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Quelques tableaux espagnols – 4/16

Tableau VIII

Les hispano-wisigoths convertis à l’islam, soit les muladíes, luttent tout au long du IXe siècle et au début du Xe siècle pour être reconnus comme égaux des Arabes. Les affrontements entre eux et les Arabes ont lieu à Cordoue et dans les villes frontalières (entre al-Andalus et les territoires chrétiens de la péninsule ibérique) où les muladíes sont plus nombreux que les Arabes. Ces désordres auxquels s’ajoute la guerre contre les royaumes et les comtés du nord obligent l’émir Al-Hakam I à augmenter les effectifs de son armée et, en conséquence, les impôts ce qui provoque de violents mécontentements. Une conjuration est déjouée par l’émir en mai 805 et ses chefs sont exécutés. Cette répression ne fait qu’accentuer les mécontentements et l’émir doit se constituer une garde personnelle de mercenaires placés sous les ordres du responsable de la communauté chrétienne, le comte Rabí, fils de Teofuldo, qui se voit par ailleurs chargé de collecter les impôts. Les habitants de Secunda, un faubourg de Cordoue, des commerçants et des artisans, se rebellent en 818 et menacent l’émir. Une fois encore, la révolte est matée et ses chefs sont exécutés. Secunda est rasé et transformé en terre agricole. Ses habitants se réfugient chez les muladíes de Tolède, d’autres à Fez, tandis qu’un groupe relativement important se rend par la mer à Alexandrie d’où il lance des opérations maritimes et s’empare de la Crète (en 827). Les Arabes s’y maintiendront jusqu’à la conquête de l’île par Byzance (en 961).

Afin de se concilier les alfaquíes (des experts en jurisprudence islamique) l’émir Abd al-Rahman II fait condamner le comte Rabí et détruire le marché aux vins de Secunda, toléré par son père en dépit des prescriptions coraniques. A partir de ce moment, les alfaquíes cessent de soutenir les rebelles. Les révoltes muladíes des villesfrontières de Mérida-Badajoz, Tolède et de la vallée de l’Èbre sont plus sérieuses que celle de Secunda. Elles commencent à la fin du VIIIe siècle et atteignent leur paroxysme à la fin du IXe siècle et au début du Xe siècle. Ces révoltes menacent Cordoue, capitale de l’émirat.

Les muladíes des zones frontières agissent généralement en collaboration avec les territoires chrétiens et leur offrent un écran derrière lequel les royaumes et comtés de la zone chrétienne s’organisent et se renforcent, sans disposer encore de forces suffisantes pour mettre en danger l’émirat et sa capitale. Ces révoltes sont écrasées. Mais dans la seconde moitié du Xe siècle, ce sont les muladíes d’Andalousie qui se révoltent ; et les Omeyyades devront employer toutes leurs forces pour en venir à bout.

La révolte des muladíes andalous est d’abord désorganisée. Il s’agit de protestations ici et là contre l’impôt. Mais un certain Umar ibn Hafsun va fédérer ces mécontents. Il s’est installé dans la forteresse de Bobastro, dans la sierra de Ronda, d’où il lance des raids dans la plaine. Capturé, il est intégré à l’armée de l’émirat de Cordoue dans laquelle, et malgré ses compétences, il subit le mépris des Arabes pour les muladíes. Il déserte, revient à Bobastro et attire à lui les populations des environs. Son plan est à présent défini. Il consiste à en finir avec une fiscalité oppressive mais aussi à se venger du mépris des Arabes à l’égard des Musulmans qui ne sont pas arabes, à commencer par les muladíes, des Musulmans d’origine hispano-wisigothe, rappelons-le.

La révolte conduite par Umar ibn Hafsun s’articule avec d’autres révoltes muladíes dont plusieurs ont lieu dans les montagnes de Jaén et dans le sud de ce qui deviendra le Portugal. Les révoltes les plus violentes ont lieu à Séville et Grenade. Les Arabes de ces villes finissent par en reprendre le contrôle sans l’aide de Cordoue dont les troupes sont occupées à réduire Bobastro.

Tableau IX

Covadonga ou le début de la Reconquête – la Reconquista. Reconquête des terres conquises par les Musulmans sur les Wisigoths. Les chroniqueurs mozarabes (soit les Chrétiens vivant en territoire musulman dans la péninsule ibérique) ayant quitté al-Andalus durant la seconde moitié du IXe siècle présentent les rois asturiens comme les successeurs du royaume wisigoth de Tolède. De fait, la crise interne de al-Andalus et les succès militaires d’Alfonso III conduisent à une réflexion sur l’histoire de ce royaume à l’extrême nord de la péninsule, un travail auquel font s’atteler plusieurs chroniques avec le même objectif : prouver que ce roi asturien est l’héritier légitime des Wisigoths et qu’il est appelé par Dieu à reconstituer une unité perdue.

La Crónica Profetica est une adaptation aux temps d’alors de la prophétie d’Ézéchiel avec Gog (soit les Goths) soumis à Magog (soit les Musulmans), Gog qui finira par vaincre Magog. Ce texte et d’autres textes affirment qu’Alfonso III et ses successeurs ont le devoir de rétablir le royaume wisigoth et de combattre les Musulmans comme le fit Pelayo à Covadonga, une bataille entre réalité et légende. Premier monarque du royaume des Asturies, Pelayo aurait vaincu à la tête de trois cents soldats plusieurs milliers de Musulmans à Covadonga, l’ultime enclave chrétienne de la péninsule ibérique, l’ultime enclave d’une terre qui avait été dominée par les Wisigoths. Cette bataille (722) marquerait donc le tout début de la Reconquista qui devait s’achever en 1492 avec la prise du royaume de Grenade.

Alfonso I est le premier roi dont le règne soit documenté. Alfonso II sécurise son royaume et en confirme l’indépendance qui est d’abord indépendance ecclésiastique et suppression des impôts versés à Cordoue, capitale de l’émirat. La cessation du paiement des impôts n’est alors possible que si le royaume est militairement assez fort pour s’opposer aux forces envoyées par les émirs. L’indépendance asturienne est une réalité que confirme la rupture avec l’Église de Tolède, une rupture qui donne au royaume des Asturies une forte marque wisigothe. Le Liber Iudiciorum (ou Lex Visigothorum) est adopté comme norme juridique.

Le royaume consolidé, Alfonso II entreprend une politique volontaire : il prête son soutien aux muladíes et aux mozarabes de Tolède et Mérida, il accueille ceux qui se sont soulevés contre l’émir, il organise des attaques contre les possessions musulmanes, il parvient à piller Lisbonne et à s’emparer d’un important butin qui n’est peut-être pas étranger aux constructions réalisées à Oviedo. Le royaume des Asturies est protégé par ses montagnes et par l’agitation des muladíes. Il s’efforce d’unir les peuples qui le constituent (Galiciens, Asturiens, Cantabres et Basques), souvent en conflit les uns avec les autres lorsqu’ils ne le sont pas avec le pouvoir central.

En dépit de ces désordres et des attaques des Vikings le long des côtes galiciennes, Ramiro I parvient à repousser les frontières et occuper Léon dont la conquête définitive se fera avec Ordoño I. D’autres conflits entre muladíes et Arabes permettent à Alfonso III d’amplifier son domaine avec la conquête de Porto et de Coimbra avant de signer un traité de paix avec l’émir, en 883. Les expéditions d’Ordoño I et d’Alfonso III sont accompagnées d’une politique de repeuplement des régions conquises avec la construction de systèmes défensifs destinés à protéger les paysans.

Olivier Ypsilantis

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