24 février 2012. Les fondateurs de Tel Aviv : ceux de l’ancien yichouv, les immigrants de la première aliya (1882-1904) et de la deuxième aliya (1904-1914) qui tous refusaient non seulement la ville orientale mais aussi les bourgades d’Europe orientale qu’ils avaient quittées. Tel Aviv, une contribution essentielle au sionisme, complémentaire du retour à la terre prôné par ce dernier.
Le roman utopique de Theodor Herzl, ‟Altneuland” (1902), est une description de la ville moderne telle qu’il l’imaginait. Ce roman écrit en allemand a été traduit en hébreu par Hahum Sokolov sous le titre ‟Tel Aviv”. Je le cite car il est étrange de constater que si cette ville n’a pas été construite selon un plan d’ensemble supervisé par une autorité supérieure, ainsi que nous l’avons vu, elle répond au moins en partie à la vision unificatrice de Theodor Herzl.
Étrange impression. Cette ville que je parcours en tous sens et jusque dans ses faubourgs les plus excentrés offre en bien des endroits des allures de campement malgré le parpaing et le béton, comme si l’énorme masse arabe (à quelques kilomètres seulement) refusait une telle implantation. Mais autre impression, contradictoire : cette ville tout juste centenaire (fondée en 1909) semble avoir toujours été.
La stèle en souvenir de l’attentat-suicide du 1er juin 2001, au ‟Dolphinarium”, une discothèque. On déplora vingt-et-un morts sans compter les nombreux blessés. La plupart des victimes étaient des adolescents, des immigrants russes et ukrainiens, ce qui explique que sur cette stèle à trois faces leurs noms soient gravés d’un côté en hébreu, de l’autre en russe.
Tel Aviv et ses arbres, des arbres qui m’évoquent les mangroves. Je détaille ces denses réseaux qui s’éprennent de certains troncs. Vers le quartier de Kerem Ha-teimanim. Constructions aux volumes simples, fonctionnels, années 1920-1930, mais dans un état de semi-abandon. La nonchalance est plus marquée dans ce quartier que dans les quartiers nord. En fait, on y est très actif mais avec des gestes plutôt nonchalants.
Aux abords de la maison-musée de H.N. Bialik, une ambiance méditerranéenne avec des architectures Europe centrale années 1920-1930 : une rencontre tout simplement délicieuse. Sur une façade à l’abandon de la rue H. N. Bialik, une plaque rouillée : D. SH. Goldberg avec étoile de David flanquée de deux lions en symétrie, chacun la patte appuyée contre l’une des pointes de l’étoile.
La maison de H.N. Bialik fut construite en 1925 suivant les plans de l’architecte Joseph Minor. Dans l’entrée, un beau buste au cubisme discret du maître des lieux par Chana Orloff. Le bow-window devant lequel il reçut tant de visiteurs. A l’étage, parmi les éditions de ses œuvres dans de nombreuses langues présentées dans les vitrines, une édition française aux Éditions Rieder, dans une collection dirigée par Edmond Fleg. Dans sa bibliothèque, les livres sont le plus souvent à couverture rigide et toile. Au mur, deux linogravures d’une facture délicate d’un certain Aharon Halevy (1887-1957). L’une d’elles montre le lac de Galilée avec mille détails charmants dont des pêcheurs ramenant leurs filets lourds de poissons. La bibliothèque est essentiellement constituée d’ouvrages en hébreu ; les autres sont en yiddish, allemand et russe. Dans ce qui était la chambre de H.N. Bialik, un espace audio-visuel pour enfants a été aménagé avec, dans une vitrine, quelques objets personnels ayant appartenu au poète et à celle qui fut sa femme durant quarante-et-un an, Manya. Le couple ne put avoir d’enfant et en conçut de la peine. H.N. Bialik se consola en écrivant à leur intention, poèmes, chansons, contes et histoires qui furent abondamment illustrés et publiés. Il reçut de nombreuses lettres d’enfants. Né en Ukraine en 1873, H.N. Bialik arriva en Palestine en 1924 (il décédera en 1934) pour s’installer dans la rue qui porte aujourd’hui son nom. Il surveilla la construction de sa maison et l’aménagement du jardin qui l’entoure. Son rôle fut central dans le développement de Tel Aviv. Il participa activement à la vie municipale. Dans les dernières années de sa vie, il écrivit surtout pour les enfants et, de fait, je constate que cette maison-musée est pleine d’enfants. Une institutrice leur fait réciter des poèmes en hébreu de H.N. Bialik.
Cinq lettres peintes sur le front de mer : GILAD. Gilad Shalit a été libéré depuis.
Dans l’ancienne mairie de Tel Aviv, un beau bâtiment à quelques pas de la maison de H.N. Bialik. Le bureau des maires de Tel Aviv (de 1925 à 1965), une belle pièce lumineuse en arc-de-cercle que prolonge un spacieux balcon. On se croirait à bord d’un navire, dans la cabine de pilotage. Derrière le bureau, un émouvant document : la première carte de Tel Aviv, établie en 1923 par l’architecte Leo Sheinfeld. C’est une carte au 1/1000 de plusieurs mètres carrés avec parcelles numérotées. Autres documents non moins émouvants : une photographie aérienne prise en 1934 montre le nord (vers le fleuve Yarkon) à peine peuplé ; des photographies de Meir Dizengoff à son bureau ; sur l’une d’elles, il reçoit la cinquième ‟Reine Esther” (voir la fête de Pourim), en 1931. A propos de ‟Reine Esther”, je me permets une parenthèse. J’apprends par un document que dans le cimetière de Trumpeldor, une tombe porte en épitaphe (en hébreu) : Ici repose la reine Esther. Le visiteur non averti sera probablement surpris. La reine Esther ?! Revenons en arrière. A Tel Aviv, Pourim fut organisé par la mairie sur le mode des carnavals d’Europe. La première fête de Pourim new wave date de 1912, soit trois ans après la fondation de Tel Aviv. Elle s’interrompit au cours de la Première Guerre mondiale pour reprendre en 1920. En 1928, à l’occasion de cette fête, Meir Dizengoff, le maire le plus charismatique qu’ait connu la ville, imagina un concours de beauté. La gagnante serait sacrée ‟Reine Esther”. Ce premier concours fut remporté par une jeune fille d’origine yéménite, Tsipora Tsabari. Elle connut une certaine célébrité et mourut en 1994 après être tombée dans l’oubli.
Belle vue sur les toits de Tel Aviv de la terrasse de l’ancienne mairie. La multitude des panneaux solaires destinés à chauffer l’eau des réservoirs cylindriques caractérise ce paysage urbain considéré de ce point de vue. Les immeubles fort laids du front de mer et ceux plus harmonieux, et plus récents, de l’intérieur.
Sur Allenby Street, vers Jaffa. Ambiance de plus en plus méditerranéenne, orientale, méditerranéenne orientale. Et je pense à ces quartiers d’Athènes où j’ai tant marché, à commencer par Monastiraki, entre Syndagma et Omonia. Au 81, Libros en español, je me sens chez moi car il est douloureux d’entendre une langue que l’on ne comprend pas ! Il est vrai qu’il reste sa musicalité à laquelle on prête d’autant plus attention. Et la musicalité de l’hébreu est tout simplement majestueuse. Et à Tel Aviv le promeneur qui ignore tout de l’hébreu n’est jamais perdu : on y parle tant de langues ! Et que de librairies ! On lit pourtant peu sur les bords de la Méditerranée. Mais on est dans une ville juive et le livre et le Juif sont amis. La grande synagogue au 110 Allenby Street, plutôt disgracieuse et vraiment peu accueillante. J’y grelotte. Sa construction remonte aux années 1920. Elle a été modifiée dans les années 1970 avec, notamment à l’extérieur, des arcades qui rythment un volume peu avenant. On me signale que les vitraux sont des répliques de vitraux de synagogues d’Europe détruites au cours de la Shoah.
Une humble synagogue dans le quartier de Florentine, non loin de Jaffa.
Tout en marchant, je déguste un pain au sésame, tendre, moelleux. J’ai toute la Méditerranée orientale dans la bouche. Et je pense à Athènes, une fois encore. Mais les Juifs n’ont pas la langueur des Grecs, et je ne m’en plaindrai pas ! Les commerces sont de plus en plus modestes à mesure que l’on approche de Jaffa. Beaucoup d’artisans, menuisiers, ferblantiers, mécaniciens, etc. Les odeurs spécifiques qui sortent de leurs ateliers contribuent fortement à l’ambiance de certaines rues. Tel Aviv et son parfum d’orange pressée ici et là.
A l’entrée de Jaffa, les restes de la résidence du gouverneur turc qui avait été inaugurée en 1897 et qui fut dynamitée par des membres du groupe Lehi, le 4 janvier 1948. Jaffa où je retrouve les touristes… depressing. Beau point de vue sur Tel Aviv et son vaste front de mer. Mais je ne m’attarde pas. Vent frais. La Méditerranée couleur d’Atlantique. Sur un rocher, devant les flots, un Juif orthodoxe, en costume-cravate et large chapeau. Surpris, je l’observe. Mais pourquoi ? En quoi cette scène est-elle surprenante ? Je m’étonne de mon étonnement… Dans mon imaginaire, un tel Juif figure dans un paysage urbain ou dans une salle d’étude chargée de livres.
Quelques notes de lecture. Une partie du tracé d’Allenby Street fut modifié pour conduire au café-casino Galei Aviv, construit en bord de mer en 1921. Des quartiers furent construits sur le modèle des Wohnhöfe de Vienne (des logements sociaux construits par la mairie socialiste dans les années 1920-1930) dans le style international Bauhaus. Le développement de Tel Aviv se mit à préoccuper ceux qui le finançaient : il convenait d’y mettre de l’ordre. C’est pourquoi l’urbaniste écossais Sir Patrick Geddes fut invité en 1925 à penser le développement du nord de la ville. Voir The Geddes Plan. A ce sujet, on peut consulter en ligne la passionnante thèse de doctorat de Catherine Rochant-Weill intitulée ‟Le plan de Patrick Geddes pour la Ville Blanche de Tel Aviv : une part d’ombre et de lumière”. Diversité des regards : certains se plaignaient de l’aspect morne et gris de la ville en lui opposant Odessa ; d’autres louaient sa beauté, parmi lesquels Myriam Harry (en 1922) qui comparaît Tel Aviv à Nice ou Cannes.
(à suivre)