(Le sociologue Richard Sennett / L’IREF, un think tank libéral et européen / Le Pape et la guerre en Ukraine / Friedrich Hayek )
Richard Sennett commence par s’intéresser à la vie ouvrière en milieu urbain. Il envisage en sociologue les questions d’architecture et d’urbanisme, puis il élargit son champ à l’étude de l’impact psychologique provoqué par l’instabilité des parcours professionnels dans un système de flexibilité de l’emploi. A cet effet, il accumule les témoignages des travailleurs condamnés à la mobilité et sans lien solide. Richard Sennett s’est également intéressé à l’exilé sur lequel circulent tant de clichés. Il reconsidère la notion d’artisanat dans « The Craftsman » et dénonce la compréhension restrictive que nous en avons trop souvent. Notre civilisation sépare la tête et la main, ce qui engendre des problèmes économiques et sociaux. Je me suis promis de lire ce sociologue que je ne connais qu’indirectement, par des articles publiés dans la presse en ligne et la presse papier.
Richard Sennett
Le sociologue Richard Sennett (né à Chicago en 1943) a été assez généreusement traduit en espagnol. Il juge que la globalisation est un échec dans la mesure où elle n’a profité qu’à un très petit nombre. Il estime qu’il faut plus d’espaces publics et modulables, plus de jardins et de parcs et moins d’espaces réservés aux véhicules. Les architectures ne sont généralement que des boîtes hermétiques et rigides. Il faut travailler à une architecture et un urbanisme plus ouverts et flexibles. La ville de Madrid, par exemple, devrait se faire plus plane, plus poreuse, plus en interaction avec la nature afin de mieux s’adapter au changement climatique, avec notamment ces étés de plus en plus chauds et prolongés. L’un des effets du néo-libéralisme a été d’isoler l’individu. La société civile doit se charger de la représentation collective dans un monde entrepreneurial. Par exemple, elle doit organiser des institutions qui s’opposent à l’effet corrosif des contrats à court terme qui accentuent l’isolement des individus. Comment donner un sens à un travail ? Les partis politiques ne répondent plus – ou n’ont jamais répondu – à cette question. Il faut fortifier les institutions collectives et la société civile. Il ne faut plus compter sur les partis et les gouvernements. La société civile se fortifie à la base et dans les pays pauvres, à Bombay par exemple. Il faut l’observer car elle peut nous donner des orientations, des modèles d’organisation collective plus sûrement que tous ces programmes politiques élaborés par tel ou tel parti. La politique est devenue l’aire favorite des égoïstes et des narcissiques. Richard Sennett qui repousse toute pratique religieuse dit avoir sur ces questions d’intéressantes conversations avec les Églises. Quelque chose s’est cassé – mais est-ce irrémédiable ? Ce qui s’est cassé, c’est la vie comme narration et structure, une cassure en partie provoquée par la vie entrepreneuriale qui ne fait qu’utiliser l’individu (voir Amazon) sans se préoccuper de sa carrière professionnelle.
Sur le site Tribune juive, trouvé cet article impeccable (source IREF Europe/ Nicolas Lecaussin) :
« A l’IREF, nous avons régulièrement critiqué Macron tout en évitant néanmoins de lui mettre sur le dos tous les problèmes français, de la crise du Covid à l’inflation, même s’il y a sa part de responsabilité… Thomas Piketty demande encore une hausse des impôts et affirme : « S’il suffisait de baisser les impôts pour devenir un pays prospère, les plus riches seraient la Bulgarie et la Roumanie, qui ont un taux d’imposition parmi les plus faibles en Europe ». Constat bizarre et inexact. Thomas Piketty le sait sûrement : ces deux pays se sont libérés du communisme après presque quarante-cinq ans et ont dû tout recommencer à zéro. Leur économie n’existait pratiquement pas en 1990. Aujourd’hui, avec effectivement des taux d’imposition bas – une flat tax à 16 % en Roumanie et à 10 % en Bulgarie –, ces pays se sont énormément enrichis : leur PIB/habitant a été multiplié par huit depuis 1990. Mais un autre exemple devrait inciter Thomas Piketty à un peu plus de réflexion. Il s’agit de l’Irlande qui a été l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Depuis les années 1960, son PIB/hab. a été multiplié par…122. C’est aujourd’hui l’un des pays les plus riches d’Europe. L’une des raisons est qu’il a pratiqué l’un des taux d’imposition sur les sociétés le plus bas au monde : 12,5 %.
Enfin, on peut aussi rétorquer à Thomas Piketty : « S’il suffisait d’augmenter les impôts pour devenir un pays riche, la France, championne du monde des prélèvements obligatoires, serait, depuis bien longtemps, le paradis sur Terre ». Et Thomas Piketty n’aurait pas besoin de faire du militantisme auprès de Jean-Luc Mélenchon. »
L’IREF se définit ainsi :
L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.
L’IREF publie des études, des rapports, des livres ainsi qu’une Newsletter hebdomadaire diffusée uniquement sur internet. Ses publications traitent de thèmes variés comme par exemple : la fiscalité française et mondiale, les droits de propriété, la mondialisation et le libre-échange, les politiques publiques, les retraites, la santé et l’écologie.
Conscients que la prospérité économique n’existe que dans un monde économique libre avec une fiscalité réduite et neutre, les membres de l’IREF œuvrent à la réduction du poids de l’État et des prélèvements obligatoires. Ses membres sont originaires de différents pays, leur approche scientifique est comparative et prend toute sa valeur dans le contexte de la mondialisation.
Le pape François qui m’irrite volontiers a tenu sur la guerre en Ukraine des propos que j’approuve pleinement. Il commence par prendre ses distances envers l’histoire du Gentil (l’Ukraine) et du Méchant (la Russie) car il juge que l’affaire est autrement plus compliquée. Le pape fait allusion à un chef d’État avec lequel il s’est entretenu peu avant le déclenchement de cette guerre – il ne veut pas citer son nom. Ce chef d’État lui a fait part de son inquiétude au sujet du comportement de l’OTAN. Le pape lui a demandé de préciser sa pensée. Réponse de ce chef d’État : « Ils aboient aux portes de la Russie sans comprendre que les Russes sont des impériaux et qu’ils ne peuvent accepter qu’une puissance étrangère s’approche ainsi d’eux ». Conclusion de ce chef d’État : cette situation pourrait conduire à la guerre.
Le pape invite à ne pas s’arrêter à la brutalité des troupes russes (parmi lesquelles de nombreux mercenaires : Tchéchènes, Syriens, etc.) et analyser la situation et ses origines avec amplitude ; autrement dit, le pape invite ne pas s’arrêter à l’émotion et analyser. Cette guerre aurait pu être provoquée (ou non empêchée) pas seulement par les Russes. La position du pape (que je partage pleinement, au moins sur ce point) n’est pas facile à défendre à l’heure où l’on nous présente cette guerre et ses protagonistes comme l’histoire du Petit Chaperon Rouge, avec l’Ukraine dans le rôle du Petit Chaperon Rouge et la Russie dans celui du Grand Méchant Loup. En suggérant des nuances dans l’analyse, on prend le risque d’être présenté comme un suppôt de Satan – de Poutine. En la circonstance, ce pape a eu le courage de dénoncer un certain simplisme et d’inviter à l’analyse – surtout quant aux causes de cette guerre et aux intérêts très divers qui l’ont provoquée, ou tout au moins facilitée, et qui l’activent. Le peuple ukrainien (doit il célèbre le courage) est pris dans des tourbillons d’intérêts globaux : ventes d’armes, promesses de nouveaux marchés, manœuvres géopolitiques à l’échelle planétaire, etc.
Friedrich Hayek est volontiers traité comme un « ultra-libéral » par nombre d’activistes diversement de gauche, comme un partisan d’un État minimal. Il s’agit d’un jugement faussé car chez Friedrich Hayek la place de l’État n’est en rien négligeable. Il n’est pas plus un défenseur du laissez-faire que de l’État minimal. Il a dénoncé le laissez-faire (dogmatique) de certains libéraux, ce qui a eu entre autres effets néfastes celui d’encourager les promoteurs du planisme et du collectivisme.
Friedrich Hayek estime que pour assurer la catallaxie (selon lui, une catallaxie est l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes de gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats) et le fonctionnement ordonné du marché, le gouvernement « doit se servir de son pouvoir fiscal pour assurer un certain nombre de services qui, pour diverses raisons, ne peuvent être fournis, du moins adéquatement, par le marché ». Je n’entrerai pas dans les détails et ne multiplierai pas les exemples. Simplement, chez Friedrich Hayek, l’État ne doit pas se limiter aux compétences régaliennes, il doit fournir des services indispensables à la vie de la société sans les gérer pour autant.
Friedrich Hayek ne remet pas en question l’État providence, il souhaite simplement y instaurer de la concurrence et de la liberté et, pour ce faire, il milite pour la décentralisation de la gestion des services fournis par l’État.
Selon Friedrich Hayek, il faut clairement distinguer le prélèvement des impôts visant à financer les services, prélèvement effectué par le gouvernement central, et le fait que les services soient gérés par lui. La gestion doit de préférence en être faite par des entreprises mises en concurrence ; l’État n’a comme rôle que celui d’attribuer les fonds recueillis aux producteurs en fonction des préférences exprimées d’une manière ou d’une autre par les utilisateurs. Par ailleurs, les services fournis par l’État sont supplétifs, ils ne sont activés qu’en l’absence de services fournis par le marché. Dès lors que le marché peut fournir efficacement ces services, il doit le faire et l’État doit se retirer. La gestion doit être la plus efficace possible. Par ailleurs, Friedrich Hayek considère que l’État doit aussi fournir assistance aux plus démunis et au secteur privé, quand celui-ci est défaillant. Friedrich Hayek mériterait d’être relu à l’heure de la création monétaire et de l’argent gratuit. Il estime qu’il faut mettre en place un système permettant de « conduire à une limitation rationnelle du volume de la dépense publique totale ». Il estime par ailleurs que le fait de ne pas avoir de règles contraignantes en matière budgétaire conduit à ce que « toute majorité a le droit de taxer les minorités selon des règles qui ne s’appliquent pas à elle-même », ce qui engendre inévitablement « une croissance constante des dépenses publiques au-delà de ce que l’individu désire réellement ». Décidément, il est urgent que nos responsables politiques lisent et relisent Friedrich Hayek, Friedrich Hayek qui reconnaît par ailleurs que les dépenses publiques ont une certaine importance, que l’action de l’État ne peut être guidée par la seule rentabilité et que le rôle des dépenses publiques est de relayer l’investissement privé quand celui-ci est défaillant, permettant à l’État d’employer ses ressources à des investissements publics, au moindre coût et le plus opportunément pour la société.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis