Les dix principes-clés de l’École autrichienne d’économie : 1. L’économie est une question de choix et ne concerne que les individus. 2. L’économie diffère grandement des sciences de la nature ; elle étudie la manière dont les individus font des choix. 3. Tout en économie prend appui sur des valeurs humaines, des valeurs subjectives. 4. « Les prix nous aident à maximiser la valeur et à minimiser les coûts » ; les prix sont des signaux pour ceux qui échangent, des signaux qui peuvent les encourager ou les dissuader d’échanger. 5. « La concurrence est un processus de découverte : les marchés ne sont pas parfaits. En effet, ce sont leurs imperfections qui les animent ». 6. La propriété privée donne des signaux et en ce sens elle est essentielle : il faut qu’un bien soit vendu pour qu’il ait un prix. Le marché fait le prix. 7. La production n’est pas sans risque. Produire peut éventuellement entraîner une perte pour le producteur, voire sa faillite. 8. L’inflation est un mal, un grand mal, car la monnaie est un bien comme les autres. La monnaie « est apparue simplement parce que les gens voulaient un moyen d’échange généralement accepté ». 9. L’intervention du gouvernement est presque toujours maligne. 10. Les actions ont toutes des conséquences imprévues, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. L’observation de ces principes permettrait d’éviter deux erreurs d’appréciation : a. Parce que l’économie est le fait d’actions individuelles dont on ne peut faire l’addition et prédire les résultats à partir de la macroéconomie. b. Parce que la valeur n’est pas une qualité objective que portent les choses : le monde ne cesse de changer comme changent les valeurs et les motivations des individus.
En lisant « Historia de la Segunda República española » de Joaquín Arrarás, plus particulièrement le tome IV, chapitre XX, « En plena anarquía ». En juin 1936, après trois mois de Frente Popular, l’Espagne est en proie à de terribles désordres. La province de Santander est l’une des plus agitées. On est abattu car désigné comme fasciste ou simplement parce qu’on se rend à l’église. Désordres aussi à Malaga où syndicalistes et socialistes se tirent dessus, provoquant des victimes des deux côtés. Les habitants s’enferment chez eux et les rues se vident. Aux funérailles d’Andrés Rodríguez, un syndicaliste communiste, le socialiste Antonio Román Reina est abattu par des pistoleros anarchistes. Il faut envoyer la troupe de Madrid pour rétablir l’ordre. Le 13 juin 1936, Solidaridad Obrera publie les lignes qui suivent : « Le sang des ouvriers vient d’abreuver la terre. Mais cette fois ce ne sont pas les armes prétoriennes qui l’ont versé mais celles que manient les ouvriers de diverses factions : socialistes, anarchistes, communistes… Jusqu’où irons-nous si la guerre civile entre exploités se généralise ? »
Joaquín Arrarás Iribarren (1898-1975)
Un autre combat se livre, moins sanglant mais non moins tenace : celui des divers syndicats pour le contrôle du monde ouvrier et dans toute l’Espagne. Les grèves se multiplient. Parties de Madrid, elles gagnent tout le pays. Cent vingt mille grévistes le 16 juin 1936 dans la capitale, près d’un million dans tout le pays, sans oublier les huit cent mille contraints de s’arrêter de travailler. Après un mois de grève, de nombreux quartiers de Madrid n’ont plus d’eau alors que la chaleur est torride. Nombre d’ascenseurs ne fonctionnent plus. A la nuit tombée, des quartiers entiers sont plongés dans l’obscurité. Les façades et les murs se couvrent de graffitis et d’affiches politiques. La C.N.T. règne en despote et veille à ce que l’ordre de grève soit scrupuleusement suivi. Ce syndicat anarchiste refuse toute tentative de conciliation et ne jure que par l’action directe.
Le ministre du Travail affirme pouvoir résoudre le conflit en quarante-huit heures et en proposant : semaine de quarante heures, congés payés et augmentation de salaire. Les affiliés à la U.G.T. et les patrons acceptent mais la C.N.T. reste inflexible : la grève doit se poursuivre. Et lorsque les ouvriers se rendent sur leurs lieux de travail, des pistoleros de la C.N.T. leur intiment l’ordre de faire demi-tour. La majorité des grèves sont organisées par les comités de la C.N.T., des grèves souvent imposées et prolongées par les armes.
Au cours du mois de juin 1936, de nombreuses églises sont attaquées et incendiées un peu partout en Espagne. Les assassinats politiques se multiplient. Les asiles, hospices et hôpitaux tenus par des religieux sont pour la plupart vidés de leur personnel religieux. Lorsque l’église n’a pas été fermée ou incendiée, les messes sont surveillées et les sermons doivent être soumis à la censure. Faire sonner les cloches, enterrer, baptiser, célébrer un mariage, tout est soumis à l’impôt. La vie sociale se dégrade, devient grossière, violente. Il faut lire ce qu’écrit à ce sujet Miguel de Unamuno dans des articles publiés dans Ahora. Celui du 3 juillet 1936 intitulé « Justicia y bienestar » est probablement l’un des tableaux les plus vrais sur l’Espagne d’alors, un tableau dans lequel l’auteur prend un formidable recul qui lui permet d’analyser la corruption démocratique qui donne ces scènes affligeantes dont il est le témoin direct. Ce sera son dernier commentaire politique.
Il devient de plus en plus difficile de maintenir l’ordre ou de le rétablir. La violence qui est alors principalement le fait des gauches, et surtout des anarchistes, suscite une répression qui, curieusement, se porte presque toujours sur les droites, à commencer par les Phalangistes alors très minoritaires et discrets. C’est un point important qui explique en partie la Guerre Civile.
Au sein du Parti socialiste, les élections destinées à pourvoir aux six postes vacants de la Comisión Ejecutiva suscitent des chamailleries qui le fragilisent. Les élus appellent à la discipline et déclarent qu’il n’y a pas d’autre politique que celle du Frente Popular.
Au cours de l’été 1936, les Espagnols sont inquiets, de plus en plus inquiets. Les dernières cessions du Parlement (Las Cortes Generales) avant les vacances d’été reflètent cette inquiétude. Le 3 juillet, le député Antonio Bermúdez Cañete rend compte de cette violence au quotidien ; il sera assassiné peu après. Ce même jour, le député monarchiste Juan Antonio Gamazo dénonce le quotidien communiste La Verdad de Valencia qui invite explicitement au meurtre, soit « à attaquer les repères de Phalangistes et les écraser comme des crapauds ». Et pour faciliter le meurtre ledit quotidien publie les adresses des dirigeants et militants phalangistes et les portraits de certains d’entre eux. Ce même député monarchiste lit la lettre pleine de dignité que lui a envoyée le père d’un garçon de dix-huit ans, José María Sánchez Gallego, enlevé, séquestré et assassiné car soupçonné d’être phalangiste, une lettre reproduite dans son intégralité dans le chapitre en question.
En ce début juillet 1936, l’Espagne plonge dans un chaos de plus en plus violent, tant dans les villes que les campagnes. Le Gouvernement a perdu toute autorité. Edgar Allison Peers en est un témoin direct et il en prend note dans « The Spanish Tragedy ». Tout va aller très vite, le lieutenant des forces de sécurité de la République José Castillo est assassiné le 12 juillet. A cet assassinat répond celui de José Calvo Sotelo le lendemain, ce qui met le feu aux poudres. Le 17 juillet les troupes espagnoles d’Afrique passent à l’action. La Guerre Civile d’Espagne commence – de fait, elle avait déjà commencé.
Pour paraphraser Murray Rothbard :
On s’active beaucoup aujourd’hui pour distinguer droits de l’homme et droits de propriété, comme si ces droits n’étaient pas fondus les uns dans les autres. Les défenseurs des droits de l’homme considèrent volontiers avec condescendance les droits de propriété ; or, la perte de l’un de ces droits (de propriété) met en danger les droits de l’homme. Droits de l’homme et droits de propriété ne sont pas en conflit, contrairement à ce que pensent tantôt explicitement tantôt implicitement les défenseurs des droits de l’homme.
Murray Rothbard (1926-1975)
Tout individu est propriétaire de lui-même, selon notre conception de l’ordre naturel. Cette reconnaissance implique des droits de propriété plus étendus car ce droit de propriété sur soi-même conduit nécessairement au droit de propriété au sens large ; et si ce droit de propriété au sens large est nié, le droit de propriété de l’homme sur lui-même ne peut s’affirmer. Droits de l’homme et droits de propriété sont comme fils de trame et fils de chaîne.
Mais il y a plus. Prenons par exemple le droit de réunion. Un groupe décide de manifester dans une réunion de rue, mais la réunion est dispersée par la police sous prétexte (faux ou justifié, qu’importe) que la circulation s’en trouve perturbée. Certains diront que ce n’est qu’un prétexte derrière lequel se cachent des raisons politiques. Est-ce vrai ou faux ? Une fois encore, qu’importe ! Ce qui importe : comment concilier le droit (fondamental) de libre réunion et le droit des citoyens à circuler librement ? Face à un tel dilemme nombreux sont ceux qui vont déclarer que les droits absolus peuvent être relatifs selon les circonstances et restreints si nécessaire pour le bien commun. Oublierait-on que l’État est propriétaire des axes de circulation, de la chaussée et des trottoirs ? Ce qui signifie qu’ils sont virtuellement dans un état de non-propriété. Les axes de circulation appartiennent aux contribuables et tout citoyen est un contribuable ; et s’il ne paye pas d’impôts directs, il paye des impôts indirects ; et on sait que ces derniers sont ceux qui rapportent le plus – voir la TVA. Alors ? Quels types de contribuables doivent être autorisés à utiliser les axes de circulation ? Seul l’État peut en décider et dans tous les cas sa décision sera arbitraire et favorisera les uns au détriment des autres.
Qu’adviendrait-il si le propriétaire des axes de circulation n’était plus l’État mais les particuliers sans exception ? La question posée est alors celle des droits de propriété. Ainsi le propriétaire d’une rue pourrait-il s’entendre avec un groupe désireux d’y manifester et s’entendre sur un prix de location. Il ne s’agirait plus de porter atteinte au droit de réunion ou à celui de circuler librement dans l’espace public. Seuls seraient impliqués les droits de propriété. Le propriétaire de la rue pourrait décider de ne pas la louer pour des raisons qui le regardent. Le groupe désireux de manifester pourrait refuser un prix de location car jugé trop élevé, etc.
La propriété étatique masque l’essentiel. L’État créé des « droits de l’homme » plutôt vagues et à des fins politiciennes qui se carambolent et font oublier la notion de bien public, soit le bien des contribuables. Lorsque tout devient propriété privée (y compris les axes de circulation), il n’y a plus de conflits relatifs aux droits de l’homme, seuls sont concernés les droits de propriété. Il n’y a plus de décision arbitraire (de la part de l’État) qui favorise les uns au détriment des autres. Dans tous les cas qui engagent les droits de l’homme, il convient d’identifier les droits de propriété concernés et qui eux sont précis – contrairement aux droits de l’homme qui sont volontiers brouillés et embrouillés par l’État.
Olivier Ypsilantis