J’ai pris l’essentiel de ces notes en visitant le Museu da Marioneta à Lisbonne, l’un des plus intéressants musées de la ville.
Les Bonecos de Santo Aleixo (des marionetas de varão – Rod Puppets), des marionnettes de petites dimensions (entre vingt et quarante centimètres de hauteur) dont le corps est constitué de bois et de liège (cortiça). Le Portugal est le plus grand producteur de liège au monde, et le chêne-liège (sobreiro) pousse essentiellement dans cette région de l’Alentejo dont sont originaires les Bonecos de Santo Aleixo. Ces marionnettes sont maniées par le haut, individuellement ou en groupe, à l’aide de baguettes (varas). Parmi les héritiers de cette tradition, Manuel Jaleca et, son dernier héritier, António Talhinhas (1909-2001) qui commença à travailler avec Manuel Jaleca, alors propriétaire des Bonecos de Santo Aleixo qui pourraient avoir comme ancêtres les marionnettes flamandes (de beaucoup plus grandes dimensions, des títeres de varão également), manipulées de la même manière.
Il existe un document de 1798 dans lequel un prêtre de Vila Viçosa ordonne que soient brûlées des marionnettes (títeres) « a que chamavam de Santo Aleixo, e em que figurava desonesta e vielmente um Padre Chanca ». La marionnette sait volontiers se convertir en un instrument de critique politique et sociale.
Les textes destinés à ces bonecos sont réélaborés par un certain Nepomucena qui suite à une rixe qui fait un mort s’enfuit et devient bonecreiro (ou titeriteiro). C’est par son mariage avec une fille de Nepomucena que Manuel Jaleca intègre la compagnie et finit par prendre la suite de son beau-père. En 1940, Manuel Jaleca fait la connaissance d’António Talhinhas qui, impressionné par ses talent de chanteur, d’improvisateur et par sa mémoire en fait son auxiliaire. António Talhinhas finit par acheter les marionnettes et le répertoire de Manuel Jaleca qui devient son employé. Secondé par ce dernier et, plus tard, par ses deux filles, António Talhinhas maintient les Bonecos en activité au cours des décades 1940, 1950 et 1960, en multipliant les représentations dans toute la région de l’Alentejo. Au cours de l’été 1967, les Bonecos de Santo Aleixo sont présentés à Lisbonne et commencent à être connus d’un plus large public. Mais avec le mariage des deux filles, la compagnie s’affaiblit et, en 1974, António Talhinhas décide de laisser le métier.
Un reportage télévisé sur les Bonecos de Santo Aleixo, avec cette musique très particulière, très enjouée, qu’accompagnent la guitare portugaise et le heurt rythmé des marionnettes en bois sur le bois de la scène :
https://www.youtube.com/watch?v=PI2cLVqXFh8
https://www.youtube.com/watch?v=e2DB_GsVTr4
Ces marionnettes de l’Alentejo sont actionnées sur une sorte de retable (retábulo) reproduisant une scène (palco) en miniature, avec rideaux en textile, décors en carton peint et lampe à huile à deux becs pour l’éclairage (uma candeia de azeite de dois bicos). Une particularité (à quoi tient-elle ?) : la scène est séparée de la salle et des spectateurs par deux cadres en bois sur lesquels est tendue à intervalles réguliers de la ficelle qui constitue comme de fins barreaux (uma rede dupla de cordéis, colocada verticalmente entre os bonecos e o público).
Teatro Dom Roberto. S.A. Marionetas / Teatro e Bonecos. Dom Roberto, le plus occidental des héritiers de la tradition de Pulcinella, une tradition introduite au Portugal par les marionnettistes itinérants italiens et français au XVIIe siècle. Les personnages de ce théâtre n’ayant pas un type physique déterminé, le terme « Roberto » est devenu au Portugal un terme générique qui désigne toutes les marionnettes à gant (fantoche de luva). Ces marionnettes se distinguent de toutes les autres car ses personnages s’expriment avec une voix de « palheta », un instrument que le marionnettiste se place dans la bouche afin d’amplifier et distordre le son de sa voix. Ci-joint, un aspect de ce petit instrument utilisé par les bonecreiros :
http://teatroemarionetas.blogspot.pt/2012/10/a-palheta.html
Un grand bonecreiro, Cesário Cruz Nunes, né en 1925, à Lisbonne. C’est en 1946, alors qu’il assiste à un spectacle donné par António Dias que naît sa vocation et qu’il commence à fabriquer ses propres Robertos avant de faire des représentations dans les rues de Lisbonne. Invité par António Dias qui veut travailler avec lui, il continue à fabriquer d’autres Robertos. Il a été actif de 1946 à 1952 mais on en sait peu sur sa vie. Il existe une intéressante entrevue réalisée par Lúcia Serralheiro, à Caldas de Rainha, en mars 1990, dans laquelle il explique comment il est devenu titiritero, plus précisément robertiero.
Un Roberto de Cesário Cruz Nunes
Henrique Delgado (1938-1971) est la référence pour l’histoire du Teatro de Marionetas au Portugal. Sans ses recherches, des connaissances fondamentales auraient été perdues et l’étude de la marionnette portugaise n’offrirait pas une telle richesse. Il a poussé ses recherches essentiellement à la fin des années 1960 et au début des années 1970, une époque de transition au cours de laquelle les bonecreiros traditionnels étaient en voie de disparition. Au cours de cette période, il a parcouru le Portugal afin de rencontrer tous les marionetistas, de les interviewer et de faire connaître leur art à un public plus large. Ses articles sont passionnants pour ceux qui lisent le portugais (il me semble qu’ils n’ont pas été traduits), comme ceux qu’il a dédiés à Robert Rosado, à Joaquim Pinto et aux Bonecos de Santo Aleixo, des études publiées dans des revues et des journaux d’alors, principalement dans la revue Plateia (à la section Bonifrates). Bref, la liste des publications de ce chercheur sur les marionnettes et les marionnettistes de son pays est considérable, y compris sur des marionnettistes étrangers qui ont travaillé au Portugal, comme Philippe Genty. Il les a interviewés et, par ailleurs, a entretenu une correspondance avec les plus grands marionnettistes du monde ainsi qu’avec les meilleurs spécialistes de cet art, comme Alexis R. Philpott ou George V. Speaight. Nombre de ses écrits ont été divulgués dans des publications étrangères, ce qui a permis de mieux faire connaître le théâtre de marionnettes portugais, alors très peu connu hors du pays.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’œuvre de Henrique Delgado et qui maitrisent le portugais, je conseille l’étude de Rute Ribeiro, « Henrique Delgado – Contributos para a história da marioneta em Portugal ».
Henrique Delgado (1938-1971), surnommé « O cientista das marionetas »
Henrique Delgado a également travaillé avec Henrique Trindade à la production de spectacles pour le Teatro Robertoscope de la Casa do Pessoal da Companhia das Águas de Lisboa. Scénarios mais aussi fabrication de marionnettes et de décors. Henrique Delgado fondera par la suite sa propre compagnie, le Teatro Lilipute.
Le Teatro de Mestre Gil de Augusto de Santa-Rita (1888-1956), fondé en 1943. Son répertoire est essentiellement composé de pièces de Luís de Oliveira Guimarães, dont « Grande Parada ». Il compte quelques pièces d’Augusto de Santa-Rita et d’Alfonso Lopes Vieira. Júlio de Sousa en confectionnait les marionnettes. Le Teatro de Mestre Gil est au Portugal le premier théâtre de marionnettes à caractère littéraire.
Le Teatro de Branca-Flor a été fondé par l’écrivain Lília da Fonseca. Première représentation en 1962, avec la pièce intitulée « A menina da gruta e a sua varinha ». Parmi les pièces les plus connues de son répertoire, « Festa na aldeia » et « O passarinho poeta ». Sur une grande affiche publiée à l’occasion de ses vingt ans (1962-1982), on peut lire : Ontem e hoje um teatro de fantoches em Portugal para a criança. Lília da Fonseca (1906-1991), une femme pas assez connue, tôt engagée contre le régime de Salazar. Dans son combat social, elle se préoccupe d’abord des enfants, les plus défavorisés, et c’est dans ce contexte qu’il faut envisager ses initiatives pédagogiques, en particulier son théâtre de marionnettes.
Les Marionetas de S. Lourenço (argile, bois, tissu) de Helena Vaz et José Alberto Gil, avec la participation du ténor Fernando Serafim. Première représentation de la compagnie en mai 1973, sous le nom de Companhia de Ópera Buffa, (opéra-comique ou opéra-bouffe). Cette compagnie met en scène une virulence et une truculence destinées à être le vecteur d’interrogations sociales. En 1974, la compagnie change de nom pour celui de Marionetas de S. Lourenço e o Diabo – Teatro de Ópera. Il s’agit d’une véritable équipe pouvant intégrer jusqu’à une dizaine de personnes (chanteurs, manipulateurs, techniciens, un créateur de marionnettes et un directeur) avec, selon la représentation, de deux à cinq musiciens. Parmi ses représentations, « D. Quixote » et « Salomé ». Cette compagnie est active au Portugal mais aussi à l’étranger, notamment à l’occasion de festivals. Au Portugal même l’une de ses caractéristiques est l’itinérance, avec cette roulotte tirée par un cheval et transportant le matériel pour les représentations, comme aux époques du théâtre ambulant. Les textes mis en scène appartiennent à la littérature portugaise classique, des textes volontiers inspirés par la culture populaire et qui, ainsi, reviennent à leurs origines, dans un mélange harmonieux et savoureux d’érudition et de populaire. Dans ce répertoire, des pièces d’António José da Silva Coutinho (1705-1739), « o Judeu », dramaturge (brésilien) majeur des lettres portugaises, assassiné par l’Inquisition et sur lequel j’écrirai un article à partir d’une compilation d’articles portugais.
Une marionnette de Helena Vaz de la compagnie São Lourenço et, en lien, une très belle suite de ses créations que précèdent divers Robertos :
http://www.titeresante.es/2013/06/el-museu-da-marioneta-de-lisboa/
Un excellent article synthétique mis en ligne par World Encyclopedia of Puppetry Arts qu’enrichit une riche bibliographie (où domine le nom de Henrique Delgado) :
https://wepa.unima.org/en/portugal/
Le Teatro Dom Roberto présente « O Barbeiro » :
https://www.youtube.com/watch?v=mQ4gBkrezyU
Le Teatro Roberto présente « Rosa e os três namorados » :
https://www.youtube.com/watch?v=W6s5U-_bfZg
Le Teatro Roberto présente « O caçador » :
https://www.youtube.com/watch?v=CY_-6yUrZ04
Le site officiel du Museu da Marioneta, à Lisbonne, avec nombreuses rubriques à consulter (cliquer à gauche de l’écran) :
http://www.museudamarioneta.pt/pt/coleccoes/marionetas/portugal/teatro-de-mestre-gil/
Olivier Ypsilantis