culture démocratique n’est guère présente dans le XIXe siècle espagnol. Certains historiens ont dénoncé ce manque et évoqué une « cultura de la guerra civil ». Des historiens parmi lesquels Pío Moa ont présenté la IIe République et le Frente Popular comme une période d’extrême violence et de chaos, de guerre révolutionnaire en marche. José Luis Ledesma Vera refuse la radicalité de cette approche sans pour autant la juger inepte. Ainsi refuse-t-il ce schéma convenu et véhiculé par la gauche espagnole d’une solide démocratie menacée par des droites, par le « fascisme », mot qui ne cesse de revenir dans les discours de nombre d’individus nullement préoccupés par la complexité de l’histoire, une complexité qui lorsqu’elle est respectée et admise permet d’approcher de quelques pas ce qui a vraiment été, soit un peu de vérité historique. Je dois reconnaître que je tire un peu du côté de Pío Moa auquel je suis reconnaissant d’avoir déchiré ces saintes images devant lesquelles les gauches espagnoles nous prient de prier.

Les années qui précèdent la Guerre Civile d’Espagne voient s’exprimer une culture de la violence politique, avec rhétorique belliqueuse pratiquée par l’ensemble du spectre parlementaire. Par ailleurs, le Frente Popular est beaucoup plus agressif que le Front Populaire, ce qu’explique probablement, au moins en partie, le poids conséquent de la bourgeoisie en France, un poids qu’elle est loin d’avoir en Espagne.

 

Concurso de Carteles del Frente Popular Republicano - published by Mskin4 on day 2,088 - page 1 of 1

 

On sait qu’après le 17 juillet 1936, dans la zone contrôlée par les insurgés, mais aussi dans la zone encore tenue par la République, bien plus importante, de vieux litiges sociaux et politiques se règlent par la mort, avec multiplication des exécutions sommaires. Mais la guerre civile était-elle inévitable ? La question restera sans réponse, tout au moins n’ai-je pas la prétention d’y répondre. Ce qui est certain : la rébellion militaire met le feu aux poudres, de la poudre partout répandue. Cette rébellion donne une formidable accélération à une violence latente. De ce fait, au cours des premières semaines de la guerre, les exécutions sommaires sont particulièrement nombreuses. La République oppose le contragolpe au golpe avant d’en revenir à un minimum de légalité dans l’exercice de la justice. Au cours de ces premières semaines, ceux qui ont pris les armes contre la République ont peu de chance d’avoir la vie sauve s’ils se font prendre. Le 11 août 1936 (soit un peu moins d’un mois après le soulèvement militaire parti de Melilla), à bord du vapeur « Uruguay » amarré dans le port de Barcelona sont rassemblés la plupart des militaires détenus par les forces de la République dans la ville comtale. Les généraux Manuel Goded et Álvaro Fernández Burriel y sont jugés expéditivement puis exécutés dans la forteresse de Montjuïc. Trois jours plus tard c’est au tour des responsables de la rébellion à Madrid d’être jugés (un peu moins sommairement), soit le général Joaquín Fanjul et le colonel Tomás Fernández de la Quintana. Les troupes du général Juan Yaguë entrent à Badajoz a fuego y sangre. Des massacres s’en suivent le 14 et 15 août 1936. Le nombre des victimes n’a jamais été établi avec certitude et oscille entre plusieurs centaines et plusieurs milliers selon l’inclinaison idéologique des uns et des autres. Le 17 du même mois, le général Joaquín Fanjul et le colonel Tomás Fernández de la Quintana sont fusillés. La République accélère le rythme des exécutions. Idem à Málaga, Almería, Albacete, Guadalajara et Menorca où les Tribunales populares se mettent en place à partir de la mi-août, donnant ainsi un semblant de légalité, sachant que les procès se terminent à coup sûr par une condamnation à mort et l’exécution presqu’immédiate. Un mot à propos de l’exécution du général Joaquín Fanjul. La femme qu’il vient d’épouser, le fils de cette femme et l’exécuteur testamentaire (albacea) accompagnent le corps au cimetière de Nuestra Señora de la Almudena. L’exécuteur testamentaire et le fils sont assassinés par surprise au bord de la tombe du général encore ouverte.

Les exécutions au cours de la deuxième quinzaine de juillet et de la première quinzaine d’août 1936 ne sont presque jamais précédées d’un jugement aussi sommaire soit-il. La République agit dans l’urgence. Les actes de cruauté envers les militaires rebelles ne sont pas rares et je passe sur de terribles descriptions. Les responsables de la rébellion en zone tenue par la République ne sont pas les seuls à être assassinés, loin s’en faut. Je m’arrêterai simplement sur les « trenes de la muerte ».

Début août 1936, des hommes de droite (derechistas) ou accusés de l’être sont retenus prisonniers dans la cathédrale de Jaén. Ils sont environ huit cents et leur situation commence à poser problème aux autorités, surtout depuis l’assaut contre la prison d’Úbeda, dans la province de Jaén, le 30 juillet, assaut au cours duquel une cinquantaine de détenus ont été assassinés. Les autorités décident donc de transférer par chemin de fer plusieurs centaines de ces hommes à la prison d’Alcalá de Henares, non loin de Madrid. Un premier convoi est organisé. Arrivé en gare d’Atocha, le 11 août, à Madrid, onze hommes sont sélectionnés (parmi lesquels des députés conservateurs et des représentants du patronat agricole) et aussitôt abattus. Le jour suivant, un convoi de deux cent cinquante hommes est organisé, toujours par chemin de fer. Il est stoppé à peu de distance de Vallecas, dans les environs de Madrid. De nombreux miliciens l’encerclent. Trois mitrailleuses sont placées à quelques mètres les unes des autres et à une cinquantaine de mètres du train. Environ deux cents hommes sont abattus par groupes d’importance variable.

Olivier Ypsilantis

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