Afin de compléter ce très succinct article sur cette héroïne grecque, je joins une présentation (en anglais) du livre « The Improbable Heroine », sous-titré « Lela Karayannis and the British Secret Services in World War II Greece », par l’auteur, le professeur Stylianos Perrakis (Concordia University), et le professeur Stathis Kalyvas (University of Oxford), une vidéo d’une durée d’environ 50 mn :
Une erreur d’appréciation concernant la Résistance grecque au cours des années de l’Occupation est de ne l’envisager que sous la forme de la guérilla, de l’Andartiko (Ανταρτικό), le guérillero. De même, dans la mémoire collective, la Résistance grecque est trop souvent associée à l’E.A.M.-E.L.A.S. où l’influence communiste était prépondérante. Certes, il ne s’agit pas d’amoindrir l’importance de cette branche de la Résistance grecque, de fait la plus importante, il s’agit aussi de ne pas oublier qu’elle n’a été qu’une branche parmi d’autres branches qui méritent qu’on ne les oublie pas.
Lela Karayannis (1898-1944)
La Résistance grecque ne s’est donc pas limitée à une activité de guérilla. Elle a pris d’autres formes. Tout d’abord, un vaste mouvement social non violent s’est spontanément manifesté à Athènes. Par ailleurs, un certain nombre de petits groupes se sont organisés en collaboration avec les services secrets britanniques actifs au Moyen-Orient avec leurs agents grecs. Leur sensibilité politique était étrangère au communisme lorsqu’elle n’était pas anti-communiste.
La biographie de Stylianos Perrakis sort de l’ombre une femme d’un courage admirable et très peu connue hors de Grèce. Cette biographie souligne par ailleurs l’efficacité qu’a eu dans la lutte contre l’Occupant la Résistance non-communiste, hors de l’E.A.M.-E.L.A.S. donc, à commencer par l’E.D.E.S. auquel appartenait Lela Karayannis.
Bref aperçu de l’E.D.E.S. Ce mouvement soutenu par les Britanniques est le seul rival sérieux de l’E.A.M.-E.L.A.S. pour le contrôle de la Résistance grecque. Conduit par Napoleon Zervas, l’E.D.E.S. est à l’origine un mouvement républicain et vénizéliste qui coopère pour un temps avec l’E.A.M.-E.L.A.S. contre l’Occupant. Mais ces deux branches de la Résistance grecque finissent par se combattre. Les Britanniques s’efforcent de renforcer l’E.D.E.S., non seulement pour lutter contre l’Occupant mais aussi pour contrebalancer l’E.A.M.-E.L.A.S. L’E.D.E.S. ne parvient toutefois pas à étendre son influence au-delà de l’Épire. Lorsque les combats se déclenchent entre l’E.A.M.-E.L.A.S. et les Britanniques (en décembre 1944), les forces de l’E.D.E.S. sont balayées en quatre jours par l’E.A.M.-E.L.A.S. De fait, les Britanniques et le gouvernement en exil du roi Georges II avaient commencé à redouter une prise du pouvoir par les communistes (par l’E.A.M.-E.L.A.S. donc) avant même le départ de l’Occupant. Dans un premier temps, les Britanniques s’efforcent d’affaiblir l’influence de l’E.A.M.-E.L.A.S. hors de Grèce en renvoyant ses représentants auprès du gouvernement grec en exil tout en commençant à dessiner les grandes lignes de ce qui sera le plan « Manna », soit l’envoi d’un puissant corps expéditionnaire en Grèce lors de la retraite allemande afin d’empêcher tout coup de force communiste. Mais ceci est une autre histoire.
Revenons-en à Lela Karayannis. Avant de s’engager dans la Résistance, cette femme de quarante-trois ans n’a aucune expérience d’un quelconque engagement politique. Elle appartient à la bourgeoisie athénienne. Son mari est un pharmacien à la tête d’une affaire prospère. Elle est mère de sept enfants âgés de quatre et vingt-quatre ans. Rien ne la destine à devenir une Résistante risquant sa vie et, surtout, celle de sa nombreuse famille. Dans l’ouvrage en question Stylianos Perrakis émet une hypothèse, à savoir que son engagement dans la Résistance est vite devenu irréversible. Cette femme n’a pas agi selon des considérations idéologiques ; elle n’était affiliée à aucun parti ou mouvement et sa condition tant sociale que familiale (surtout familiale) ne la portait guère à un tel engagement. Dans un simple geste de compassion, elle commence par abriter des soldats britanniques et du Commonwealth (dont de nombreux Néo-Zélandais) qui n’ont pu embarquer suite à une évacuation précipitée en avril-mai 1941 ; puis elle les aide à fuir vers le Moyen-Orient. Mais il y a plus ; Stylianos Perrakis a découvert une autre part de son action, bien moins connue, oubliée même : Lela Karayannis a aidé des Juifs de Grèce à fuir la déportation ; et c’est grâce aux recherches de cet historien que cette femme a été reconnue Juste parmi les nations en 2011.
Lela Karayannis a été la fondatrice et la responsable d’une organisation de Résistance connue sous le nom de « Bouboulina », une héroïne de la guerre d’indépendance grecque (1821-1829) dont le nom est surtout connu hors de Grèce par le film « Zorba le Grec » de Michael Kakoyannis (1964), par la manière inimitable dont Anthony Quinn (dans le rôle de Zorba le Grec) prononce « Bouboulina », un rôle (Madame Hortense) tenu par la Russe Lila Kedrova. Laskarina Bouboulina (1771-1825) est l’arrière-grand-mère de Lela Karayannis. Personnage extraordinairement populaire, la légende a amplifié une vie certes héroïque.
Après avoir secouru et exfiltré des soldats britanniques et du Commonwealth, suite donc à l’embarquement précipité d’avril-mai 1941, Lela Karayannis commence à mettre sur pied son organisation, « Bouboulina », dès les premiers jours de l’Occupation de la Grèce. Ses opérations de sauvetage se multiplient et deviennent de plus en plus exigeantes et audacieuses. Elles ne concernent pas que les soldats britanniques et du Commonwealth mais aussi des soldats grecs désireux de poursuivre le combat. Elle leur trouve des planques où ils peuvent se reposer et être soignés si nécessaire avant de s’enfuir vers les montagnes pour y rejoindre la Résistance grecque ou partir vers le Moyen-Orient à bord de bateaux de pêche en allant d’île en île pour atteindre les côtes asiatiques. Son organisation prend de l’importance et ils sont de plus en plus nombreux à l’intégrer. En peu de temps, elle parvient à structurer un solide groupe de plus de cent cinquante Grecs qu’elle repartit en unités de renseignement puis en unités de combat.
Son organisation parvient à infiltrer toutes les branches et tous les services des forces d’Occupation et au plus haut niveau, grâce à des patriotes grecs mais aussi grâce à des officiers allemands antinazis, des Italiens antifascistes et des Allemands mariés à des Grecques. De nombreuses informations lui sont transmises sur les forces ennemies, informations qui sont codées et transmises aux Alliés basés au Moyen-Orient, des informations qui orientent leurs décisions stratégiques.
Peu avant le départ des Allemands de Grèce, la Gestapo arrête Lela Karayannis et nombre de ses collaborateurs. Elle est arrêtée le 11 juillet 1944, à l’hôpital où elle séjourne pour maladie. Le 14 août elle est confrontée à un membre de son organisation qui après avoir été torturé a craqué et a livré nombre d’autres membres. La Gestapo veut en savoir plus ; elle est interrogée et torturée pendant trois jours. Au bout de trois jours, n’ayant pu en tirer la moindre information, son tortionnaire abandonne. Peu après, Lela Karayannis, des membres de son organisation et six de ses enfants (soit trois filles et trois garçons) sont transférés au camp de Haidari (KZ Chaidari), un camp géré par les SS, dans la banlieue d’Athènes. Le 8 septembre à l’aube, Lela Karayannis et soixante-et-onze Résistants grecs sont abattus à la mitrailleuse dans l’enceinte de ce camp. Ses enfants et des collaborateurs de Lela Karayannis attendent dans une autre partie du camp leur exécution pour le lendemain. Ils parviennent à s’échapper avec la complicité d’un officier allemand antinazi.
En Grèce, Lela Karayannis est une héroïne nationale comme Hannah Szenes (1921-1944) l’est en Israël. Son courage est célébré chaque année, dans son pays, le jour de son exécution. Sa maison à Athènes est classée dans le patrimoine athénien et la rue où elle se tient a été rebaptisée à son nom. Cette maison est aujourd’hui occupée par une ONG, Apostoli, Children’s multifaceted Center « Lela Karayannis ».
Ci-joint, deux liens avec de nombreux documents respectivement intitulés « A Tribute to Lela Karayannis » et « A Tribute to Greece’s National Heroine » par un petit-fils de Lela Karayannis, George Pararas-Karayannis. Dans ces liens, ses médailles et décorations ainsi que de nombreux témoignages de gratitude venus des plus hautes autorités britanniques et grecques, tant politiques que religieuses :
https://drgeorgepc.com/LelaCarayannisTribute.html
https://www.drgeorgepc.com/LelaCarayannis.html
Olivier Ypsilantis