En Header, une vue du British Cemetery Lisbon
21 novembre 2021
Visite du cimetière allemand de Lisbonne. En 1821, un riche commerçant originaire de Lübeck offre à la communauté évangélique allemande un terrain d’environ trois mille mètres carrés qui est officiellement inauguré le 25 janvier 1822 pour devenir le Cemitério alemão dépendant de la Deutsche Evangelische Kirchengemeinde Lissabon (DEKL). Il est aujourd’hui propriété de la Igreja Evangélica Alemã de Lisboa et accueille des Protestants mais aussi des Catholiques et des Juifs ainsi que des Portugaises et Portugais marié(e)s à des Allemands. Dans la chapelle (fort laide) attenante à ce cimetière (à gauche en entrant) d’environ trois mille mètres carrés, un portrait à l’huile du donateur de ce terrain, Nikolaus Berend Schlick, dont la sépulture se trouve en bonne place, dans l’axe de l’entrée et à l’endroit précis où le terrain amorce sa pente. Conversation avec la gardienne du cimetière qui vit sur place, dans une agréable maison de plain-pied, édifiée dans un coin, à droite en entrant. Je l’écoute attentivement. Son portugais est fluide mais, surtout, très limpide. Les lettres habituellement plutôt fermées sont ouvertes et les chuintements sont atténués, ce qui me repose. Il me semble qu’elle est étrangère, probablement d’un pays d’Europe orientale. Je finis par l’interroger à ce sujet : elle est moldave et installée au Portugal depuis six ans. Elle me dit avoir accueilli un groupe d’Espagnols il y a quelques jours et n’avoir rien compris à ce qu’ils disaient au point de devoir leur demander de parler lentement à en articulant. Je suis en quelque sorte rassuré. Le portugais des Açores est un plaisir à écouter et maintenir une conversation avec un Açoriano m’est plus aisé qu’avec un Portugais continental. A ce propos, lorsqu’un Açoriano se rend sur le continent et débarque à Lisbonne il lui faut tendre l’oreille pour comprendre, alors qu’il s’agit strictement de la même langue. Les films portugais sont d’ailleurs sous-titrés pour les habitants de cet archipel afin de les soulager et inversement.
L’église anglicane St. George à Lisbonne
Office religieux en l’église St. George de Lisbonne, rite anglican. J’aime me réfugier dans cette agréable église entourée d’un cimetière romantique où la végétation fait oublier la mort. La sépulture de Henry Fielding a été ravalée et semble irradier dans cet ensemble de pierres grises ombragé par des arbustes et des arbres. Il me faudra lire « The Journal of a Voyage to Lisbon ». L’office est principalement célébré par une femme à la voix magnifique. Les chants bien menés que l’on peut suivre dans le Common Prayer et dont les numéros sont affichés à droite du chœur, sur un panneau en bois sombre. La beauté de la langue anglaise, son dynamisme poétique. Tout en écoutant et en lisant ces chants où il est volontiers question du vent, des vagues, des nuages, de la lumière, etc., je me suis souvenu de mon plaisir incomparable à lire la poésie de Gerard M. Hopkins mais aussi des Romantiques à commencer par Percy B. Shelley. Lecture du livre de Daniel (Daniel 7 : 9-10. 13-14) : « As I watched, thrones were set in place, and the Ancient One took his throne, his clothing was white as snow, and the hair of his head like pure wool; his throne was fiery flames, and its wheels were burning fire… » L’assistant de la prêtre est dynamique, presque sautillant, avec des gestes qui m’évoquent parfois Jacob dans « La Cage aux folles ». A côté de moi, fixée dans le mur, une petite plaque en marbre blanc sur laquelle on peut lire : In loving memory of Lieut. Henry Chapman Cabral. The Gloucester Regiment. Born december 24th 1928 – Died in captivity in Korea november 26th 1951. Le sermon bien structuré commence par une plaisanterie sur Henry VIII et ses femmes, ce qui provoque des rires dans l’assemblée, une vingtaine de personnes.
22 novembre
Pensé à la vie politique espagnole, à certains débats à Las Cortes. La victoire semble presque certaine pour le PP de Pablo Casado aux élections législatives de 2023, à moins que ce dernier ne multiplie les erreurs de calcul, pour ne pas dire les maladresses. Un accord avec Vox lui permettrait même de bénéficier d’une majorité absolue, soit au moins 176 sièges sur 350. Dans tous les cas, il faut chasser Pedro Sánchez, ce néfaste ivre de sa personne et capable des pires compromissions pour se maintenir au pouvoir. Le PP est aujourd’hui moins dispersé qu’en 2019, avec la quasi disparition de Ciudadanos, un parti qui avait suscité mon enthousiasme. Vox qui défendait une politique économique plutôt libérale tend à devenir aussi démagogue que Podemos (Unidas Podemos) et, surtout, aussi partisan de l’étatisme. Vox a commencé par agir en réaction aux sempiternelles manœuvres de Pablo Iglesias relatives à la Guerre Civile de 1936-1939 et aux nationalismes périphériques, à commencer par le catalan, manipulés selon les intérêts électoraux de la gauche, à commencer par ceux du PSOE, un parti à présent capable de s’allier aux héritiers politiques de l’ETA. Plus d’un socialiste a compris que Pedro Sánchez serait capable de pactiser avec le Diable, Pedro Sánchez qui par ailleurs en prend de plus en plus à son aise avec l’État de droit, le Parlement, le pouvoir judiciaire et la Constitution. Vox a eu entre autres mérites celui d’alléger une bonne partie de la droite d’un relatif complexe d’infériorité face à une gauche affreusement moralisatrice – et la gauche espagnole n’est pas la seule gauche à brandir et agiter une « supériorité » morale.
La figure la plus imposante de la droite espagnole est aujourd’hui Isabel Díaz Ayuso, présidente de la Comunidad de Madrid, une libérale qui avec d’autres femmes a fait de cette région la plus riche de toute l’Espagne, à présent loin devant la Catalogne. Dans son programme, un allègement conséquent de la fiscalité et à tous les niveaux. Mais, curieusement, Pablo Casado (probablement en mal d’autorité) s’en prend à cette femme après s’en être pris à Cayetana Álvarez de Toledo, ce que j’ai d’emblée réprouvé. J’ai admiré la fermeté et l’esprit de répartie de cette aristocrate face au haineux Pablo Iglesias que j’ai immédiatement perçu – et à raison – comme un petit dictateur rouge dont l’Espagne devait se débarrasser sans tarder. En août 2020, Pablo Casado limoge Cayetana Álvarez de Toledo dont il n’apprécie probablement la trop grande liberté de parole ; puis il s’en prend à Isabel Díaz Ayuso, reconnue dans le monde et en Espagne pour sa gestion libérale de la pandémie dans sa région et à Madrid et triomphalement réélue en mai 2021. Il me semble que ce petit jeu mené par Pablo Casado ne peut être que préjudiciable au PP qui s’il est élu pourrait ne pas l’être avec une majorité absolue. Or, dans l’état actuel des choses, il conviendrait de dominer autant que possible la gauche espagnole afin de rétablir l’économie du pays et réparer les dégâts causés par Pedro Sánchez à l’institution judiciaire. J’en viens à espérer que l’une de ces deux femmes prenne la place de Pablo Casado.
Il me semble que sous la pression de l’Union européenne, le PP s’est ramolli. Pablo Casado et Teodoro García Egea (secrétaire général du PP) se sont faits les complices de l’affaiblissement des institutions espagnoles. Il est temps de se reprendre.
23 novembre
Dans son introduction à « La philosophie critique de l’histoire », Raymond Aron note que « la philosophie moderne de l’histoire commence par le refus de l’hégélianisme ». Et il ouvre le bal, si je puis dire, avec Wilhelm Dilthey dont la pensée essentiellement critique remise dans un placard, si je puis dire, la métaphysique d’Aristote, de Descartes et l’idéalisme allemand, sans oublier la philosophie de l’histoire de Bossuet et de Hegel « condamnée au même titre que les articles de la foi chrétienne ». Le rapport de Wilhelm Dilthey à Kant est en quelque sorte direct, sans détour : il ne reprend pas les questions posées par la critique kantienne ; il pose tout de go, aidé par le milieu dans lequel il vit, que la pensée philosophique doit prendre appui sur la seule certitude immédiate : l’expérience intérieure. C’est le retour à Kant, commun à Wilhelm Dilthey et à toutes les écoles néo-kantiennes, soit la remontée vers la source qui est réflexion sur soi, un caractère singulier de l’expérience humaine. Wilhelm Dilthey repousse une certaine métaphysique et une certaine philosophie de l’histoire, soit celle qui procède de l’interprétation chrétienne du monde avec ses mécanismes du salut étayés par des dogmes qui enserrent dans une armature de fer passé/présent/ avenir. La spécificité de Wilhelm Dilthey est d’interroger afin de comprendre la prise de conscience de l’homme par lui-même.
Raymond Aron
Wilhelm Dilthey peut être appréhendé comme un adepte du relativisme, le relativisme dont il se défend par ailleurs. Les œuvres ne cessent de se transformer, tout comme les individus et les sociétés. Cette transformation permanente peut être source d’inquiétude, d’angoisse même ; les philosophies n’en constituent pas moins une suite lisible, clairement lisible, qu’il est impossible d’interpréter exclusivement par rapport à la réalité sociale dans laquelle elles s’inscrivent. Néanmoins, cette réalité sociale et, plus généralement, historique ne peuvent être évacuées car toutes les créations de l’intelligence s’inscrivent dans un ensemble qui lui-même s’inscrit dans l’histoire – dans le temps pourrait-on dire. Et, question (réponse) de Raymond Aron : « La signification de ce qui n’est plus ne varie-t-elle pas avec la signification que donnent à l’existence ceux qui font la science ? » En tant qu’historien, on peut s’efforcer de rendre présent le passé et d’étudier le présent comme s’il appartenait au passé ; mais ce faisant on reste dans l’ordre de la théorie, dans sa tour d’ivoire pourrait-on dire. Et qu’en est-il de l’homme dans l’histoire, dans le temps ? Le présent n’est-il pas pour tout homme et à toute époque incomparable car vécu, tout simplement, un présent que la volonté ouvre à l’avenir. L’objectivité (scientifique) suppose le détachement ; il n’empêche, l’historien et l’objet de son étude s’inscrivent dans le temps soit dans une perpétuelle évolution à laquelle rien n’échappe. La question se pose alors : quel est le lien entre le présent et le passé, le regard (de l’historien) sur le passé ? Le détachement – le prétendu détachement – peut-il être garant d’objectivité ? Comment ne pas retomber dans la philosophie des postulats qui, l’air de rien, procure un grand confort intellectuel et spirituel ? Raymond Aron affirme (sous la forme d’une question) qu’en philosophie tout postulat est un échec de la pensée ; car, enfin, le postulat qui se présente comme un socle à partir duquel s’élancer ne serait-il pas qu’un leurre, un piège ?
Wilhelm Dilthey est plus modeste et donc plus intéressant que Hegel, ce créateur de système et de postulats – il n’y a pas de système sans postulat. Wilhelm Dilthey est un penseur ouvert puisqu’il n’a pas réussi (par son refus au moins relatif) à concilier la biographie et l’histoire universelle, ce dont on peut lui être gré. « Les rapports de l’individu au tout étaient à ses yeux le mystère de l’histoire », ainsi que l’écrit Raymond Aron qui désigne précisément la formidable ouverture – et inquiétude – à laquelle nous invite Wilhelm Dilthey. Bien des disciplines auxquelles les individus collaborent leur survivent et ainsi donnent un sens à leur vie : mais seul reste ce qui a agi sur l’esprit objectif. Certes, il y a le biographe, celui qui s’attache à l’exploration d’un individu. Néanmoins, « la biographie est finalement une époque vue à travers un homme ». Reste ce double mouvement qui diverge et que l’on cherche à lier. Raymond Aron propose d’en finir avec cette divergence en oubliant la disparition de l’individuel dans la vie-objet et en cherchant « à comprendre comment, dans l’individu-sujet, s’édifie l’ensemble universel ». De l’effacement de l’individuel à sa résurgence par et en l’universel. Wilhelm Dilthey n’aura cessé de s’efforcer d’intégrer à sa doctrine l’adéquation du microcosme à l’universel sans jamais s’arrêter à aucune proposition. Sur cette question, il considère la proposition de Leibnitz mais aussi de Hegel avant de passer car insatisfait de leurs réponses. C’est probablement son refus – certains diront son incapacité – de se satisfaire d’une réponse globale qui me retient et qui en fait probablement le plus contemporain des philosophes du passé.
Cette philosophie critique de l’histoire sous-titrée « Essai sur une théorie allemande de l’histoire » est un livre très stimulant, une vision (critique) panoramique où tous les détails sont pareillement précis. Il s’articule suivant cinq blocs divisés en chapitres eux-mêmes divisés en sous-chapitres, soit : 1. « La critique de la raison historique (Wilhelm Dilthey) ». 2. « Logique de l’histoire et philosophie des valeurs (Heinrich Rickert) ». 3. « Philosophie de la vie et logique de l’histoire (Georg Simmel) ». 4. « Les limites de l’objectivité historique et la philosophie du choix (Max Weber) ». 5. « Confrontation des doctrines ».
Conversation avec un ami portugais qui en vient à évoquer « Dans la ville blanche » (A cidade branca), le film d’Alain Tanner (1983) avec Bruno Ganz. Le souvenir de ce film me replonge dans le début des années 1980, les années d’études et de voyages avec sac à dos, au Portugal notamment, et de salles de cinéma de Paris où le cinéma allemand était alors à l’honneur. Tout en écoutant cet ami et en partageant son enthousiasme pour ce film, je revois avec précision cette scène avec l’horloge qui marche à l’envers et sur le cadran de laquelle les chiffres sont inscrits dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Ainsi a-t-on un 7 (chiffre sur lequel se trouve la petit aiguille) à la place du 5. Le dialogue (que je viens de vérifier en repassant la séquence disponible sur Internet) : Bruno Ganz, Paul dans le film (qui observe le cadran et finit par sourire) : « Votre montre-là marche à l’envers ». Réponse de Teresa Madruga, Rosa dans le film : « Non, elle marche juste, c’est le monde qui marche à l’envers ». Bruno Ganz : « Ah bon… Intéressant… Si on ferait (sic) marcher toutes les montres à l’envers, le monde irait à l’endroit ». La musique de Jean-Luc Barbier, inoubliable comme celle de Michel Legrand dans « The Go-Between » ou « Summer of ‘42 ». Le bar avec la pendule qui fonctionne à l’envers – métaphore du saudosismo ou espírito lusitano ? – se trouve non loin de chez moi. C’est le British Bar, rua Bernardino Costa n°. 52-54.
25 novembre
Température douce et averses. On a vite chaud quand on marche dans Lisbonne en empruntant les montées de cette ville aux sept collines, des montées que j’emprunte autant pour l’exercice que les points de vue auxquels elles conduisent, les fameux miradouros.
J’ai apprécié Lisbonne durant la Covid. La ville était enfin rendue à elle-même. On ne voit plus que des individus qui marchent dans les rues tête baissée devant leur téléphone mobile et ses multiples applications. Toutes les silhouettes se ressemblent à présent. Hier, devant la Assembleia da República, une touriste qui consultait son téléphone mobile a heurté un poteau. Rien de grave. Terriblement vexée, elle a évité mon regard à la fois inquiet et amusé. J’en viens à espérer que de tels incidents se multiplient. Il faut se reprendre et regarder enfin ce qui nous entoure vraiment. Il y a une sorte de vulgarité à consulter ainsi en permanence son téléphone mobile en public. A ce propos, je me souviens de l’irritation de ma mère lorsqu’elle rendait visite à quelqu’un qui la recevait sans éteindre son poste de télévision : « Quelle vulgarité ! » s’écriait-elle en sortant. Je lui trouvais un « esprit de classe » tout en me disant qu’elle n’avait probablement pas tort. Aujourd’hui, je lui donne rétrospectivement raison et pleinement. Que dirait-elle face à ces hordes qui occupent aujourd’hui l’espace public et y déambulent, alors qu’auparavant elles restaient chez elles, entre le téléviseur et le canapé. J’imagine que des centres de recherche travaillent déjà à une téléphonie mobile intégrale, sorte de casque qui nous fera ressembler à les insectes à grosses têtes. Ces casques nous couperons intégralement du monde environnant et nous serons guidés par des systèmes d’alarme qui nous indiqueront le chemin à suivre.
Des rêveries une fois encore en relation avec l’Empire mongol. La deuxième phase de l’expansion, après la mort de Gengis Khan.
26 novembre
Verrons-nous ce moment où l’Iran (débarrassé de son régime) et Israël collaboreront pour le meilleur ? Je ne suis en rien un défenseur de ce régime et je souhaite son effacement le plus tôt possible ainsi que je l’écris volontiers. Je suis par ailleurs sioniste tout en m’efforçant de suivre les raisons qui poussent le régime de Téhéran à agir de la sorte sur la scène internationale. Je n’oublie pas que c’est l’Irak de Saddam Hussein qui en 1980 a attaqué l’Iran avec un appui international quasi-unanime, initiant ainsi l’une des guerres les plus longues (1980-1988) et les plus meurtrières du XXe siècle si l’on met à part les deux guerres mondiales. Dont-on s’étonner que l’Iran se soit méfié et se méfie encore d’un système international dominé par les Occidentaux, États-Unis en tête ? On peut dénoncer le régime iranien tout en s’attachant à comprendre ses raisons, tout au moins certaines d’entre elles, les plus profondes. Bien avant le régime mis en place en 1979, l’Iran avait expérimenté un autre coup bas, dirigé cette fois contre le Premier ministre Mohammed Mossadegh, en 1953, un homme modéré qui désirait avant tout que l’argent du pétrole extrait en Iran revienne plus à l’Iran.
Bref rappel des faits. Au printemps 1951, le gouvernement iranien décide de nationaliser l’industrie pétrolière, ce qui déplaît aux Britanniques qui répliquent en adoptant diverses mesures qui font un tort considérable à l’économie iranienne. En 1952, les relations diplomatiques sont rompues entre ces deux pays. En Iran même, la tension monte entre Mohammed Mossadegh et le shah Mohammed Reza Pahlavi. 16 août 1953, un coup d’État organisé par des officiers favorables à ce dernier échoue et le shah s’exile ; mais trois jours plus tard, un autre coup d’État appuyé par la C.I.A. renverse le gouvernement de Mohammed Mossadegh qui est remplacé par le général Fazollah Zahedi ; et le shah revient presqu’aussitôt de son exil. Ils savent qu’ils peuvent compter sur l’appui de l’Occident et que pour ce faire il leur suffit de signer un nouvel accord avec les entreprises pétrolières étrangères, ce qu’ils feront en 1954.
Lorsqu’on étudie le monde arabe, on peut s’en tenir à la période qui va de l’époque de Mahomet à aujourd’hui. Rien de tel avec l’Iran dont la période pré-islamique est bien plus considérable que la période islamique. Rappelons que c’est l’envahisseur arabe qui a imposé l’islam à ce pays. L’Iran n’est pas conquérant. L’Iran est nationaliste. Certains lui en font le reproche sans comprendre que ce nationalisme est un garde-fou. L’Iran est avant tout soucieux de protéger l’intégrité de son territoire (une inquiétude qui a de solides justifications) plutôt que de se lancer à la conquête du monde. L’Iran souffre d’un sentiment d’encerclement, par le monde occidental, essentiellement américain, mais aussi arabe. Il faut étudier l’histoire de ce pays au cours du XXe siècle, surtout de la Deuxième Guerre mondiale à aujourd’hui, pour comprendre que ce sentiment (même s’il est volontiers exacerbé par le régime) n’est pas un simple produit de sa propagande. A cette inquiétude s’en ajoute une autre et plus ancienne : l’Iran est un pays multiethnique dont les Perses constituent le noyau historique ; mais sur sa périphérie des peuples revendiquent plus d’autonomie, voire l’indépendance. Toutes proportions gardées, on pourrait comparer l’Iran à l’Espagne : les Perses, au centre, seraient la Castille, tandis que les Baloutches et les Kurdes, sur la périphérie, seraient les Basques et les Catalans.
Je ne suis en rien un sympathisant de l’actuel régime mais je respecte et admire l’histoire de ce pays, ses si nombreuses productions dans le domaine de l’esprit et de la connaissance. Et si j’espère (et crois) en une amitié entre l’Iran et Israël, c’est aussi parce qu’Israël – le peuple juif – est également très présent et depuis bien des siècles dans le domaine de l’esprit et de la connaissance. Au fond, Juifs et Iraniens (les Hébreux et les Perses) peuvent se regarder les yeux dans les yeux, sans éprouver ce néfaste sentiment d’infériorité ou de supériorité, l’un et l’autre responsables des pires désastres. Rien à voir avec les Arabes qui vis-à-vis d’Israël sont soumis à un incessant va-et-vient entre ces deux sentiments. On n’insiste pas assez sur ce point.
Certes, Israël a bien des raisons de se méfier d’un Iran nucléaire. Cette arme permettrait à l’actuel régime de se présenter comme la principale menace contre Israël et ainsi fédérer autour de lui le monde arabe, principalement sunnite, une façon de sortir de l’isolement, isolement religieux mais aussi ethnique. Il me semble que cette manœuvre séduit bien plus le monde arabe qui, vaincu à plusieurs reprises, n’hésitera pas à se venger sitôt qu’il le pourra ; elle le séduit bien plus qu’elle ne séduit le peuple iranien qui n’a jamais été en guerre contre Israël. Les rapports entre l’Iran et Israël ont tout pour être des rapports apaisés, d’autant plus que la mémoire millénaire qui lie Juifs et Perses est plus ample et plus chargée de promesses que celle qui lie Juifs et Arabes.
Olivier Ypsilantis
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