En lisant la presse espagnole, un article me saute aux yeux. Il y est question de Robert Capa, en particulier de cette photographie qui montre la mort d’un milicien, l’une des photographies les plus célèbres du monde, peut-être la plus célèbre. On a écrit d’innombrables articles à son sujet et notamment remis en doute son authenticité : Robert Capa n’aurait-il pas fait poser le milicien ? J’ai lu des pages et visionné des vidéos très convaincantes à ce sujet et bourrées de remarques dignes d’un détective de Scotland Yard. Je n’exagère rien.
Or, récemment, un document est venu confirmer l’authenticité de cette photographie prise un jour de 1936, dans les environs de Cordoue, à Cerro Muriano plus précisément. Il s’agit d’un document radiophonique enregistré à New York, le 20 octobre 1947, dans les locaux de WNBC (une radio locale du groupe NBC), à l’occasion de la parution de son autobiographie ‟Slightly Out of Focus”. Il a été récupéré à l’occasion du centième anniversaire de la naissance à Budapest, le 22 octobre 1913, d’Endre Ernö Friedmann. Qu’apprend-on ? Que Robert Capa actionna son appareil au moment précis où une balle touchait le milicien ; et le photographe décrit très précisément le déroulement de l’opération, avec ces vingt miliciens qui s’élancent à plusieurs reprises d’une tranchée contre une mitrailleuse franquiste cachée quelque part, des miliciens qui se replient avant de repartir à l’assaut en perdant à chaque fois quelques-uns des leurs ; et ainsi trois ou quatre fois de suite. Robert Capa qui est dans la tranchée dit avoir pris cette photographie (qu’il considère comme la meilleure de son œuvre) sans vraiment regarder : il a brandi l’appareil au-dessus de sa tête avant d’expédier le négatif pour développement. ‟Le hasard fait bien les choses” dira-t-on, une expression qui pourrait susciter des dialogues talmudiques et hassidiques, immenses donc.
Ci-joint, un document unique, la voix de Robert Capa :
http://www.icp.org/robert-capa-100
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L’Espagne célèbre le centenaire de la naissance de Nicolas Muller (1913-2000), un photographe qui l’a célébrée. Nicolas Muller, Juif hongrois, est né à Orosháza. Ce regard quelque peu oublié est une mémoire essentielle de l’Espagne de l’après-guerre. Il a célébré ses murs blancs badigeonnés à la chaux vive, des murs qui vous font cligner des yeux. Une expression venue de son ami José Ortega y Gasset reste associée à son œuvre : la luz domesticada. Brièvement, Nicolas Muller quitte son pays natal en 1938 et, après un périple en Europe, il séjourne à Paris qu’il quitte face à l’avance allemande. Il part pour le Portugal puis pour Tanger. Invité par ‟Revista de Occidente”, la revue fondée par José Ortega y Gasset, en 1923, il arrive en Espagne en 1947. Il y restera jusqu’à sa mort, en 2000.
Nicolas Muller est un témoin essentiel de la España de la posguerra, de ses espaces et de ses gens, en particulier des représentants de la Generación del 98 dont il a fait nombre de portraits. Son amitié avec le journaliste asturien Fernando García Vela (secrétaire de ‟Revista de Occidente” jusqu’en 1936), chez qui il avait fait de nombreux séjours, l’amena à s’installer à la fin des années 1960 dans cette province septentrionale du pays. C’est là qu’il est décédé, à Andrín plus précisément.
José Ortega y Gasset photographié par son ami Nicolas Muller
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Je pensais que l’affaire concernant l’authenticité de la plus célèbre photographie de Robert Capa et plus généralement du photojournalisme était réglée depuis la découverte du document sonore ci-dessus mentionné. Mais en lisant un article dans une revue espagnole, le doute m’a repris. Robert Capa qui avait un superbe talent de conteur (digne de Blaise Cendrars d’après certains témoignages) a-t-il dit la vérité ? Il ne s’agit pas de remettre en cause son courage (il s’est toujours efforcé d’être au plus près — souvenons-nous en particulier d’Omaha Beach) mais, afin de protéger une image emblématique, n’aurait-il pas pris quelque liberté avec la vérité ? Víctor Rodríguez, l’auteur de l’article en question, rappelle qu’aucune trace d’impact n’est visible sur la chemisette blanche du milicien. Par ailleurs, la scène pourrait s’être déroulée non pas à Cerro Muriano mais à Espejo, un village de la province de Cordoue alors à quelque dix kilomètres du front. On se demande même si l’auteur de cette photographie ne serait pas Gerda Taro…
En lien, un enquête type police criminelle intitulée ‟La sombra del iceberg” (durée environ 1 h 40) :
http://www.youtube.com/watch?v=coM3yjPfOV0
Il est beaucoup question de Robert Capa dans la presse espagnole. En effet, on célèbre les cent ans de sa naissance (le 22 octobre 1913), un évènement que marque l’exposition Magnum’s First (du 23 octobre 2013 au 19 janvier 2014) à la Fundación Canal (Mateo Inurria, 2 – Madrid). Les photographies exposées ont une histoire. En juin 1955, soit huit ans après la fondation de Magnum Photos, à New York, et un an après la mort de deux des membres fondateurs, Robert Capa et Werner Bischof, était inaugurée à l’Institut français d’Innsbruck la première exposition particulière de ladite agence. Elle s’intitulait Gesicht der Zeit et comprenait quatre-vingt-trois œuvres exclusivement en noir et blanc de huit photographes : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Werner Bischof, Ernest Haas, Marc Riboud, Erich Lessing, Inge Morath et Jean Marquis. D’Innbruck, l’exposition voyagea en Autriche : Vienne, Bregenz, Graz et Linz, avant de revenir à Innsbruck. Les œuvres furent oubliées durant cinquante ans avant d’être retrouvées en 2006 dans les caves de l’Institut français d’Innsbruck. Après une minutieuse restauration, les quatre-vingt-trois photographies se remirent à voyager : Autriche, Allemagne, Slovénie et, à présent, Espagne. Seules trois d’entre elles sont signées Robert Capa. Elles ont été prises en 1951, au Pays Basque français. De Gesicht der Zeit à Magnum’s First…
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Pour ceux qui ne connaissent pas Inge Morath (1923-2002), je leur propose un lien, ‟Mask series”, une collaboration Inge Morath – Saul Steinberg, un délice :
http://www.foam.org/foam-magazine/portfolios/m/morath,-inge
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Lorsque j’étais enfant, j’ai découvert (et détaillé) une photographie de Marc Riboud sans savoir qui en était l’auteur. Il me semble que je l’ai découverte dans Paris-Match auquel mon père était abonné. ‟La jeune fille à la fleurs” a été prise en octobre 1967, à Washington D.C., lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam. Elle a d’emblée accédé au rang d’image-icône. Face à la jeune fille, des soldats de la United States National Guard, baïonnettes au canon mais dans leurs fourreaux, ce qui rassurait l’enfant que j’étais. J’ai appris aujourd’hui même (par la magie d’Internet) que cette héroïne s’appelle Jan Rose Kasmir, née en 1950. Je suis même allé faire un tour sur son compte Facebook…
‟La jeune fille à la fleurs” de Marc Riboud
Olivier Ypsilantis