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Sur les routes d’Espagne, mai 2014.

 

1er mai. Traversée de l’Andalousie orientale. En route vers La Linea de la Concepción et Gibraltar. Des paysages d’Espagne me disent l’Iran et des paysages d’Iran me disent l’Espagne. Provincia de Jaén, son relief couvert de stricts alignements d’oliviers, et à perte de vue. La Sierra Nevada, enneigée dans ses hauteurs. Peu avant l’arrivée sur La Linea de la Concepción et Gibraltar, des paysages qui pourraient être écossais ou bretons, un paysage de moorland et, soudain, une fraîcheur délicieuse. Les Colonnes d’Hercule, la ligne de partage entre la mer et l’océan, entre Méditerranée et Atlantique.

Gibraltar, point stratégique essentiel pour l’Empire britannique, un empire non pas continental comme l’ont été la plupart des empires, mais un empire maritime, édifié et organisé à partir des mers et des océans. Le City Centre, une saveur anglo-espagnole. Des Hindous et des Pakistanais, des Juifs (beaucoup de kippas), des Marocains, autant de communautés qui vivent tranquillement les unes à côté des autres. J’ai pris note de cette tranquillité dans des petits pays, comme la République de Maurice ou la République de Malte.

Gibraltar et ses fortifications trapues en pierres grises avec larges créneaux évasés pour pièces d’artillerie. Beaucoup de tatouages sur des peaux roses. Dans un jardin public de La Linea de la Concepción, des ouvrages défensifs à coupoles bétonnées partiellement enterrées avec embrasures à redans au ras du sol. Des souvenirs d’heures studieuses me reviennent, des heures passées à étudier l’Atlantikwall et ses monuments de l’Attente, jusqu’à l’aube du 6 juin 1944… Des souvenirs me reviennent, en particulier l’exposition au Musée des Arts décoratifs de Paris et le catalogue de Paul Virilio qui l’accompagnait, ‟Bunker archéologie”.

 

2 mai. Le jour se lève, humide, voilé. Le cri des mouettes et la formidable silhouette du Peñón où je devine les ouvertures des Great Siege Tunnels. L’animation augmente. 7h 30 : un Anglais en short et débardeur, les bras couverts de tatouages, commande une bière qu’il se met à boire à grandes gorgées ; une petite balayeuse municipale articulée pousse ses brosses en tous sens ; le bruit de la circulation devient continu. J’aimerais que le temps s’arrête pour goûter encore ce petit-matin voilé, humide. La serveuse est équatorienne, à en croire son accent. La pureté de son visage m’évoque le modèle de Cornelis Zitman — des sculptures en bronze qu’avait exposées Dina Vierny dans le sous-sol de sa galerie au 36 rue Jacob, à Paris.

 

Gibraltar, vue aérienneGibraltar, vue aérienne. Au premier plan, La Linea de la Concepción.

 

Longue marche dans Gibraltar. Arrêt prolongé chez Luis Photo Studio, la mémoire de Gibraltar, avec ses très nombreuse images (généralement en noir et blanc) qui relatent des événements (souvent militaires) de ce bout d’Europe si particulier. Arrêt dans The Alameda Botanic Gardens. A l’entrée, le buste du général George Augustus Eliott, célèbre pour sa défense de Gibraltar au cours du Great Siege (1779-1783) conduit par une coalition franco-espagnole. Dans ce jardin, des canons fraîchement repeints (il y a beaucoup de canons commémoratifs à Gibraltar), des canons pris aux Russes au cours de la guerre de Crimée (1854-1856). On s’arrange entre les bastions et sur les glacis. L’espace est optimalisé. J’aperçois un beau voilier entre deux immeubles, son nom s’inscrit en lettres blanches le long de sa coque bleu marine : ENDEAVOUR. Solomon Levy F.R.I.C.S. – Estate Agents & Valuers. Longest established Estate Agent in Gibraltar et, un peu plus loin, Elizabeth Srahlberg – Dental Surgeon. Vue panoramique sur la baie d’Algeciras. Un bateau de croisière se glisse entre des cargos et des pétroliers au mouillage. Police Barracks – 1909, tous volets fermés, un bâtiment à l’abandon. Un singe se promène sur le faîte d’un mur. Des ruelles me font penser à Naples avec ces fils à linge qui vont d’une façade à une autre, des façades légèrement décrépites contrairement à celles des rues de la partie basse du City Centre. Abecasi’s Passage. Un graffiti d’époque a été rafraîchi : We shall fight to the last but we shall never surrender (W. S. Churchill 1940). Une belle place calme et ombragée bordée sur l’un de ses côtés par une petite église endormie, St. Andrew’s Church (Church of Scotland). J’entends l’anglais autant que l’espagnol. D’assez nombreuses kippas. Cohen & Massias Jewellers. Est. 1870 Lewis Stagnetto Importers & Distributors Purveyors of Wines, Spirits, Beers & Tobacco.

 

Gibraltar jewish cemetery Jewish Cemetery (Windmill Hill Cemetery), Gibraltar : http://jewishgibraltar.info/cemeteries.html

 

Au Gibraltar Museum. Les travaux du Rev. John White (frère du naturaliste Gilbert White of Selborne) sur le passé de Gibraltar. L’homme de Neandertal et Gibraltar. Le naufrage du vapeur Utopia dans la baie de Gibraltar, en 1891, et ses 574 victimes. Chargé d’émigrants italiens, il avait levé l’ancre à Trieste et se dirigeait vers New York City, avec diverses escales dont une à Gibraltar. The Great Siege of Gibraltar et une vitrine dédiée à George Augustus Eliott (1717-1790). Au sous-sol du musée, des bains arabes parmi les mieux conservés de la péninsule.

Le soir. A quelques kilomètres de Guadix, Baños de Graena, un village blanc partiellement troglodytique. De la terrasse, je contemple le soleil couchant qui rougit une terre d’un ocre rouge intense. Au-dessus du village de Purullena, des vagues de terre rouge comme prêtes à recouvrir les casas cuevas. Tout est intense : la terre, les façades (passées à la chaux vive), le vert des hauts peupliers plantés par l’homme dans de stricts alignements. Dominant cette splendeur ardente, la fraîcheur de la Sierra Nevada encore nervurée de neige. Une fois encore, je pense à l’Iran ; toute une géologie espagnole m’y ramène. L’érosion a ciselé ce relief comme nulle part en Europe. Les environs de Guadix sont parmi les plus beaux espaces de ce continent.

Un repas simple comme je l’aime. Les complications culinaires sont préjudiciables à la santé. Au repas donc : des olives de Sevilla, un bol de gaspacho et un verre élancé que j’élève vers le soleil pour admirer le brun roux-rosé de ce vin local.

Dans ma chambre, un poster de La Calahorra (province de Granada), une forteresse qui, dans mon imaginaire, se tient devant le désert des Tartares, une forteresse rouge aux tours surmontées de coupoles.

 Casa cueva de GuadixCasa cueva dans les environs de Guadix.

 

3 mai. Baños de Graena au petit-matin. Les façades blanches encastrées dans un relief d’argile rouge. Les petits jardins enclos avec leurs roses ardentes, leurs figuiers, leurs treilles. Le balnéarium est placé au centre du village, dans un repli de terrain. L’eau en sort à 44°C. Les villageois s’y rendent et en reviennent en peignoir. Certains s’attardent même dans cette tenue à la terrasse d’un café-bar qui lui fait face. Une villageoise m’explique qu’elle est née dans une grotte, comme ses ancêtres, et qu’elle vit toujours dans une grotte. Tout le monde ici a vécu dans une grotte, à commencer par la marquise, Doña Isabel de Angulo y Rodríguez del Toro (voir marquesado de Cortes de Graena), morte en 1960 sans descendance. Je détaille l’entrée de sa grotte qui se distingue à peine des autres, si ce n’est par deux discrètes colonnes engagées et un entablement non moins discret, le tout taillé dans la paroi même. La casa cueva dispense une température stable, 18°C été comme hiver, pas de chauffage ni d’air conditionné donc. La terre argileuse est imperméable. Les murs sont enduits d’une fine couche de plâtre passé à la chaux vive, ce qui achève d’assainir les lieux. C’est la maison écologique par excellence : dépenses énergétiques réduites au minimum, faible impact visuel dans un paysage à nul autre pareil ; et des impôts locaux particulièrement bas.

Guadix, La Calahorra, Desierto de Tabernas, entre Sierra de los Filabres et Sierra Alhamilla, l’un des paysages d’Europe que mes yeux et mes poumons préfèrent. Arrêt à Texas Hollywood.

 

Texas HollywoodUne vue de Texas Hollywood (Fort Bravo)

 

 Olivier Ypsilantis 

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