■ Le négationnisme est l’une des armes, non des moindres, pour attaquer Israël et, plus généralement, les Juifs. Une fois encore, Israël n’est pas le produit de la Shoah. La Shoah n’a produit que des cendres.
■ Le déni d’Israël emprunte des voies bien connues. L’une des plus empruntées refuse d’envisager les Juifs comme un peuple les considérant comme les simples tenants d’une religion. Étrange attitude qui simplifie d’un coup une histoire extraordinairement ancienne, complexe et d’une richesse tout simplement incomparable. De fait, l’histoire du peuple juif — j’ai dit du PEUPLE JUIF — est si riche qu’elle ne peut qu’effrayer les esprits paresseux. Elle les irrite même, alors ils simplifient ; de ce point de vue, le livre de Shlomo Sand, «Comment le peuple juif fut inventé», tombe à propos. Il est leur grimoire, un livre de magie destiné à éloigner le questionnement. Il rejoint les théories conspirationnistes qui, elles aussi, «expliquent» en taillant à coups de hachoirs dans l’infinie complexité du monde. Les auteurs de tels livres (parmi lesquels «The International Jew» d’Henry Ford, l’un des livres de chevet de Hitler) enfourchent le présupposé et galopent à bride abattue, entraînant avec eux les paumés.
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■ En lisant Pierre-André Taguieff, une remarque m’a frappé de plein fouet car je la porte en moi depuis longtemps : «Je fais l’hypothèse que la judéophobie antique aurait pu prendre la figure d’une xénophobie parmi d’autres si elle n’avait pas été intégrée et reformulée dans la doctrine chrétienne qui lui a donné une assise théologique et, sous cette forme élaborée, lui a permis de se diffuser universellement». La centralité d’Israël pour les Chrétiens (qui se voulaient Verus Israel) a permis de placer dans une centrifugeuse les accusations contre le peuple juif et le judaïsme et de les faire tourner à des vitesses variables. Le monde moderne — post-chrétien — a repris le flambeau. Depuis le XVIIIe siècle, les formes sécularisées de judéophobie proposent gratuitement aux foules des spectacles de son et lumière. Les nationalistes ont accusé les Juifs d’être des sans-nation. Les socialistes les accusent à présent d’être des nationalistes — sionistes —, à l’heure du on-se-tient-tous-chaud et du touche-pas-à-mon-pote. Le Juif fut un scandale pour les Chrétiens ; Israël est un scandale pour les socialistes. Un populisme misérabiliste, très vivace en France, active l’antisionisme qui se confond volontiers avec l’anti-américanisme. Hier, le nationalisme dénonçait le Juif. Aujourd’hui, l’internationalisme (ou l’alter-mondialisme) dénonce Israël et les sionistes — en ignorant généralement tout de l’histoire du sionisme. Mais qu’importe ! Ces hyper-moraux, orphelins du marxisme, peuvent se passer de l’étude et de la connaissance, précisément parce qu’ils sont hyper-moraux…
■ J’écouterais volontiers les «amis» des Palestiniens s’ils considéraient en toute sincérité que leurs protégés étaient véritablement «le peuple en danger», que Gaza était Auschwitz, etc. Je les écouterais s’ils s’émouvaient pareillement avec les Karens, les Tibétains, les Kurdes, les Sahraouis et j’en passe. Mais rien ! Alors je me dis que quelque chose ne va pas, que cette «compassion» cache quelque chose et qu’il me faut enquêter. Dois-je le dire ? Les «amis» des Palestiniens me sont décidément suspects, de plus en plus suspects. Je m’efforce de les passer aux rayons X. Lorsque je dis que je m’efforce de passer aux rayons X les «amis» des Palestiniens, je ne sous-entends pas que les Palestiniens aient tous les torts et que tous ceux qui défendent leur cause soient suspects. Je laisse simplement entendre, et sans détour, qu’il y a trop d’individus qui ne sont leurs «amis» que parce que ceux qui les «martyrisent» sont DES JUIFS. Je ne reviendrai pas là-dessus et, en toute modestie, je suis à ce sujet riche d’une assez lourde expérience que j’analyse scrupuleusement et dont je ne ferai fi en aucun cas. Israël est devenu le mode d’expression favori des antisémites introvertis, ceux qui n’osent plus dire ouvertement leur antisémitisme comme «au bon vieux temps». Car vous n’êtes pas sans savoir que l’antisémitisme a ses Introvertis et ses Extravertis. Parmi ces derniers, les nostalgiques de la croix gammée. Je le redis, je n’accepte l’imprécation ou la complainte pro-palestinienne que si l’individu qui l’exprime porte une même compassion à d’autres causes — autrement dramatiques. Si tel n’est pas le cas, ce dernier ne trouvera en moi qu’indifférence voire du mépris.
■ Réponse à un intervenant sur «L’avis sauve» : «Concernant la thèse de Shlomo Sand, il vous faudrait lire l’article de Mireille Hadas-Lebel publié dans le n° 128 (hiver 2009-2010) de la revue «Commentaire», sous le titre : «Le peuple juif est-il une invention ? Beaucoup de bruit pour peu de chose». Cette lecture devrait vous inciter à la réflexion, vous aider à rompre la laisse que tient fermement votre maître Shlomo Sand.»
■ On peut résumer ainsi la thèse de Shlomo Sand (Shlomo Quicksand de son vrai nom ?) : il n’y a pas de peuple juif mais seulement une «civilisation religieuse». Les historiens du XIXe siècle ont fait de cette histoire religieuse une histoire nationale dont les sionistes se sont emparés pour justifier la création d’un État juif. Shlomo Quicksand a édifié toute sa thèse sur ce présupposé.
■ L’histoire nationale juive existait pourtant bien avant le XIXe siècle, le siècle des nationalismes. De nombreux écrits juifs ont posé, il y a bien des siècles, non seulement des questions théologiques mais aussi politiques, nationales. Les Juifs du XIIe siècle (le siècle de Maïmonide) s’éprouvaient comme un groupe national. Shlomo Quicksand est ignorant (ou feint de l’être) de l’histoire du judaïsme. Il travaille avec une idée préconçue non pas en historien mais en publiciste, en propagandiste. Son livre «Comment le peuple juif fut inventé» est truffé d’erreurs et d’à-peu-près que le non-spécialiste que je suis peut aisément déceler. Je n’en citerai qu’une. Les Romains n’ont pas conduit une «répression religieuse» (en 70 et 135) mais l’éradication des éléments nationaux. C’est simple : les Romains se contrefichaient de la religion des autres aussi longtemps qu’elle ne portait pas atteinte à la paix civile, à la pax romana.
■ Autre idée à combattre. L’idée d’un peuple «racialement pur» (descendant en ligne directe des tribus d’Israël) est étrangère — radicalement étrangère — aux Juifs et à la religion juive. Les Juifs sont les dépositaires de la Tora qui invite l’humanité, fraternellement. Et, pour votre méditation, je me permets de mettre en lien un document que vous connaissez peut-être, un document qui m’a été communiqué par une amie et qui l’air de rien désigne ce qui m’apparaît comme le cœur du judaïsme :
http://www.youtube.com/watch?v=GDCcF883_vY
■ Et j’en viens à la conversion des Khazars que des sites et des blogs révisionnistes et négationnistes, antisémites et antisionistes (je m’abstiens de les nommer pour ne pas leur faire de publicité) agitent afin de «prouver» que le peuple juif a bien été inventé. Il y a dans l’immensité de la généalogie juive de nombreux convertis, de très nombreux convertis. Et alors ? Shlomo Quicksand n’épate que ceux qui veulent bien l’être : il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes tout en pédalant dans la choucroute, ce qui constitue en soi une sorte d’exploit. Juda Halévi m’est familier et, de ce fait, les Khazars me le sont. Rien de bien extraordinaire : j’ai vécu à Cordoue. L’histoire des Khazars a été d’emblée assimilée par les Juifs de toutes obédiences.
■ Jérusalem est un lieu central pour les Juifs depuis l’aube des temps, si vous me permettez l’expression. Les sionistes n’ont de ce point de vue rien ajouté. Shlomo Quicksand n’est qu’un historien débraillé, un propagandiste. Je suis convaincu que ses éditeurs flairaient un coup publicitaire : flatter un vaste public. Concernant Shlomo Quicksand, l’historien Alain Michel écrit : «Ancien du Matspen (Organisation socialiste en Israël) des années 1970, le seul parti israélien dont des membres ont fait de l’espionnage pour le compte de la Syrie, rattaché depuis longtemps aux milieux de l’ultra-gauche, «nouvel historien» post-sioniste, il fait partie de ces historiens pour lesquels les affirmations idéologiques sont plus importantes que les faits objectifs, d’où cette facilité à traiter de sujets que l’on ne connaît que superficiellement.»
■ Curieux tout de même cet empressement que les antisémites/antisionistes mettent à vous servir que les Juifs ne sont pas des Juifs — qu’ils sont une invention —, sous le prétexte que leurs ancêtres seraient les Khazars (rien que les Khazars) et en aucun cas les tribus d’Israël. Les origines «raciales» du peuple juif sont multiples, avec ces conversions tout au long d’une histoire planétaire exceptionnellement longue. Et il me semble que la spiritualité juive ne patauge pas trop dans la génétique qui, de ce point de vue, est plutôt l’affaire de leurs pires ennemis, obsédés par le «gène juif». Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, des Juifs échappèrent à la mort après avoir fait admettre qu’ils étaient des descendants de Khazars — de convertis donc — et en rien des Sémites, descendants des tribus d’Israël. L’histoire des Krimchaks est éloquente. Elle doit être mise en rapport avec celle des Caraïtes. L’intervenant qui a trouvé son maître en la personne de Shlomo Sand devrait commencer par étudier certains rapports du père Patrick Desbois et certains écrits d’Emanuela Trevisan-Semi, notamment «L’oscillation ethnique : le cas des Caraïtes pendant la Seconde Guerre mondiale». Ci-joint, un excellent lien pour non-spécialistes (dont je suis) sur l’histoire des Khazars avec d’autres liens en bas de page, notamment : «Les ethnies marginales du judaïsme» :
www.khazaria.com/francais/histoire-khazars.html
Je le redis, Shlomo Sand n’a jamais fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Une question : avait-il prévu son succès ?
■ Les nazis voulurent éradiquer les Juifs au nom de la Race. L’expression Rassenschande résume leur mentalité. A présent, on veut éradiquer le sionisme en refusant aux Juifs le statut de PEUPLE. Il faudra décidément travailler à un «Comment fut inventé ‘‘Comment le peuple juif fut inventé’’».
■ Léon Poliakov dans un entretien avec Élizabeth Weber : «L’histoire des Juifs paraissant unique en son genre, j’ai cherché des cas parallèles, et j’en ai trouvé un de très singulier et très peu connu sur lequel j’ai publié un livre («L’Épopée des vieux-croyants : une histoire de la Russie authentique») : c’est le cas des Altgläubige, des vieux-croyants russes, dont on ignore totalement quel rôle prodigieux ils ont joué dans l’histoire mondiale. Comme tant d’autres groupes persécutés, ils se sont spécialisés dans les finances et le commerce. Comparés à la majeure partie des entreprises russes (il y avait beaucoup d’étrangers aussi, mais limitons-nous ici aux Russes russes), ils étaient beaucoup plus dynamiques que les Russes orthodoxes et, l’antique rancune aidant, ils ont contribué de bien des façons à la victoire de Lénine, qui était soutenu financièrement par le plus riche d’entre eux, Savva Morosov. On peut donc plaider raisonnablement que, sans le rôle qu’ils ont joué, le cours de l’histoire mondiale aurait été différent.»
(à suivre)