Je suis sioniste ; et ce n’est pas un coup de gueule — une humeur passagère — mais le fruit de nombreuses années de réflexion. La situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Israël me préoccupe et me fait volontiers tomber dans un pessimisme noir. Pourtant, lorsque je prends un peu — et rien qu’un peu — de distance vis-à-vis de l’actualité (au fond, rien n’est moins actuel que l’actualité) et de l’information (de la désinformation le plus souvent), ce pessimisme se dissipe. L’histoire d’Israël est si considérable qu’elle porte à l’espérance. Des propos de Léon Ashkénazi m’ont réconforté. Ils ont été prononcés à l’occasion de la conférence organisée sur le thème «Le messianisme juif en relation avec la situation actuelle», le 20 février 1996, suite aux accords d’Oslo A (1993) et aux accords d’Oslo B (1995). Cette allocution d’un homme que j’ai découvert en étudiant la vie de Marianne Cohn (1922-1944) et l’histoire des Éclaireurs israélites de France (E.I.F.) doit être citée dans son intégralité. Elle s’ouvre sur ces mots : «La très longue histoire de notre patrimoine si dense met en évidence une tension entre un optimisme irréversible à long terme et, à court terme, un désarroi indéniable». On peut lire plus loin : «Un processus s’est déclenché avec le Rassemblement des exilés. C’est la réalité de ce rassemblement qui permet d’être optimiste à long terme». Ci-joint, en lien, l’intégralité de cette remarquable allocution de Léon Ashkénazi :
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J’ai visionné la vidéo de Ruben Salvadori, sur YouTube, intitulée «Journalistes au Moyen Orient – L’envers du décor», Jérusalem-Est, 13 mai 2011 :
www.youtube.com/watch?v=agY9FgNX8FY
Elle me suggère deux remarques :
◆ Première remarque. Il y a aujourd’hui de nombreux individus en suspension dans l’ennui, sans talent et donc sans conviction. Pour tromper l’ennui, ils partent à la recherche d’émotions fortes ; mais leur manque de conviction, et donc de courage, les incite à tricher, à se contenter de montages minables, avec cadrages supposés les mettre en valeur, les faire apparaître comme courageux — dans le feu de l’action ! Mais tout le monde n’est pas Don McCullin à Hué, Robert Capa dans la première vague d’assaut à Omaha Beach ou Gerda Taro en Espagne. Bref, Ruben Salvadori démonte non sans humour toute une jactance qui fait la une de la presse. Karl Kraus aurait apprécié ce travail.
◆ Deuxième remarque. Pourquoi donc ces mises en scène minables ? Pourquoi cette demande ? Il faut bien sûr nourrir la bête — les mass-médias ; mais il y a aussi que «le transfert auquel procède le devoir de mémoire a fait de la Palestine la victime universelle appelant sur elle une vigilance désormais cosmique. La conjonction de l’antisémitisme arabo-islamique et de la culpabilité européenne a engagé la société internationale dans une surenchère sans rapport avec la réalité du conflit au Moyen-Orient objectivement dérisoire. Gageons que si Israël n’était pas en cause, on n’aurait jamais entendu parler des Palestiniens !», une remarque de Shmuel Trigano dans «Les Frontières d’Auschwitz». La Shoah a été poussée dans la cave de la maison Europe ; mais les habitants de cette maison n’ignorent pas que quelque part CHEZ EUX traîne quelque chose qui n’aurait pas dû être et dont ils aimeraient se défaire pour de bon. Le conflit israélo-palestinien vient à point. L’affaire Mohammed al-Durah (et il y en a d’autres dans le genre) allège comme par enchantement des consciences embarrassées, de celles qui trouvent que l’«on parle trop de la Shoah». On arrive à ce qui suit : les Juifs ont été massacrés mais eux aussi massacrent ! + 1 − 1 = 0 ; il ne s’est rien passé, tout s’annule, opération magique ! C’est pourquoi Israël est d’une certaine manière piégé dans les frontières d’Auschwitz.
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Je ne suis pas un Juif d’Israël, aussi ai-je évité d’écrire une seule ligne sur la libération de Gilad Shalit dont je me réjouis silencieusement tout en éprouvant de grandes inquiétudes sitôt que je me mets à envisager (avec les moyens très limités dont je dispose) les conséquences politiques d’une telle décision, à court, moyen et long terme. L’émotion me prend mais la réflexion poursuit son travail «insidieux» et me désigne un chemin encore plus miné. Puis l’émotion et la réflexion se jettent des pierres : «Écarte-toi de mon chemin !» s’invectivent-elles. Quoiqu’il en soit, je fais confiance à Israël et à son gouvernement. Ils n’ont pas agi à la légère, ils ne peuvent s’offrir ce luxe. Je souhaite que chaque Palestinien libéré et responsable d’attentats (deux cent quatre-vingts d’entre eux étaient condamnés à la perpétuité) se sente quotidiennement menacé, bien plus menacé qu’en prison. Il me semble que c’est précisément ce que ces assassins vont commencer à éprouver.
Je ne suis pas un Juif d’Israël, aussi ai-je évité d’écrire une seule ligne sur la libération de Gilad Shalit dont je me réjouis silencieusement tout en éprouvant de grandes inquiétudes sitôt que je me mets à envisager (avec les moyens très limités dont je dispose) les conséquences politiques d’une telle décision, à court, moyen et long terme. L’émotion me prend mais la réflexion poursuit son travail «insidieux» et me désigne un chemin encore plus miné. Puis l’émotion et la réflexion se jettent des pierres : «Écarte-toi de mon chemin !» s’invectivent-elles. Quoiqu’il en soit, je fais confiance à Israël et à son gouvernement. Ils n’ont pas agi à la légère, ils ne peuvent s’offrir ce luxe. Je souhaite que chaque Palestinien libéré et responsable d’attentats (deux cent quatre-vingts d’entre eux étaient condamnés à la perpétuité) se sente quotidiennement menacé, bien plus menacé qu’en prison. Il me semble que c’est précisément ce que ces assassins vont commencer à éprouver.
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«Le mot ‘‘dialectique’’ permet de dire :
1 – Qu’il n’y a aucune vérité définitive — ce qui fait que l’on ne peut vous prendre en contradiction : car ce qui n’est pas vrai aujourd’hui peut être vérifié dans l’avenir. C’est un pragmatisme messianique.
2 – Que le matérialisme de Marx ne peut jamais être prouvé ni réfuté dans ces conditions pas plus que l’idéalisme de Hegel. Tous les deux étant ‘‘dialectiques’’ échappent par là même à toute détermination. Ils en triomphent alors qu’ils devraient en être accablés. Il n’est pas digne d’un homme d’adopter une ‘‘méthode’’ qui prétend être une clé universelle et croit rendre compte de tout en n’expliquant rien. «Comme à côté de pareilles ‘‘méthodes’’ paraissent beaux les ‘‘systèmes’’ ! Au moins ont-ils pour eux la franchise», note Jean Grenier dans «Essai sur l’esprit d’orthodoxie.»
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Le lien ci-joint va dans le sens de ce que j’éprouve :
http://www.tabletmag.com/news-and-politics/72679/time-out/
Et je reprends à mon compte la remarque de l’auteur de cet article : «Time, on the contrary, seems to be on Israel’s side». On retrouve l’air de rien la remarque de Léon Ashkénazi du 20 février 1996 : «La très longue histoire de notre patrimoine si dense met en évidence une tension entre un optimisme irréversible à long terme et, à court terme, un désarroi indéniable». Ainsi l’analyse technique de David P. Goldman (dans «Time Out») rejoint-elle les considérations mystiques et philosophiques de Léon Ashkénazi. Aujourd’hui, Israël occupe très précisément la position d’Alexandre le Grand à la bataille de Gaugamèles (331 av. J.-C.), la plus importante bataille de l’Antiquité dit-on. La cavalerie des Compagnons et les frondeurs d’élite…
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Je suis un chien puisque je suis sioniste. Je suis un chien sioniste (difficile à prononcer) comme d’autres furent des chiens (parce qu’)anti-communistes — on connaît le bon mot de Jean-Paul Sartre. Mais je suis un chien libre, contrairement à ces chiens antisionistes que l’on enferme dans le chenil après la chasse — le chien antisioniste ne chasse qu’en meute.
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Dans la presse nationale espagnole (toutes tendances politiques confondues), la mort de Kadhafi occupe des pages bien éloignées des premières pages : l’ETA a déclaré renoncer définitivement à la lutte armée. Que faut-il croire ? Les breaking news se bousculent. Je ne vais pas me livrer à un bilan des actions de l’ETA, mais personne n’a oublié l’attentat dans le supermarché Hypercor de Barcelona, le 19 juin 1987, qui tua et blessa respectivement vingt-et-une et quarante-cinq personnes, dont certaines très grièvement. Plus récemment, le 30 décembre 2006, au Terminal 4 de Madrid-Barajas, une énorme construction (des parkings) fut volatilisée et deux Équatoriens tués. Et comment oublier Miguel Ángel Blanco, conseiller municipal PP d’Ermua, exécuté en juillet 1997, suite au refus du gouvernement de céder au chantage des ravisseurs ? Il fut tué de deux balles dans la tête, mains liées, abandonné dans un fossé. Des millions d’Espagnols défilèrent spontanément dans les rues, des millions ! Et les places se couvrirent de bougies, entourées de femmes, d’hommes et d’enfants, silencieux dans la nuit. L’Espagne vivra un rassemblement comparable, en mars 2004, suite aux attentats d’Atocha.
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«Le communisme est donc moins une religion, dont le christianisme continue d’offrir le modèle aux Occidentaux, qu’une tentative politique pour en trouver un substitut dans une idéologie érigée en orthodoxie d’État. Orthodoxie qui nourrit encore des prétentions, abandonnées par l’Église catholique. Les théologiens avouent sans ambages que la Révélation ne contient pas de science astronomique ou physique, ou contient une science tout élémentaire, exprimée en termes accessibles aux esprits des peuples, à l’époque du Christ. Le physicien n’apprend rien dans la Bible, sur les particules nucléaires, il n’en apprend pas davantage dans les textes sacrés du matérialisme dialectique.
La foi chrétienne peut être dite totale, en ce sens qu’elle inspire l’existence entière ; elle a été totalitaire quand elle a méconnu l’autonomie des activités profanes. La foi communiste devient totalitaire dès qu’elle se veut totale, car elle ne crée l’illusion de la totalité qu’en imposant des vérités officielles, en soumettant aux consignes du Pouvoir des activités dont l’essence exige l’autonomie», note Raymond Aron dans «L’opium des intellectuels».
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«Ayant évidemment voté avec la majorité républicaine, je partage son contentement. Comme la foule des réfractaires au Matin brun, je suis soulagé et je savoure le triomphe des gens sympas sur les gens obtus, sans toutefois entrer dans la danse car ce sont les danseurs qui font aujourd’hui la vie dure aux Juifs. Pas tous les danseurs, bien sûr, mais il faudrait avoir une âme obnubilée par les tragédies advenues pour ne pas le reconnaître : l’avenir de la haine est dans leur camp et non dans celui des fidèles de Vichy. Dans le camp du sourire et non dans celui de la grimace. Parmi les hommes humains et non parmi les hommes barbares. Dans le camp de la société métissée et non dans celui de la nation ethnique. Dans le camp du respect et non dans celui du rejet. Dans le camp expiatoire des ‘‘Plus jamais moi !’’ et non dans celui — éhonté — des ‘‘Français d’abord !’’. Dans les rangs des inconditionnels de l’Autre et non chez les petits-bourgeois bornés qui n’aiment que le Même», note Alain Finkielkraut dans un petit livre : «Au nom de l’Autre» sous-titré : «Réflexions sur l’antisémitisme qui vient». A bon entendeur, salut !
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Tout va se jouer autour d’Israël, un vieil instinct me le dit, Israël autour duquel se cristallisent le vieil antisémitisme grimé en anti-sionisme et toute une faune extraordinairement soucieuse des Palestiniens — du «peuple en danger». Trop de chrétiens et de post-chrétiens se tiennent un peu indécis devant Israël, lorsqu’ils n’invectivent pas ce pays : on ne se lave pas si facilement de tant de siècles d’anti-judaïsme.
Il faut le répéter, le combat engagé est religieux, politique aussi, mais politique appuyé sur le socle religieux. Je dis aux Juifs : «Ne vous perdez pas ! Revenez au socle !». Méfiez-vous de l’assimilation. Elle procure un certain confort, certes, mais au prix du renoncement à l’âme, à votre âme juive qui est aussi la nôtre puisqu’elle nous nourrit.
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L’information doit aussi être comprise comme désinformation : on parle de ceci pour ne pas parler de cela, c’est simple. Le bavardage est destiné à couvrir le silence, car le silence sait être très éloquent, trop éloquent… Les actualités naissent vieilles — au fond, il n’y a rien de moins actuel que les actualités. Et, bien sûr, il faut nourrir la bête : les écrans et les pages réclament, et il faut soutenir l’audimat et les tirages, les augmenter même. Tu m’entends Karl Kraus ! Tu le vois ce monde ? L’affaire Dominique Strauss-Kahn a simplement avivé la sensation que j’ai d’une certaine horreur. On serait choqué si la peine du pilori était rétablie dans les espaces publics, mais les mass-médias sont ce pilori. Et l’homme moderne l’accepte parce que, ainsi que l’avait remarqué Georges Bernanos, «L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible». Pouah ! Et je n’y peux rien, le déchaînement de la masse (virtuelle ou bien réelle) contre l’individu me donne des hauts-de-cœur. Cet individu peut être Dominique Strauss-Kahn mais aussi Kadhafi. Qu’une foule ou qu’un groupe lynche un homme, aussi condamnable soit-il, aux cris de «Allah akbar !» me donne tout simplement l’envie de faucher à la mitrailleuse cette foule ou ce groupe. Je sais que de telles considérations ne favorisent guère la réflexion politique, on m’en excusera…
(à suivre)