(suite 11 août). Souffles frais dans le Parque Eduardo VII. Calouste Gulbenkian Foundation. Son fondateur, Calouste Sarkis Gulbenkian (1869-1955), issu d’une riche famille arménienne. Arrivé à Lisboa en 1942, il y restera jusqu’à sa mort. Quelques notes de visite : Qui a mieux célébré le chat que les Égyptiens (devant une statuette de la Basse-Époque – XXVI Dynastie – 664/525 av. J.-C.) ? Barque solaire de Djedhor ; la proue et la poupe se répondent et se terminent en disque — solaire ? Je retrouve nombre de monnaies grecques qui me sont familières, parmi lesquelles celle d’Acanthe (le taureau et le lion tête-bêche, ce dernier agrippé de toutes ses dents et de toutes ses griffes à l’échine du taureau). Et toujours la magnifique monnaie de Syracuse avec la nymphe Aréthuse à la chevelure si délicatement relevée. Sur l’une de ces pièces, je détaille chacune de ses boucles qui forment des entrelacs d’une fascinante finesse — et de fait je dois faire des efforts pour en détacher mon regard. Des tapis persans (en soie) où se lit une influence chinoise plus ou moins prononcée. De magnifiques bols perses du XIVe siècle de Kashan (période ilkhanide de type sultanabad). Les plus beaux d’entre eux présentent un dense camaïeu gris-vert qui en couvre l’intérieur et l’extérieur — une élégance suprême. Des étoffes turques (XVIe-XVIIe siècles) dont j’imagine sans peine les motifs transposés puis standardisés par William Morris. Il faut s’approcher des portraits de Frans Hals pour appréhender la liberté de sa touche (devant son portrait de Sara Andriesdr Hessix). Les mouvements du pinceau (toute une gestuelle) chez Rubens et Delacroix, un air de famille. Un paysage de Ruysdael trop appliqué. Les éléments de la composition ne dialoguent pas entre eux. La maestria avec laquelle Hubert Robert occupe une vaste portion de ciel à l’aide d’un simple arbre fragile ou mutilé. Hubert Robert est l’un des artistes avec lesquels j’ai le plus appris quant à la mise en page, la composition. Maurice Quentin de La Tour, ses portraits au pastel : la trace de l’outil est effacée sur les visages par un délicat travail d’estompe tandis qu’elle est souvent visible sur les étoffes des vêtements. Un régal, une salle Francesco Guardi avec dix-neuf peintures de formats divers. Francesco Guardi est généralement plus libre que Canaletto (trop descriptif). Il faut s’approcher des compositions de Francesco Guardi pour goûter la liberté de sa touche, avec ces façades de Venise où les ouvertures s’inscrivent avec liberté. Plaisir de retrouver ces artistes qui figurent dans ma galerie intime : Corot, Daubigny, Lépine. Longuement tourné autour de « Flora » (1873) de Carpeaux, l’original en marbre blanc. Une pièce est consacrée au grand René Lalique. Je détaille ses bijoux et me retrouve enveloppé par l’ambiance de « Bruges-la-Morte » de Georges Rodenbach.
Partout sèche du linge aux fenêtres et aux balcons.
12 août. Marche dans la ville. Des fresques ont été peintes sur des pignons, des fresques volontiers portées par de pertinents concepts et de belles astuces. Des containers à recycler le verre sont eux aussi peints avec esprit. Une adresse à retenir : 68, rua Nova da Piedade (à côté de la Assembleia da República), Panarella – Gelati alla romana – Gelado e Sorvete a moda de Roma (sans colorant ni conservateur, fabrication maison). La fille qui nous sert à des yeux bleus comme le foulard dans lequel sa chevelure est entortillée. Face à la Assembleia da República, une quincaillerie a accroché une vingtaine de pots de chambre blancs en métal émaillé. On pourrait croire à de la provocation considérant ce qui lui fait face, mais non… Des librairies et des pâtisseries partout ; dans mon quartier, elles alternent. Certaines librairies sont des antres, avec un bel encombrement : j’ai le sentiment que le secret du monde est caché quelque part dans ces empilements et ces alignements de livres et qu’il me faudra partir à sa recherche. Librairies et pâtisseries… A ce propos, il m’arrive d’éprouver un plaisir culinaire à lire. Récemment, j’ai lu et relu des passages de l’autobiographie d’Anthony Trollope et de G. K. Chesterton pour les sentir fondre dans ma bouche… Il pourrait s’agir de synesthésie.
13 août. Symbole de la CTT Correios de Portugal, un cavalier rouge sur un cheval rouge au galop souffle dans une trompette.
A la mairie de Lisbonne, exposition Luís Dourdil (1914-1989) à l’occasion du centenaire de sa naissance. Je crois noter dans ses peintures des années 1960 un air de famille avec Jacques Villon. La première œuvre de cette petite rétrospective a un air Constantin Meunier plutôt prononcé. Ci-joint, un lien intitulé « A figura humana abstraccionista de Luís Dourdil » :
http://www.tvamadora.com/Video.aspx?videoid=2057
Dans l’Atelier-Museu Júlio Pomar, une exposition organisée en collaboration avec le Museu do Fado. C’est une immense salle lumineuse avec mezzanine. La structure en bois qui soutient le toit a été peinte en blanc comme tout le reste. De belles variations sur Fernando Pessoa. Des parties de ces dessins de grandes dimensions tendent vers le gestuel (on pense à Hans Hartung). Les symboles de Fernando Pessoa : le chapeau, les petites lunettes rondes et la petite moustache. L’artiste utilise volontiers le papier végétal. Un projet de station de métro (1983-1984) avec l’écrivain dédoublé. Sur une peinture, Fernando Pessoa ressemble étrangement à James Joyce. A l’étage, une suite d’excellents petits autoportraits au crayon réalisés entre années 1940 et 1990. L’artiste semble être de bonne compagnie. Júlio Pomar (né en 1926) est toujours en vie et habite juste en face de l’Atelier-Museu, dans cette ruelle rectiligne (rua do Vale) qui mène à la Igreja de Nossa Senhora das Mercês. Ci-joint, l’inauguration de Atelier-Museu Júlio Pomar (en 2013), en présence de l’artiste :
https://www.youtube.com/watch?v=4H3Pk8OP3SU
Une particularité de la Igreja de Nossa Senhora das Mercês : les bénitiers placés en symétrie et qui font le tour de deux colonnes cannelées à section carrée.
Un container à recycler le verre judicieusement habillé.
Arrêt au Forninho de São Roque (saint Roch, patron des boulangers) où je déguste des Broinhas de Coimbra. J’apprends avec plaisir que Fiamma Nirenstein a été nommée ambassadrice d’Israël en Italie. J’ai inclus son blog (http://www.fiammanirenstein.com) dans mon blogroll dès la création de zakhor-online.com
14 août. Au Museu Nacional de Arte Contemporâena – Museu do Chiado. Une surprise encore. Où je retrouve ce grand artiste portugais rencontré à l’Assembleia da República, Adriano de Sousa Lopes (1879-1944). Adriano de Sousa Lopes a été l’artiste officiel du Portuguese Expeditionary Corps (ou Corpo Expedicionario Portugues — CEP). A côté de certains tirages de gravures à l’eau-forte sont présentées les matrices (en cuivre) correspondantes. Par leur humanité ses œuvres (dessins, estampes, peintures) m’évoquent Constantin Meunier. Très beaux portraits de son épouse, Marguerite Gros (surnommée « Guite »), dont « A blusa azul » (1927). La coiffure années 1920, la coiffure-casque. Son amitié avec Moïse Kisling. Ces scènes (peintes à Caparica, Aveiro, Furadouro et Nazaré) avec énormes barques de pêcheurs à la proue fortement relevée et colorée. Les puissants mouvements d’hommes affairés à tirer sur le rivage des barques imposantes comme des navires. C’est un bouillonnement de force et d’énergie. Le sens du mouvement est chez cet artiste plus poussé que celui de la couleur. Ci-joint, une visite des salles de ce musée consacrées à un artiste trop méconnu à l’étranger :
Dans ce musée, une autre surprise, quelques portraits sculptés de Francisco Franco de Sousa (1885-1955). Je le connaissais par certaines de ses œuvres monumentales, dont le Cristo-Rei à Almada. A présent, je m’arrête devant ces sculptures intimistes et tourne autour pour n’en rien perdre. Ci-joint, un lien sur cet artiste très peu connu à l’étranger (texte en portugais et en français) ; il est intitulé « Le sculpteur Francisco Franco : entre le modernisme et la construction de l’image de la dictature d’António de Oliveira Salazar » :
http://www.unicamp.br/chaa/rhaa/downloads/Revista%2016%20-%20artigo%206.pdf
Devant la Assembleia de República, des pots de chambre.
15 août. Le poète national portugais Luís de Camões, borgne (l’œil droit). L’écrivain national espagnol Miguel de Cervantes, manchot (la main gauche). La statue qui se dresse sur la place qui porte son nom le représente une épée à la main. Sa vie d’aventurier. Lire « Os Lusíadas », son poème épique, le poème national dont l’intégralité est disponible en ligne.
Le marché aux livres (A feira dos alfarrabistas e Coleccionismo do Chiado) du samedi, rua da Anchieta, de 10h à 17h. A ne pas manquer !
Tout en marchant dans le Chiado, mon regard rencontre ce nom en enseigne : Swarovski. Me viennent alors des souvenirs d’Israël. C’est en effet devant une boutique Swarovski (au Tel Aviv Ben Gurion International Airport) que je retrouvais d’autres Volontaires du Sar-El avant d’être dirigé vers une base de l’armée.
Olivier Ypsilantis