Manuscrit de Simone Weil
Une lettre (manuscrite) d’un cousin navigateur : « Merci de ton courrier par lequel tu me souhaites implicitement « Joyeux anniversaire ». Mais comme tu me l’a dis, Olivier, un anniversaire ne se fête pas, il se subit. Je n’y avais pas pensé ; mais d’une certaine manière, je suis de ton avis… Je suis octogénaire, ce qui revient à dire que j’ai quatre fois vingt ans. J’aimerais remonter dans le temps, ne serait-ce qu’à mes quarante ans… Ce n’est hélas qu’un rêve… Heureux de savoir que tu as aimé « Si près du cap Horn » et « Rayon vert au cap Horn ». Je partage ton admiration pour l’Abeille Liberté et pour les remorqueurs de haute mer. Ce sont des navires splendides, avec des équipages hors du commun capables de prendre la mer par des temps extrêmes pour des missions extrêmes. Je te recommande le film de Hervé Hamon dont le titre est, je crois, « Chasseurs de tempêtes » avec l’Abeille Flandre. Tu l’aimeras comme je l’ai aimé. Je t’embrasse. Loïck. »
Dans un Charity Shop (tenu par des Anglaises aux cheveux très blancs et toujours prêtes à rire) de Murcia, un petit livre perdu dans un fouillis me saute à la vue ; il m’attendait, j’en suis certain : « A 1950s Childhood: From Tin Baths to Bread and Dripping » de Paul Feeney, un « Je me souviens » en quelque sorte. La table des matières me met l’eau à la bouche. Nombreuses illustrations en noir en blanc : coupures de presse, publicités, pièces de monnaies, timbres, etc. L’envie de travailler à un « Je me souviens » anglais. Je pourrais ouvrir ce texte en montrant ma mère, dix-sept ans, sur le front de mer à Bexhill-on-Sea, Sussex.
Un genre très prisé par les Anglais, le Dairy. Voir par exemple les Dairies tenus par des Anglais ayant voyagé ou séjourné en Espagne, dans les Alpujarras et ailleurs. Nombre de ces Dairies traînent à présent dans les Charity Shops, oubliés. J’y ai découvert des délices de style et d’observation. Acheté la semaine dernière « The Road to Barcelona and the Costa Brava » de Stanley Baron, compte-rendu d’un voyage au tout début des années 1960.
Dans « Dieu dans Platon », on peut lire : « Vocation de chaque peuple de l’Antiquité : un aspect des choses divines (sauf les Romains). Israël : unité de Dieu. Inde : assimilation de l’âme à Dieu dans l’union mystique. Chine : mode d’opération propre à Dieu, plénitude de l’action qui semble inaction, plénitude de la présence qui semble absence, vide et silence. Égypte : immortalité, salut de l’âme juste après la mort, par l’assimilation à un Dieu souffrant, mort et ressuscité, charité envers le prochain. Grèce (qui a subi beaucoup l’influence de l’Égypte) : misère de l’homme, distance, transcendance de Dieu ». L’influence de l’Égypte sur la Grèce, bien sûr, mais aussi sur les Hébreux et, ce partant, sur les Chrétiens. Mais pourquoi Simone Weil n’évoque-t-elle pas l’Iran ancien, cette fabrique à religions, à concepts philosophiques (et religieux) ? Les Juifs (et les Chrétiens) doivent beaucoup à cette civilisation.
Passé quelques heures dans les lost beauties of the english language (de Charles Mackay), aidé par quelques verres de Malaga. Entre autres mots glanés : to ear (to plough) qui procède directement du sanscrit ; to moffle (to do anything badly and without knowledge) ; to sloach (to drink heavily) ; stadle (young trees left growing in an underwood). Parmi les mots que je retrouve avec plaisir : trig (neat, fine, well-dressed, well made, also a fop, or a person giving too much attention to his personal appearance) et son quasi synonyme, plus connu, trim — voir trigged et trimmed.
L’écriture d’écolière de Simone Weil.
Simone Weil (dans « Dieu dans Platon ») : « Platon a repris aussi une autre image des Pythagoriciens comparant la partie sensible et charnelle de l’âme, siège du désir, à un tonneau qui chez les uns a un fond et chez les autres est percé. Chez ceux qui n’ont pas reçu la lumière le tonneau est percé, et ils sont continuellement occupés à y verser tout ce qu’ils peuvent sans jamais pouvoir le remplir. »
La pureté chez Georges Bataille et Arthur Adamov. Écrire un texte à ce sujet.
Il (Platon) répète qu’il n’a rien inventé, et il faut le croire. Il dit qu’il n’a pas pu élaborer une doctrine philosophique, comme tout philosophe qui se respecte. Il se dit dépositaire de traditions, parmi lesquelles la tradition pythagoricienne, mère de la civilisation grecque. « Pythagoriciens. Centre de la civilisation grecque. On n’en sait presque rien, sinon par Platon. »
Je préfère les nappes de restaurant en papier à celles en tissu car je suis toujours pris par l’envie de gribouiller (to scribble) tout en mangeant. Ainsi, en voyage, après le repas, je déchire les bouts de nappes manuscrits que je place dans des enveloppes avant de les mettre au propre, entre l’écran et le clavier, et les détruire. L’ordinateur portable permet à celui qui écrit de faire un constant ménage, ce qui lui donne une sensation de bien-être, sensation proche de celle qu’il éprouve après la douche du matin.
Le livre aux pages jaunies et aux bords irréguliers. L’odeur de grenier (et peut-être même de cave) qui s’en exhale. Il ne faudrait jamais s’endormir avant d’avoir lu un poème (ou quelques vers d’un poème) dans une langue que l’on connaît, mais aussi que l’on ne connaît pas, une langue dont on peut au moins déchiffrer l’alphabet.
Notre corps comme témoin de tous celles et ceux qui ont participé à ce qu’il est. On me pousse à envoyer un fragment de moi-même pour étude d’Haplogroupes. Fascinant, tentant. Haplogroupes, branches principales de notre arbre généalogique. Haplogroupe du Chromosome Y / Haplogroupe ADNmt. Les tests SNPs (Single-Nucleotide Polymorphism) qui permettent de suivre les mouvements migratoires de nos premiers ancêtres :
http://www.eupedia.com/europe/origines_haplogroupes_europe.shtml
Test Mitochondrial, filiation ADN par les femmes (ADNmt). Les hommes n’ont pas d’ADN mitochondrial, ils en héritent de leur mère et ne le transmettent pas à leurs enfants. L’algorithme de With Athey (me renseigner). Le père d’origine (Chromosome Y d’Adam) et la mère d’origine (Eve mitochondriale).
Plus s’intéresser aux pré-socratiques, à ces temps lointains où philosophie et science procédaient l’une de l’autre dans un incessant va-et-vient. Socrate est le premier à rabattre les prétentions de l’esprit humain et, en quelque sorte, à ramener par le fond de la culotte des philosophes qui s’étaient mis à flotter dans l’éther. Simone Weil et Pythagore ; plus généralement, Simone Weil et les Grecs, ses chers Grecs. L’école de Milet (Thalès, Anaximandre, Anaximène) sur les côtes d’Anatolie. Lui succède le Pythagorisme auquel on peut également attribuer une origine ionienne. Pythagore était probablement originaire de Samos. Mais c’est en Grande Grèce que l’école pythagorique donna ses plus belles expressions. Robert Cohen dans « La Grèce et l’Hellénisation du monde antique » : « A l’étroit dans les cantons pauvres qu’on leur avait laissés, les Achéens du Péloponnèse, vers la fin du VIIIe siècle, tentent leur chance dans l’Italie méridionale ». Crotone, foyer de l’école pythagorique. Son rayonnement en Grèce continentale. Caractère mystique du Pythagorisme et introduction d’un élément moral dans la religion grecque (ce que Simone Weil évoque admirablement), avec le culte de Dionysos et la vogue de la culture orphique (voir les Mystères d’Éleusis). Complexité des rapports du Pythagorisme avec l’Orphisme et les Mystères. Les différentes thèses — des hypothèses — qui s’affrontent à ce sujet. Les néo-platoniciens et les Pères de l’Église ont remarqué les influences de l’Orphisme sur le Pythagorisme et la philosophie grecque postérieure. Ils ont vu dans Pythagore un disciple d’Orphée et des Égyptiens. Ils ont vu dans Platon un continuateur direct de Pythagore. Le Pythagorisme auquel succédèrent Hérodote d’Éphèse puis…
Ce livre lu stylographe en main, un été, dans un café, devant la gare de La Baule-Escoublac (une sorte d’imposante villa années 1920) : « L’antisionisme – Israël / Palestine aux miroirs d’Occident » (publié aux Éditions Berg International) de Georges-Élia Sarfati. Je me souviens du vent frais venu du large et du sourire amusé de la serveuse qui m’observait griffonner. Le très beau catalogue des Éditions Berg International (129 boulevard Saint-Michel – 75005 – Paris), ses différentes collections.
Europe’s ruling elites hate Jews. For a while they covered this up well. But it never went away. Today they disguise their hatred as a love for the invented Palestinian cause, but it’s a very thin disguise…
Parmi mes plus beaux souvenirs de visites d’expositions, « Klee et la musique » (au Centre Georges Pompidou). L’interaction de deux arts. Le beau catalogue aux pages bleues. Autre souvenir d’exposition pareillement beau, les marionnettes de ce même artiste exposées à Paris, dans un espace proche de l’église Saint-Sulpice. Était-ce rue du Vieux-Colombier ? :
https://www.youtube.com/watch?v=Pl2YPxxdMyI
Un air de famille prononcé entre les estampes (lithographies, eux-fortes) d’Odilon Redon et les dessins d’Alfred Kubin, air de famille dans la technique, la composition, l’éclairage et, bien que dans une moindre mesure, la thématique. Les rêves du Français sont à la limite du cauchemar, ceux de l’Allemand y sautent à pieds joints.
Olivier Ypsilantis