Le grand changement dans les relations israélo-palestiniennes est bien l’échec de Camp David. Certes, il y avait eu d’autres grands changements dans l’histoire de ces relations, mais l’échec de Camp David est, me semble-t-il, le dernier de ces grands changements – ou changements historiques. Il y en aura probablement d’autres, mais de telles occasions sont relativement rares, une par génération tout au plus. Nombre d’Israéliens diversement convaincus par l’idée de « deux peuples/deux États » se sont sentis floués et se sont détournés de ce qui leur semblait être une possible voie vers la paix. Suite à cet échec, ils seront nombreux à être sur leurs gardes – et je ne saurais leur donner tort. Et ils restent nombreux à se dirent que les Palestiniens et leurs dirigeants ne veulent pas la paix et que leur but ultime est la déstabilisation d’Israël, prélude à son effacement. Je ne pense pas forcer la note.
Il y avait pourtant avec Camp David une occasion historique rare, je le répète, avec une confortable majorité sous Ehud Barak, une majorité prête à s’en tenir aux concessions. Elle s’est dissipée pour cause de déception ; et parmi ces déçus, l’un des principaux représentants des Nouveaux Historiens, Benny Morris auquel j’ai consacré un article (une traduction-adaptation d’une entrevue) publié sur ce blog même, article que je mets en lien :
http://zakhor-online.com/?p=14945
Cette immense déception qui, je le répète, n’est pas née de rien, a grandement favorisé l’élection d’Ariel Sharon ; et la droite dans son ensemble, Likoud en tête, a ainsi pu mieux faire partager ses vues et sa vision, dont celle du Grand Israël.
On évoque à satiété les torts d’Israël mais il faudrait également évoquer ceux des Palestiniens en cessant de les envisager exclusivement comme des Opprimés, des Martyrisés, des Spoliés et j’en passe. Leurs torts sont nombreux. Il faut cesser d’infantiliser les Palestiniens, appellation hasardeuse, les Juifs étant eux aussi des Palestiniens pour celui qui étudie l’histoire sur le temps long. Appellation hasardeuse et fluctuante, abandonnée et récupérée… Cette appellation à présent si vague à bien y penser, usurpée même, désigne pour l’essentiel des Arabes venus de divers pays arabes au cours de plusieurs générations avec une accélération depuis la création du Yichouv, soit l’implantation conséquente des Juifs en Palestine avant la création de l’État d’Israël, et que Georges Bensoussan désigne comme un proto-État.
Probablement excités par leur propagande, les Palestiniens n’envisagent les Israéliens que comme des conquérants et, de ce fait, ils ne peuvent appréhender ce qui est essentiel – vital – de ce qui est subsidiaire pour les Juifs d’Israël. L’occupation du Sud-Liban était ponctuelle, liée à des questions de sécurité et les Juifs d’Israël ne désiraient que le retour de leurs soldats – leurs enfants. Le « droit au retour » pose quant à lui un problème existentiel pour Israël puisqu’il contredit le principe de « deux peuples- deux États » et signifie à moyen-long terme l’effacement d’Israël – de l’État juif.
Où en est donc l’espoir d’une paix durable qui suppose la reconnaissance indiscutée de l’État d’Israël, sachant que le projet du Grand Israël n’habite plus qu’une partie ultra-minoritaire de la population juive d’Israël ? Le pays est en quelque sorte acculé et il lui faut tenir, situation angoissante à laquelle il doit faire face car il n’y a pas d’alternative.
En Europe, l’information en continue sur la région est généralement distordue avec arrêts sur images montrant des scènes de violence et de souffrance où le Palestinien tient toujours le rôle de la victime, toujours. Cette information joue sur l’émotion, ce qui est bon pour l’audimat mais qui n’aide guère à l’étude d’une situation particulièrement complexe. Mais l’émotion fait vendre et, surtout, simplifie, ce qui flatte le plus grand nombre, guère porté à la réflexion prolongée. Nous avons donc le Bourreau / la Victime, le Fort / le Faible, le Méchant / le Bon, etc., avec Israël toujours et nécessairement dans le rôle du Bourreau, du Fort, du Méchant, etc.
Et il me faut parler de la Shoah, sans chercher à jeter un voile sur la question palestinienne. En Europe, aire de la Shoah, il y a une tendance marquée à jouir de la souffrance morale qui pèse sur nombre de Juifs d’Israël. Par ailleurs, l’Europe voit dans la moindre violence envers les Palestiniens (trop souvent décontextualisée, avec arrêts sur images et effets de zoom) une occasion de rééquilibrer ses propres violences contre les Juifs, avec le paroxysme nazi. Le Juif oppressé est devenu oppresseur, et hop, la mauvaise conscience et le sentiment de culpabilité européens se voient allégés comme par enchantement, car il s’agit bien d’une opération d’enchantement. On met l’accent sur les fautes des Juifs et aussi peu que possible, voire pas du tout, sur celles des autres, ce qui est bien une forme d’antisémitisme implicite, une forme d’antisémitisme particulièrement répandue car elle ne s’éprouve pas comme telle et pense donc qu’elle peut s’afficher sans honte, à tout propos et bruyamment.
Dans l’immense production écrite relative à Camp David, et dont je n’ai lu qu’une infime partie, un article m’a retenu. Je ne sais s’il est particulièrement lucide, mais j’en ai apprécié le ton équilibré. Et il est possible qu’en la circonstance j’accorde plus d’importance à la forme qu’au fond ; mais qu’importe, je rapporte ce qu’écrit Robert Malley, ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour les questions israélo-arabes, afin de le soumettre à la réflexion. Robert Malley écrit donc (je traduits et résume) que selon l’opinion générale, aux États-Unis et en Israël, à Camp David, on avait répondu à 99% des aspirations des Palestiniens qui s’étaient contentés de dire « non » et, pire, sans faire la moindre concession. Robert Malley écrit avoir été terriblement déçu, abattu même, par l’attitude des Palestiniens. Mais il se reprend et déclare ne pas vouloir ajouter des légendes à des erreurs avérées, des légendes qu’il expose et analyse :
Légende 1. Camp David a été un test significatif des intentions réelles de Yasser Arafat.
Ce dernier n’avait pas l’intention de se rendre à Camp David, notamment parce qu’il jugeait que les relations entre les États-Unis et Israël étaient trop fortes et que, par ailleurs, un certain nombre d’engagements israéliens n’avaient pas été tenus, parmi lesquels le retrait de secteurs de la Cisjordanie ainsi que le transfert aux Palestiniens du contrôle des villages jouxtant Jérusalem. Ainsi Yasser Arafat crut-il qu’Ehud Barak cherchait avec Camp David à fuir ses engagements. (Je n’ai jamais cru en la parole de Yasser Arafat mais, une fois encore, je ne fais que rapporter les propos de celui qui fut conseiller spécial de Bill Clinton). Robert Malley note tout de même qu’il fallait une bonne dose d’optimisme (je dirais même de naïveté) pour régler de la sorte les différends entre Juifs et Arabes (une désignation que je préfère en la circonstance à « Palestiniens ») de la région, des différends qui remontaient bien au-delà de la création de l’État d’Israël.
Légende 2. L’offre israélienne répondait à la plupart, voire à toutes les aspirations légitimes des Palestiniens.
On ne peut nier l’importance des propositions israéliennes à l’occasion de Camp David. Elles ne satisfont pas Yasser Arafat. Israël propose d’annexer 9% de la Cisjordanie et de Gaza et, en échange, l’État palestinien (soit 91% de la Cisjordanie et de Gaza) se verrait attribuer un territoire israélien égal au neuvième du territoire annexé par Israël. Question de Robert Malley : Comment Yasser Arafat allait-il expliquer aux Palestiniens le rapport de 1 à 9 dans cet échange ? Les concessions à Jérusalem étaient particulièrement difficiles à accepter pour les Israéliens. Je passe sur les détails de ce complexe découpage, un puzzle. Question de Robert Malley : Malgré la générosité de la proposition israélienne, comment Yasser Arafat allait-il justifier devant son peuple qu’Israël garde la souveraineté sur certains quartiers arabes de Jérusalem-Est et sur le mont du Temple, le Haram el-Charif ? Quant au problème des réfugiés, les promesses étaient jugées trop vagues par le leader palestinien.
Légende 3. Les Palestiniens n’ont fait aucune concession.
Robert Malley n’accepte pas l’idée selon laquelle le refus palestinien des propositions de Camp David servit de masque au refus de l’existence d’Israël. Je n’ai pas les compétences de Robert Malley mais je ne puis pour autant accepter sans sourciller cette affirmation, par instinct probablement, car je reste convaincu que la plupart des Palestiniens n’espéraient (et n’espèrent encore) que la disparition d’Israël. Robert Malley recense les propositions palestiniennes, dont la création d’un État palestinien sur la base des frontières de juin 1967 – et je n’entre pas dans les détails. Bref, il défend la pertinence de Camp David (dont il a été, redisons-le, l’un des principaux organisateurs). Dans un beau souci d’équilibre, il loue Ehud Barak, son ample et profonde vision, son courage politique, la valeur de ses propositions. Il dit regretter que les Palestiniens n’aient pas assumé leurs responsabilités à l’occasion de ce sommet historique.
Je respecte a priori le travail de cet homme de bonne volonté mais ses propos me donnent tout de même l’impression qu’il tourne assez gentiment en rond. Je le crois lorsqu’il déclare que Camp David ne s’est pas tenu dans la précipitation et qu’il a probablement évité une explosion de violence due à l’absence d’une avancée conséquente dans le processus de paix, une dégradation que semblent avoir relevée les analystes de tous bords et dès le printemps 2000.
J’ai pour ma part toujours espéré un Grand Israël, soit la suppression de cette écharde qu’est Gaza et de cette masse cancéreuse qu’est la Cisjordanie. J’ai toujours espéré une frontière claire et nette le long du Jourdain. Je sais que cette vision d’un Grand Israël (pas si grand, on peut rêver plus) est devenue irréaliste, une utopie. Dois-je pour autant cacher que je ne puis dire prononcer le mot « Cisjordanie » sans avoir l’impression de me salir – de mentir ? Et je m’empresse de le remplacer par « Judée-Samarie ». Je ne suis pas un ultra-nationaliste ni un membre du Parti national religieux (P.N.R.), ce parti qui engagea un accord avec le gouvernement d’union nationale présidé par Ariel Sharon, en avril 2002 ; je ne suis pas juif et je ne suis pas l’un de ces Chrétiens qui ne sont amis des Juifs et ne soutiennent Israël que pour mieux préparer la venue du Messie – de leur Messie – en la personne de Jésus-Christ. Ces Chrétiens me font immanquablement penser à quelqu’un qui inviterait un ami au restaurant en lui laissant de soin à la fin du repas de régler la facture… J’ai toujours respecté les amis d’Israël en prenant toutefois mes distances avec certains d’entre eux, comme les évangélistes américains. Une fois encore, je respecte leur soutien à Israël dans un monde où les contempteurs d’Israël pullulent.
Olivier Ypsilantis