5 décembre
Office en l’église anglicane St. George de Lisbonne. A côté de moi, fixées dans le mur, deux petites plaques en cuivre sur lesquelles on peut respectivement lire : In proud memory of Errington Douglas Rawes, pilot officer R.A.F.V.R. who lost his life together with the other members of the crew of his Hudson aircraft during a bombing raid over Northern France on the night of the 21st / 22nd dec. 1941 ; et : In loving memory of Douglas Rawes lieut. King’s Royal Rifles Corps, wounded in Flanders June 26th 1915, died in London August 16th 1915, aged 34 years, interred at Lisbon September 1st 1915. “Dulce et decorum est pro patria mori”.
Je me suis attaché à cette église, à ce cimetière romantique, à ces célébrations prononcées dans un anglais bien timbré accompagné de chants qui suggèrent de vastes espaces balayés par les vents et parcourus de nuages blancs et tumultueux comme une tempête d’écume. Nostalgie de ces soirées andalouse passées en compagnie d’amis, dans ce salon qui alliait confort anglais – les Chatham club chairs ! – et style andalou, avec sol en terre cuite, murs passés à la chaux et poutres à peine dégrossies au plafond. L’humour anglais me manque, ici, au Portugal, les Portugais étant par ailleurs parfaitement dénués de tout humour. Et avec cette pandémie, la salle attenante à l’église est fermée. J’aimais y prendre le thé après l’office, sous le portrait de la reine à laquelle je souhaite longue vie.
Le soir, repris la lecture de Raymond Aron, « La philosophie de l’histoire », plus particulièrement la troisième partie, avec Georg Simmel. Raymond Aron interroge et remet en question le (supposé) relativisme absolu de Georg Simmel tel que le présente Albert Mamelet, Albert Mamelet qui n’a pas connu les derniers ouvrages de Georg Simmel. Ces ouvrages font éclater le cadre du relativisme qui, de ce fait, n’apparaît pas comme ce qu’il y a de plus profond dans la pensée de ce philosophe. Si l’on considère l’ensemble de sa production, le relativisme se présente simplement comme une étape, ce que Raymond Aron s’emploie à nous rendre sensible dans ces pages. « En fait, le relativisme, quelle que soit son importance, n’est pas à nos yeux ce qu’il y a de plus profond dans la pensée de Simmel ».
6 décembre
Pensé à mon père, cet entrepreneur dans l’âme si je puis dire. Il était de ceux, assez rares, qui produisent et investissent tout en consommant peu, probablement parce qu’il préférait investir et produire, tout simplement. Investir, soit développer un outil de production et créer des emplois. Il était économe par tempérament mais aussi particulièrement généreux. Il a tiré plusieurs personnes de situations délicates et sans jamais compter, des amis mais aussi des immigrés, Espagnols et Vietnamiens. L’un de ses amis se montra ingrat et il eut l’élégance de taire sa déception. Ce père dirigeait sans jamais chercher à s’imposer, et son train de vie plutôt modeste était sans rapport avec ses responsabilités et ses possibilités. J’insiste, il pensait que l’argent était plus fait pour être investi que dépensé. Certes, il faut des consommateurs pour donner un sens – et un débouché – à la production mais il refusait (et je refuse) ce mantra selon lequel il faut relancer l’économie par la consommation. La consommation mise au-dessus de tout, la belle affaire qui sent l’essoufflement et relève d’une conception inférieure de la vie économique. Il faut surtout et d’abord des épargnants et des investisseurs. Et produire ne procure-t-il pas une jouissance bien supérieure à consommer ? J’ai mis du temps à comprendre combien il m’avait marqué sur bien des questions, dont celle que je viens d’évoquer.
Pris des notes pour un article avec mise en relation de ces deux « faits divers » (l’un sur mer et l’autre dans les airs) inscrits dans la Deuxième Guerre mondiale : l’affaire du Laconia avec Werner Hartenstein et celui qui met en scène les pilotes Charlie Brown et Franz Stigler.
Mark Felton (né en 1974)
Le soir, lu divers articles et écouté plusieurs vidéos mises en ligne par des historiens britanniques sur la bataille de la Somme. Internet est aussi un immense outil au service de la mémoire. C’est par cette technologie que j’ai pu retracer des branches volontairement coupées d’un arbre généalogique, que j’ai pu comprendre qui était « l’inconnue de Montauban », soit Marianne Cohn. Tant d’autres recherches et tant d’autres découvertes. Internet, un outil au service de la mémoire, pour ceux qui le veulent… Les vidéos de Mark Felton sont admirables de précision et modestes. Son attention aux « faits divers » dans l’immensité de la Deuxième Guerre mondiale. Qui suis-je et qui serai-je dans cette mémoire Internet ? Et toi, qui es-tu et qui seras-tu dans cette mémoire Internet ?
7 décembre
Serais-je moi aussi atteint de saudade ? Je le crois. Cette maladie qui n’en est pas une est bien plus contagieuse que la Covid et ses variantes que désigne l’alphabet grec. Nous en sommes à Omicron me semble-t-il. Lisbonne sous une pluie distillée, odorante, atlantique. Le léger ennui que j’éprouve dans cette ville, un ennui stimulant car je lui échappe par le travail, ce qui ne m’empêche pas à l’occasion de m’y laisser aller car il a quelque chose de moelleux, de confortable.
Lecture de « Dialogue sur la nature humaine » avec Boris Cyrulnik et Edgar Morin. Edgar Morin : N’être un spécialiste en rien et choisir d’être un généraliste. Le confort intellectuel qu’offre toute spécialité. Pour Edgar Morin (qui évoque la science écologique) être cultivé historiquement c’est être en mouvement entre des savoirs compartimentés et mettre en relation des éléments épars, isolés les uns des autres, comme dans un jeu de construction. L’anthropologie est volontiers coupée en morceaux, tronçonnée : l’anthropologie culturelle ou sociale pousse de côté l’homme biologique ; à l’inverse, dans une vision strictement biologique, les mythes (considérés comme de la superstructure) sont poussés de côté. Or, l’anthropologie ne doit pas subir de telles mutilations. Boris Cyrulnik : L’Occident fragmente, ne cesse de fragmenter, ce qui lui a donné le pouvoir technique et intellectuel mais ce qui est aussi un piège dans lequel on peut tomber indéfiniment, à moins de se reprendre. Le danger de l’enfermement dans une discipline et l’oubli (voire le refus) du dialogue avec les autres disciplines ne doivent pas être résolus par le fatras œcuménique, encore un piège. Edgar Morin : Favoriser la pensée en navette. Pascal contre Descartes (qui a malheureusement triomphé). De la nécessité de relier ; relier, la grande question qui va se poser à l’éducation qui n’est plus que pullulement de spécialités, alignées ou empilées. Penser en termes contextuels, toujours, car les connaissances fragmentaires ont quelque chose de funèbre – la complexité de la vie ne s’exprime pas en laboratoire (voir l’exemple du chimpanzé). Boris Cyrulnik : Redonner à l’homme sa place dans la nature – l’homme n’est ni surnaturel ni antinaturel. L’image du centaure, soit une création sans coupure didactique, ontologique : des pattes et du corps de cheval au cerveau humain, le seul « à pouvoir totalement décontextualiser une information ». Edgar Morin : Penser en conjonction et non plus en disjonction, penser en interdépendance, par exemple entre le culturel/psychologique et le cérébral/ biologique. Cesser de découper et de découper toujours plus.
Pensé à Isaiah Berlin tout en marchant. J’ai une connaissance passionnée de cet homme, connaissance dans laquelle il me faudra mettre de l’ordre. Isaiah Berlin et la liberté. Tout le monde n’a que ce mot à la bouche mais que recouvre ce concept ? Isaiah Berlin pointe deux définitions de la liberté qui proposent implicitement deux conceptions de l’État et de la société dressées l’une contre l’autre. Voir la définition qu’il donne de la liberté négative et de la liberté positive. Pour Isaiah Berlin c’est cette dernière que défend le marxisme, une liberté qui a un coût, un coût qui repose (qui pèse) sur la collectivité. On en vient en toute logique à considérer qu’une société libre est nécessairement une société collectivisée, planifiée par l’État. C’est le « droit à ». La liberté négative quant à elle adopte une attitude critique envers le pouvoir étatique et exige une frontière entre l’espace public et l’espace privé. Cette liberté que défendent des penseurs tels que Benjamin Constant, John Stuart Mill ou Alexis de Tocqueville suppose une société où sont posées des limites que personne ne sera autorisé à transgresser, une liberté individuelle « et qui est de droit hors de toute compétence sociale », pour reprendre les mots de Benjamin Constant. Les partisans de la liberté négative estiment (et je partage pleinement leur point de vue) que la liberté positive ne fait que déplacer le fardeau de la tyrannie. Au nom du peuple peuvent s’instaurer et s’auto-justifier les pires tyrannies. Isaiah Berlin a pressenti mieux que personne la dangerosité de la liberté positive – où, une fois encore, l’enfer est pavé de bonnes intentions. La liberté positive a tout pour séduire le plus grand nombre tant il est vrai que la responsabilité individuelle exige des efforts et nombreux sont ceux qui préfèrent s’en remettre à l’État, abdiquer la liberté contre un certain confort, celui de ne pas avoir à prendre de décision.
Les grandes idées des Lumières sont ambiguës. A priori franchement lumineuses, elles peuvent montrer une part d’ombre voire s’enfoncer dans les ténèbres lorsqu’elles sont posées sur l’autel de l’absolu et servent de socle à des systèmes abstraits et totalisants, un danger bien présent comme l’a montré la Révolution française. L’histoire n’est pas une ligne droite et ascendante ; elle est brisée, avec des ups and downs et Isaiah Berlin a entre autres mérites celui de nous le rappeler. Il faut opposer le pluralisme au monisme, le monisme selon lequel l’histoire a une cause unique et qu’en conséquence une solution unique doit être appliquée à tous les problèmes de l’humanité. Le pluralisme, plus modeste, signale que davantage de justice peut conduire à moins de liberté et que, plus généralement, les valeurs a priori dignes d’être défendues en tant que telles ne sont pas nécessairement compatibles entre elles, que des compromis sont nécessaires. Il faut lire et relire Isaiah Berlin et le méditer.
8 décembre
Ce léger ennui sur Lisbonne, toujours. S’en servir comme d’un stimulant. Des documents me parviennent en ligne m’invitant à voter pour un tel ou un tel. A dire vrai, je me sens de plus en plus éloigné de la vie politique française. Je ne voterai pas Emmanuel Macron qui n’est qu’un moulin à paroles et qui s’écoute parler. Cet homme pense qu’une chose est faite parce qu’il dit qu’il va la faire. Il se vénère. Et pendant ce temps les comptes publics dérivent. Le véritable et suprême objectif européen d’Emmanuel Macron n’a-t-il pas toujours été de sauter par-dessus la règle européenne des 3 % de déficit maximum ? La pandémie lui aura permis de le faire. En France, l’État s’occupe à présent de tout et n’importe quoi, n’importe comment. Il me semble qu’avant même la pandémie il n’a jamais été envisagé de s’attaquer sérieusement à la dérive des dépenses publiques, de s’y attaquer non pas avec quelques mesurettes mais en repensant méthodiquement un modèle économique et social. De fait, et une fois encore, mon intuition ne m’a pas trompé : Emmanuel Macron est bien un étatiste, un super-étatisme même, ce qui m’a retenu de voter pour lui et m’a fait déposer dans l’urne un bulletin blanc. Oublié le retour aux normes du pacte de stabilité de l’Union européenne, soit la limite des 3 % pour le déficit public et de 60 % pour la dette publique. Juste après son élection, Emmanuel Macron s’en est allé à Berlin pour faire prévaloir son idée d’un budget de la zone euro. J’ai eu honte, je dois le dire, car implicitement ce projet ne tendait vers rien d’autre que mettre à contribution les surplus budgétaires de l’Allemagne et en faire profiter les pays déficitaires, à commencer par la France. J’ai eu honte vraiment et n’ai espéré qu’une chose : que le bonhomme se fasse éconduire. La France présidera l’Union européenne au premier semestre 2022 et il est à parier qu’Emmanuel Macron nous resservira sa marotte afin de ne pas avoir à réformer l’État, soit le restructurer et non se contenter d’opérations de ravalement de façade, soit maîtriser les dépenses afin d’alléger le poids du déficit et de la dette. On peut avancer qu’il y a quelque chose d’arbitraire dans les limites du pacte de stabilité : pourquoi 3 % et 60 % ? Mais l’Union européenne a su faire preuve de compréhension envers les dépassements et a laissé du temps aux pays épinglés afin qu’ils mènent à bien les réformes susceptibles de réduire déficit public et dette publique, en commençant par les faire passer sous la barre des 3 % et des 60 %. Ces limites, puisqu’il faut se fixer des limites, surtout en matière de dépenses, ont l’avantage de rappeler un pays – un État – à l’ordre, comme dans un conseil de famille – l’Europe peut être envisagée comme une famille, n’est-ce pas ? Or, au train où vont les choses – les dépenses –, la France ne va pas tarder à être mise sous tutelle, pour son bien et celui des autres membres de la famille.
Il ne s’agit pas de critiquer pour le simple plaisir de critiquer. Depuis le désastreux quinquennat de François Hollande dont la vision du monde se réduisait à la fiscalité – l’augmentation des impôts –, quelques efforts ont été faits. Mais tout de même. Trop d’argent n’est-il pas versé dans ce tonneau des Danaïdes qu’est devenu l’État, en France ? On crée de la mauvaise dette sans stimuler le P.I.B., sans améliorer la productivité, par exemple. On crée des emplois (cent soixante mille) avec le chômage partiel et le passage de chômeurs de catégorie A en B et C mais sans augmenter le P.I.B. Il y a donc bien un problème du côté de la productivité et de l’argent mal dépensé, mal investi. Lorsqu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, les prélèvements obligatoires représentaient 46,5 % du P.I.B. Le niveau n’a pas baissé malgré quelques mesures qui s’apparentent à des jeux d’illusion. Il faut baisser drastiquement (et même supprimer) les impôts de production ainsi que la dépense publique qui est à 56 % du P.I.B. Malgré cette fiscalité la France est socialement mal en point, de plus en plus mal en point. Et avec l’inflation qui commence à s’installer (et pas seulement en France), suite à toute cette création monétaire (je ne crois pas à une inflation simplement due à une tension entre l’offre et la demande suite à la pandémie), la croissance réelle (soit la croissance nominale moins l’inflation) risque de s’affaiblir plus encore.
9 décembre
Quelques notes de lecture (en lisant les dialogues Boris Cyrulnik – Edgard Morin).
Boris Cyrulnik (né en 1937)
Deuxième dialogue. Notre capacité à habiter le monde virtuel (grâce à la parole et aux mots), son pouvoir potentiellement dangereux : on peut très bien haïr et vouloir tuer pour l’idée que l’on a de l’autre et non pour la connaissance que l’on en a. Les idées (des intermédiaires indispensables pour communiquer avec la réalité) masquent dans un même temps la réalité et nous font prendre l’idée pour le réel. Les dieux engendrés par les sociétés humaines ont souvent été terribles (les sacrifices) ; il en va de même pour les idées : on est capable de tuer et de se faire tuer pour une idée. Leurs victimes sont innombrables et leur nombre ne cesse d’augmenter. On en revient à la spécialisation (de la plante, de l’animal, de l’homme) : elle augmente les performances mais aussi la vulnérabilité. De la nécessaire diversité qui ne soit pas pour autant une négation de l’unité. C’est parce qu’il y a une unité humaine (la nature humaine) qu’il existe pour l’homme des possibilités inouïes de diversité.
Troisième dialogue. Le paradoxe et la double injection vitale du vivant. L’exemple des couples opposés : les stimulations ou les molécules qui provoquent le plaisir sont très proches de celles qui provoquent la souffrance. Le laboratoire est un leurre, d’où la nécessité de tout replacer dans son contexte vivant. De l’idée vivante au stéréotype – l’idée assassinée parce que vénérée. Une certitude est un tranquillisant ; or, le tranquillisant fait dormir et engourdit la pensée. Attaquer une idée non pas pour la détruire nécessairement mais pour faire surgir de l’idée attaquée une autre idée qui relaye l’ancienne. Par ma mort, je passe le relai à d’autres. « Si l’on veut vivre, on est voué à débattre et à combattre ». De la différence entre théorie (ouverture) et doctrine (fermeture). Il est vrai que dans le domaine des idées sociales et politiques les théories perdurent parce que les doctrines rassurent comme rassurent les mondes douillets et hermétiques. Le marxisme (dans ses formes courantes) a perduré malgré ses prédictions erronées car il était promesse, il cachait une religion. Célébration du pari de Pascal (par Edgar Morin). La vie, une navigation sur un océan d’incertitude. Ne pas trop lisser les théories, leur laisser leurs aspérités car c’est en elles que germent de nouvelles théories. Le trop de cohérence d’une théorie décourage la pensée, la pensée qui est mouvement, rencontre. Ce trop de cohérence favorise les clans qui désignent comme dangereux – à écarter voire à éliminer – tout ce qui n’entre pas dans leur cadre. Rationalité, soit le besoin d’avoir une conception cohérente de la réalité tout en sachant qu’on ne peut être dans la cohérence absolue. Une ouverture est de ce fait ménagée. Rien de tel avec la rationalisation qui est enfermement : l’esprit qui rationalise se croit rationnel et juge négativement tout ce qu’il estime ne pas être rationnel. Edgar Morin : « C’est pour des raisons irrationnelles que nous rationalisons ». Allusion à Sigmund Freud qui définit la rationalisation comme la forme cohérente donnée par la pensée dans le but exclusif de justifier nos émotions. Le développement de l’intelligence et le développement de l’affectivité marchent main dans la main. Certes, l’affectivité brouille volontiers l’intelligence mais sans elle l’intelligence s’affaisserait et resterait au bord de la route, si je puis dire.
Quatrième dialogue. Du nécessaire dialogue entre le doute et la foi, l’un n’excluant pas l’autre ; nous sommes des êtres qui se nourrissent aussi bien de doute que de foi. La théorie de Paul D. Mac Lean sur les trois cerveaux que nous portons en nous : le reptilien (l’agression), les anciens mammifères (l’intelligence et l’affectivité), le néocortex (les opérations logiques). D’après ce neurologue, il n’y a pas de souveraineté du rationnel sur l’affectivité mais des hiérarchies en constante permutation, ce qui produit le meilleur et le pire. Si la rationalité contrôlait tout, il n’y aurait pas d’inventivité. Des conditions historiques peuvent libérer des monstres que nous portons en nous, d’où la nécessité de s’étudier comme nous y invite Montaigne. Nous ne pouvons vivre exclusivement dans le désordre ou dans l’ordre. L’un et l’autre doivent fonctionner de concert. Nous vivons à présent une faillite de l’ordre (du déterminisme). Le désordre est partout, dans la thermodynamique, dans la métaphysique, partout. Notre pensée doit fonctionner en faisant jouer entre eux ordre et désordre car le désordre pur est dissolution et l’ordre pur est congélation.
Cinquième dialogue. La culture, soit la force de passer dans les différents domaines d’un savoir toujours plus compartimenté. L’empathie, soit l’aptitude à se mettre à la place d’un autre, ce qui signifie que l’empathie propose peut-être la seule justification morale à être ensemble. Pour une morale qui s’oppose aux morales perverses car, n’oublions pas, les grands pervers sont de grands moralisateurs, le Marquis de Sade et Jean-Jacques Rousseau parmi d’autres. De la nécessité d’appartenir à une culture pour espérer rencontrer une autre culture. Et je reste moi-même lorsque je rencontre l’autre ; il n’y a jamais d’hybride – et c’est parce qu’il n’y a pas d’hybride qu’il y a rencontre. Nous nous rencontrons parce que je reste moi-même et que tu restes toi-même. Une culture doit à la fois s’ouvrir et se fermer : s’ouvrir pour s’enrichir et se fermer pour ne pas se décomposer. Le problème de l’identité doit être vécu comme une poly-identité concentrique. Les identités sont faites d’intégration. Au fond de mon je, il y a d’autres moi. Il faut être soi pour rencontrer et, ainsi, créer du nouveau. La rencontre, c’est aussi le sexe – le sexe crée du nouveau ; c’est pourquoi le terme reproduction (sexuelle) est inapproprié. La recherche généalogique si en vogue est bonne à la condition qu’elle ne soit pas fermeture mais ouverture. Il faut éviter les discours mutilants, compartimentés, parmi lesquels le discours techno-scientifique aujourd’hui dominant.
Olivier Ypsilantis
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