Ci-joint, la traduction de la première partie de l’article intitulé : « Las raíces de Israel » (« Les racines d’Israël »), un texte qui s’insère dans « Otros mundos », une anthologie d’essais de Gabriel Albiac publiée par la maison d’édition Páginas de Espuma, Madrid, 2002. La deuxième partie de cet article est plus historique, plus factuelle. Je propose donc une traduction de cette première partie où Gabriel Albiac met les points sur les i, avec précisions sémantiques et redéfinition de certains mots, à commencer par sionisme qui dans bien des têtes (elles se contentent de répéter ce que distillent ou assènent les médias de masse) se confond avec fascisme. Ci-joint donc l’intégralité de « Las raíces de Israel » de Gabriel Albiac dans sa version originale :
https://www.clublibertaddigital.com/ilustracion-liberal/62/las-raices-de-israel-gabriel-albiac.html
Gabriel Albiac (né en 1950, à Utiel, dans la Comunidad valenciana)
Quelques précisions biographiques : Gabriel Albiac est professeur de philosophie depuis 1974 à la Universidad Complutense de Madrid (UCM), l’une des plus prestigieuses universités d’Espagne et du monde latino-américain. Ce philosophe enseignant collabore intensément avec les médias : presse écrite, radio et télévision. Chroniqueur à l’ABC et auteur de nombreux articles dans la presse espagnole (dite « de droite », volontiers pro-israélienne), Gabriel Albiac proclame sa ferveur pour le judaïsme, le monde séfarade (les expulsés d’Espagne et du Portugal) et l’État d’Israël. Il attribue cette ferveur à sa lecture de Spinoza. Je passe sur ses prix et récompenses pour ne signaler que le prix Samuel Toledano (reçu en 2013) et le prix Samuel Hadas de Amistad España-Israel, reçu en 2012, à l’occasion du 25ème anniversaire de la reconnaissance d’Israël par l’Espagne, en 1985 donc. Rappelons que Samuel Hadas (1931-2010) fut le premier ambassadeur d’Israël en Espagne. Quant à Samuel Toledano (1929-1996), il a puissamment œuvré tout au long de sa vie à la reconnaissance de la communauté séfarade et de l’État d’Israël par les autorités espagnoles.
Ci-joint, une visite guidée de la bibliothèque de Gabriel Albiac par Gabriel Albiac et sous les auspices de Libertad Digital, un centre le liberté en Espagne qui, comme tout centre de liberté, a cette spécificité : la défense d’Israël. Vous ne comprenez pas le castillan ? Qu’importe ! Laissez-vous guider durant une dizaine de minutes par la belle énergie espagnole :
https://www.youtube.com/watch?v=HXPk7rvU174
Concernant Libertad Digital, je considère après plus de vingt ans passés dans ce pays que ce site constitue le fer de lance de la défense d’Israël (de la liberté donc) en Espagne. Je conseille aux hispanophones et plus simplement à ceux qui « se débrouillent » en espagnol de consulter ce vaste site avant d’entrer par exemple cette clé sur le moteur de recherche : « Libertad Digital Israel ».
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Donc, la traduction de la première partie de l’article en lien ci-dessus :
Ainsi qu’il en est de tout mot qui s’inscrit dans l’aire passionnelle de la rhétorique politique, le mot sioniste a fini par devenir presque impossible à appréhender. S’efforcer de rétablir son contenu en termes apodictiques est à présent une tâche quasi impossible et, pire, inaudible.
Pour le locuteur moyen de la fin du XXème siècle, sionisme et antisionisme constituent le couple d’opposés conceptuels par lequel s’appréhende le conflit arabo-israélien. Dans les traditions de gauche les plus conventionnelles, sionisme est généralement employé comme synonyme ou variante d’impérialisme. Avec les plus radicales et grossières de ces traditions, on a même pu évoquer – sous l’influence du jargon de l’OLP – le « fascisme sioniste » (…).
Nous allons tenter de rétablir la signification historique de ce mot. Le sionisme est une idéologie politique née dans le monde laïc juif européen – et plutôt socialiste –, à la fin du XIXème siècle, sous l’effet d’une poussée antisémite dont l’affaire Dreyfus est emblématique. Le cycle du sionisme se termine définitivement avec la création d’un État juif en Palestine. Le sionisme réalise ainsi son programme essentiel. Après 1948, l’utilisation du mot sionisme devient métaphorique ; il ne désigne plus aucun mouvement social ou politique précis.
Commençons par rappeler deux caractéristiques de ce mouvement, formellement établi à Bâle, en 1897, avant de suivre son itinéraire avec la fondation de l’État d’Israël.
Mais en premier lieu, revenons-en à certains usages dévoyés du langage. Il est fréquent de constater dans l’opinion publique une assimilation spontanée entre sionisme et intégrisme religieux : un cliché (un tópico) confortable qui met dans un même sac orthodoxie rabbinique et sionisme radical, un cliché confortable mais erroné, tant du point de vue historique que religieux. Cette confusion entre sionisme et tradition rabbinique est discordante. Cette identification entre les orthodoxies religieuses et les expansionnismes territoriaux n’a de sens que dans les traditions religieuses qui pratiquent le prosélytisme (qui prend appui sur l’hypothèse d’un salut universel), une norme éthique primordiale. C’était le cas de la tradition chrétienne, il n’y a pas si longtemps, lorsqu’elle prenait au sérieux sa dogmatique, et c’est à présent le cas de l’islam, avec encore plus de détermination. Tandis que pour le judaïsme orthodoxe, le prosélytisme est une perversion théologique. L’élection divine du peuple est métaphysiquement et théologiquement incompatible avec la conversion comme pratique de masse. Ainsi convient-il d’appeler les choses par leur nom ; et de conserver un minimum de mémoire historique. Le sionisme n’est pas né dans des milieux rabbiniques et orthodoxes. Il a été essentiellement le fait du judaïsme laïc et de ses tendances les plus affirmées, très mêlées au socialisme naissant – le cas de Moses Hess ou de Israël Zangwill sont assez significatifs – depuis la fin du XIXème siècle. Son objectif politique défini par son grand configurateur doctrinaire, Theodor Herzl dans « L’État juif » (1896) comme projet d’édification d’un État juif dans la Palestine ottomane, heurta de front la majorité du rabbinat de la diaspora qui vit là une substitution du religieux par le laïc.
Jusqu’à aujourd’hui, en Israël même, les secteurs les plus littéralistes du judaïsme d’observance messianiste refusent la légitimité d’un État conçu sans aucune référence à une transcendance. Pour un orthodoxe, le Livre est transparent : le Règne ne peut advenir aussi longtemps qu’il n’y a pas de Messie ; toute tentative pour hâter Sa venue revient à blasphémer l’œuvre divine ; et c’est précisément ce que fait le sionisme qui édifie un État (juif) laïc.
Les importantes concessions faites à ce rabbinat orthodoxe par David Ben Gourion après la formation de l’État d’Israël ne parviendront jamais à effacer complétement cette tension essentielle et insurpassable.
L’échec de la Haskala, ce mouvement d’assimilationniste qui s’efforça, d’abord en Allemagne puis en Russie, de favoriser la pleine intégration du judaïsme en Europe et les pogroms de 1819 et 1881 sont les présupposés immédiats de l’émergence du mouvement de Theodor Herzl en faveur du retour à Sion que le Premier Congrès Sioniste proclama en 1897 à Bâle.
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Ces lignes pertinentes de Gabriel Albiac, homme d’intelligence et de bonne volonté, appellent des prolongements. Mais pour l’heure, je préfère m’en tenir là après avoir signalé ce philosophe important dans le monde espagnol, un philosophe au parcours atypique et courageux. Il y a d’autres intellectuels espagnols et hispanophones engagés dans la défense d’Israël et de la culture juive, parmi lesquels Adolfo García Ortega auquel j’ai consacré un article sur ce blog. Ils ne constituent pas le gros de la troupe, mais c’est ainsi partout, en France notamment où ils sont si nombreux à prendre une pose pro-palestinienne. Sait-on jamais… Le courage n’est pas une caractéristique des intellectuels français, pays sur-étatisé où les organes de l’appareil d’État envahissent et étouffent les consciences.
Ainsi que je l’ai précisé, Gabriel Albiac travaille beaucoup avec les médias, du quotidien ABC en passant par la radio et la télévision. Les vidéos qui le montrent s’exprimer sur des questions diverses, en particulier Israël, pays qu’il admire et défend, sont assez nombreuses. J’ai choisi de mettre en lien une longue entrevue en castillan (80 mn), à la Casa Sefarad Israel (calle Mayor 69, Madrid), intitulée « Sefarad Convivencia : diálogo con Gabriel Albiac » :
https://www.youtube.com/watch?v=LUtDUqRbriE
L’article suivant mis en lien est intitulé « Quand l’étincelle juive d’un milliardaire américain devient un flambeau de Yom HaAtsmaout » et signé Amanda Borschel-Dan. Il met l’accent sur la laïcité des fondateurs d’Israël et il peut être lu comme un prolongement à ce qu’écrit Gabriel Albiac. Dans cet article donc, on peut notamment lire : « Et si je vous demandais de me nommer les héros du peuple juif d’avant la haskala, vous pourrez nommer Maïmonide, Rachi, quatre ou cinq, peut-être même six noms. C’est très peu pour des milliers d’années. Mais ces trois cents dernières années, le nombre de Juifs qui ont accompli de grandes choses est extraordinaire. C’est à couper le souffle, tant de choses ont été faites, c’est à se demander comment ! Comment a-t-on pu en faire tant en trois cents ans ? C’est un phénomène notable et je pense l’une des choses les plus tristes de l’instruction juive, c’est que jusqu’à maintenant nous avons ignoré ces trois cents dernières années dans notre éducation juive traditionnelle. Et Israël, dans un sens, est un exemple de réussite laïc extraordinaire (c’est moi qui souligne). Israël est le plus grand miracle du XXe siècle. Pas à cause des religieux, mais grâce aux accomplissements laïcs ». J’ai souvent pensé à ce phénomène. La lecture et la traduction de cet article de Gabriel Albiac m’ont remis en tête cette interrogation, le rapport extraordinaire entre la haskala et la fécondité juive :
http://dovkravi.blogspot.com.es/2017/06/quand-letincelle-juive-dun-milliardaire.html#more
Olivier Ypsilantis