‘‘On ne construira pas le bien vivre ensemble en Europe sur la délégitimation de la noble idée du Sionisme et l’exigence faite aux Juifs de renier leur droit imprescriptible à disposer, eux aussi, d’un État. Mais on aura certainement contribué à construire le bien vivre ensemble quand, partout, de l’est à l’ouest et du nord au sud de notre espace européen, les synagogues et les écoles juives n’auront enfin plus besoin de cette protection policière qui, depuis que j’ai ouvert les yeux sur le monde, défigure leurs abords et marginalise ceux qui y prient ou y étudient.” Joël Rubinfeld
Il n’y a pas d’antisémitisme d’État en France. On peut toutefois noter que les médias y exercent une censure plus ou moins appuyée. Les émissions jugées trop en faveur d’Israël ne sont pas les bienvenues, je fais usage de l’euphémisme. Certes, les émissions et les compte-rendus de publications sur la Shoah sont nombreux, la victime juive est honorée ; mais le Juif bien vivant — l’Israélien — est poussé de côté lorsqu’il n’est pas tout bonnement dénoncé sur un mode tantôt explicite tantôt implicite. Les victimes palestiniennes ont maintenant droit à la compassion concédée aux victimes de la Shoah, ce qui permet un discret transfert de culpabilité. Ni vu ni connu !
Il n’est jamais question, ou si discrètement, des victimes juives du terrorisme palestinien, qu’elles soient déchiquetées par des explosifs ou poignardées, comme la famille Fogel, en mars 2011. Les médias français (pour ne citer qu’eux) ont abondamment fait usage du mot colon, laissant ainsi entendre que les assassinés n’avaient que ce qu’ils méritaient ou, tout au moins, qu’il fallait comprendre les assassins…
Israël est volontiers regardé comme une parenthèse dans l’Histoire, une erreur historique, une parenthèse qu’il s’agit de refermer au plus vite, une erreur qu’il s’agit de réparer au plus vite. Les médias se gardent de placer en perspective le conflit israélo-palestinien, d’expliquer ce qu’est le sionisme et d’en exposer l’histoire si riche. Ainsi le mot ‘‘sionisme’’ et ses dérivés sont-ils devenus pour beaucoup des injures. Ni plus ni moins !
La Fondation Roger Garaudy, Tour de la Calahorra, Cordoue. A l’arrière-plan, la Mosquée-Cathédrale.
Parmi les productions emblématiques de l’antisémitisme-antisionisme, on évoque généralement ‟Mein Kampf’’ ou les ‘‘Protocoles des Sages de Sion’’. On oublie trop souvent l’ouvrage de Roger Garaudy, ‟Les mythes fondateurs de la politique israélienne’’, traduit en arabe et très publié dans les pays du Moyen-Orient. Ce livre a joué et joue encore un rôle non négligeable dans la propagation de l’antisémitisme et du négationnisme dans cette région du monde. Roger Garaudy, ce puissant 4×4, catholique converti au protestantisme avant de rejoindre l’ouma, est toutefois resté fidèle à sa foi communiste. J’ai vécu plusieurs années à Cordoue qui, il y a peu, était la seule capitale de province avec une municipalité communiste (IU). Je me suis d’ailleurs promis d’écrire un article sur l’importance du communiste pro-musulman Roger Garaudy dans cette ville qui fut capitale d’un califat et de l’utilisation à des fins de propagande d’un passé rose bonbon parfumé au jasmin.
En France, l’antisémitisme — le nouvel antisémitisme — est peu cohérent, ce qui permet aux médias de le distiller. On est antifasciste… et antisioniste. L’extrême-gauche et l’extrême-droite se rejoignent lorsqu’il est question d’Israël. Elles s’accouplent et dans toutes des positions. Les arguments de l’extrême-gauche au sujet d’Israël sont décourageants : elle s’indigne au nom de l’anti-racisme, de l’anti-nationalisme et j’en passe. La solitude des Juifs est grande ; mais sitôt qu’ils en font part, on les accuse de ‘‘communautarisme’’, une accusation grave — l’air de rien — dans un pays où l’esprit républicain est chatouilleux, où le Juif est tout en tant qu’individu mais rien en tant que nation — que peuple. On craint d’importer le conflit israélo-palestinien dans notre bonne France. Soit ! Mais, à ce que je sache, il est déjà importé, et plus par le manque de courage des autorités nationales que par la communauté juive elle-même qui, jusqu’à présent, n’a jamais agressé un seul musulman.
Dans sa contribution au colloque “Le sionisme face à ses détracteurs”, Alain Finkielkraut que d’aucuns traitent de ‘’néo-réactionnaire’’ (à ce propos, le mot ‘‘réactionnaire’’ devrait être chargé d’une énergie positive, le réactionnaire est tout simplement celui qui réagit) a évoqué le caractère ‘‘épuisant’’ de toute discussion ayant trait à l’antisémitisme — un puits véritablement sans fond. Cette fatigue est en partie due au caractère volontiers ingénu de l’antisionisme, de ‘‘l’enthousiasme de l’innocence” qu’il véhicule, un enthousiasme qui fait le lit de la haine.
En 2000, Dyab Abou Jahjah fondait à Anvers l’Arab European League (AEL) dans le but de “promouvoir et défendre les intérêts des communautés immigrées arabes et islamiques en Europe, et d’établir avec les autres une interaction positive basée sur le respect mutuel et la tolérance”. Belle déclaration de principe derrière laquelle se tient un mouvement influencé par le panarabisme qui a organisé les manifestations les plus antisionistes et antisémites qu’ait connu la Belgique depuis le début de la seconde Intifada. Le site de l’AEL véhicule les pires poncifs sur les Juifs et Israël : Israël y est accusé d’apartheid, de génocide et de nettoyage ethnique. Dyab Abou Jahjah milite à Anvers car “Anvers est le bastion du sionisme, et c’est pourquoi cette ville doit devenir la Mecque de l’action pro-palestinienne”. Il y a beaucoup de drôles d’oiseaux en Belgique. Outre ce dernier, citons le fondateur, à Bruxelles, du Centre islamique belge (CIB), Bassam Abou Ata Ayachi. Le site Internet lié au CIB prône la haine du Juif et d’Israël ; on y trouve notamment ce jeu de mot vaseux, Israheil. Citons aussi Jean-François Bastin qui rejoignit le CIB en 1997. Converti à l’Islam depuis 1972, il avait ajouté à son nom : Abdullah Abu Abdulaziz. En 2003, il utilisa la plateforme du CIB pour lancer un parti islamiste, le Parti Citoyenneté Prospérité (PCP). Citons encore Pierre Galand, président de l’Association belgo-palestinienne (ABP) et de diverses ONG. Trop court en voix mais coopté par les instances socialistes aux élections législatives de 2003, il put siéger au Sénat. L’un de ses premiers actes politiques — grandiose ! — fut d’étiqueter dans un supermarché, sur des agrumes en provenance d’Israël : STOP – Fruits de l’occupation. En octobre 2001, Pierre Galand avait déclaré : ‟Je suis fils de terroriste. C’est sous ce mandat-là que mon père a été arrêté pendant la guerre par les nazis. Que veut dire terroriste quand on parle du peuple palestinien qui se bat contre une occupation ?” On sait que la rhétorique anti-israélienne aime comparer l’État juif — pardon Monsieur Juppé, je sais que vous n’aimez pas cette désignation ! — aux nazis. Quelques jours après l’assassinat de Rehavam Zeevi (le fondateur du Parti Moledet, abattu alors qu’il venait de démissionner de son poste de ministre du Tourisme du gouvernement Ariel Sharon), Pierre Galand rassembla quelque six cents personnes pour une manifestation anti-israélienne au cours de laquelle un invité, Michel Warschawski, rendit hommage au FPLP pour avoir débarrassé le monde de ‟ce pourri de Zeevi”. Et me faudrait-il évoquer le site Internet Indymedia, acteur online alter-mondialiste où la porosité entre l’antisémitisme et l’antisionisme est mise en évidence sur fond de négationnisme ? Pouah !
En novembre 2002, David Berman, enseignant à l’Athénée royal Marcel Tricot de Bruxelles, se fit insulter par quelques-uns de ses élèves de confession musulmane : ‘‘Toi et les tiens tuez nos frères palestiniens. Hitler n’a pas tué assez de Juifs. On te fera la peau…’’ David Berman avait pourtant donné des gages de ‟bonne conduite’’ en tant que membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. Je rappelle qu’entre autres ‟bonnes” actions, cette association rendait des visites de courtoisie à Yasser Arafat et qualifiait Ariel Sharon de ‘‘criminel de guerre’’. Beurk !
On supporte le Juif lorsqu’il est faible, lorsqu’il se montre discret et qu’à l’occasion il donne des gages d’antisionisme. Lorsqu’il se montre discret, ai-je écrit… Mais on lui reprochera alors sa discrétion. Le Juif discret ne manœuvrerait-il pas ? Le Juif fort — l’Israélien — perturbe l’économie mentale de nombre de non-Juifs… et même de quelques Juifs qui servent à l’occasion de Juifs alibi aux antisémites-antisionistes non-juifs. Avant 1967, l’État juif — une fois encore, je vous demande pardon Monsieur Juppé, j’ai appris que cette désignation vous dérangeait — bénéficiait d’une certaine sympathie. Après la victoire israélienne contre sept armées arabes, changement de ton. Le Juif fort, victorieux, commença à sérieusement perturber les mécanismes mentaux de nombre de braves citoyens, à commencer par la gauche pantouflarde, style ‟Touche pas à mon pote”, succédané de ‟L’Internationale sera le genre humain.” Yasser Arafat devint l’une des figures de proue de la Révolution qui, cette même année, venait de perdre le Che. Bref, petit à petit, et par l’entremise d’idéologues, les opinions publiques en vinrent à considérer qu’Israël était un danger pour le monde entier et perturbait le quotidien du citoyen.
Observez donc la manière dont est annoncé le conflit à venir avec l’Iran ! Si les États-Unis et leurs alliés interviennent militairement, ce sera pour empêcher Israël de commettre l’irréparable (!?) Elles sont bizarrement préparées nos opinions publiques. Ne s’arrangerait-on pour faire retomber sur le dos d’Israël tout le poids moral d’une guerre annoncée ?
Étrange monde. Le conflit israélo-palestinien est de ‟basse intensité”, de ‟très basse intensité” même. Mais regardez l’espace qu’il occupe dans les médias, tant à l’écran que sur le papier ! Comparez l’espace que lui accordent les médias par rapport au génocide rwandais ou à la guerre civile au Soudan qui a fait plus de deux millions de victimes ! Et le Tibet ? Et le Sahara occidental ? L’omission, l’euphémisme, la périphrase, les gros titres, le courrier des lecteurs (entre autres trucs) sont mis en œuvre pour discréditer toujours plus Israël.
Sergio Romano, ancien ambassadeur d’Italie à Moscou et éditorialiste du plus important quotidien national, ‟Corriere della Sera”, refuse ce jugement selon lequel l’antisémitisme est l’activateur de l’opposition à la politique de l’État d’Israël. Sergio Romano est par ailleurs un opportuniste, il sait qu’un antisémitisme ‟décent”, recouvert d’un verni antisioniste, peut favoriser la réussite professionnelle. Son livre ‟Lettre à un ami juif” (‟Lettera a un amico ebreo”) doit être lu avec attention. Ce texte diffamatoire a connu un beau succès. C’est un texte superficiel et virulent, concocté à l’attention du grand public. Il offre une particularité : la religion juive y est explicitement ridiculisée. Sergio Romano présente les thèses fascistes comme ayant droit de cité. Il s’en réfère copieusement au livre de Paolo Orano, ‟Les Juifs d’Italie” (publié en 1937), dont la publication prépara le terrain à la promulgation des lois raciales. Avec Sergio Romano la mauvaise foi met les pleins gaz. Il évoque la place privilégiée qu’occupe l’État d’Israël, alors que n’importe quel observateur neutre peut noter que sur la cinquantaine de résolutions approuvées chaque année par l’Assemblée générale de l’ONU, toutes condamnent unilatéralement Israël. Sergio Romano laisse par ailleurs sous-entendre qu’il faut cesser toute allusion à la Shoah afin de ne pas exciter l’antisémitisme (?!) Au passage, il accuse l’État d’Israël d’utiliser la Shoah afin d’asseoir une ‟légitimité internationale”. La Shoah est pour Israël une ‟extraordinaire arme diplomatique” peut-on encore lire dans ‟Lettre à un ami juif”. Bref, on ne cesse de dire à Israël : ‟Tout ce que vous direz sera retenu contre vous”.
L’universitaire italien Alberto Asor Rosa partage avec Sergio Romano sa critique de l’État d’Israël. Ce sont des partis-pris sur fond d’ignorance. Plus généralement, les détracteurs d’Israël l’accusent de tout et de son contraire. Il est vrai qu’Israël est un pays à multiples facettes et que les amateurs d’idées simples sont amenés… à faire simple. Israël est un État-nation, une invention européenne fort récente dont les Juifs ont adopté la forme mais pas le fond pour l’interpréter d’une manière originale qui conjugue le respect de la tradition la plus ancienne au sein d’un État moderne.
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Ci-joint, un lien du site Iran-Resist intitulé ‟La main de Moscou a modelé la situation actuelle au Moyen-Orient”, publié le 6 septembre 2006. Il permet de prendre connaissance d’une certaine généalogie :
http://www.iran-resist.org/article2554
(à suivre)