Ce « Que sais-je ? » a été numérisé (voir lien) ; il s’agit de « L’anarcho-capitalisme » de Pierre Lemieux. Lisez-le ! :
http://classiques.uqac.ca/contemporains/lemieux_pierre/anarcho_capitalisme/anarcho_capitalisme.html
Dans la nouvelle préface de Pierre Lemieux à cette édition numérique (l’édition papier date de 1988), on peut lire : « Dans le court laps de temps qui sépare l’édition papier de l’édition numérique de “L’anarcho-capitalisme”, la progression de la tyrannie a été foudroyante. L’effondrement du bloc soviétique s’est accompagné de la soviétisation douce des États qui l’avaient combattu et qui ont inventé la tyrannie à visage humain. Amélioration, certes, pour les anciens esclaves du communisme, mais détérioration pour nous. […] L’État monstrueux que l’on subit maintenant n’est pas un produit du 11 septembre 2001 : c’est parce qu’ils avaient déjà des pouvoirs inouïs que “nos” États ont pu se servir de la “guerre à la terreur” pour écraser davantage nos libertés. Contrôle des marchés financiers au nom de la répression des transactions d’initiés, contrôle des entreprises pour motifs d’“éthique” ou de “gouvernance”, lutte à la drogue puis au tabac, contrôle des transactions monétaires pour contrer le “blanchiment d’argent”, généré lui-même en bonne partie par des crimes fabriqués par l’État, renforcement des contrôles des armes à feu aux mains de quiconque n’est pas un agent de l’autorité, limitations de la liberté d’expression au nom du prétexte du jour, pouvoirs accrus de la police – toutes ces mesures avaient commencé bien avant le 11 septembre, et l’État n’a fait qu’ajouter “terrorisme” aux raisons antérieures pour contrôler ses sujets. »
Le Gadsden Flag
L’information économique manque de profondeur ; elle se contente de fournir des données conjoncturelles par ailleurs très sectorielles. On évolue donc dans le très court terme dans les limites duquel des zones sont négligées, comme soustraites à la vue. Comment espérer alors s’adonner à une analyse sérieuse ? On manque pour ce faire de matériaux et d’outils.
Je reste frappé par le désintérêt général des Français pour l’économie (relativement aux Anglo-Saxons pour ne citer qu’eux), par leur goût pour l’a priori, les principes « moraux », les idées traîne-partout (à la mode), etc. Sans être un spécialiste, on peut s’efforcer de délinéer des problèmes structurels. Sans être un mécanicien capable de réparer un moteur, on peut s’efforcer de comprendre sérieusement le fonctionnement du moteur à explosion. Mais rien. Il n’y a pas de culture économique en France. Il y a certes de nombreux spécialistes (leur manque de style a tôt fait d’ennuyer tout le monde) mais surtout un désintérêt général pour l’économie, comme si cette « science » était réservée aux spécialistes.
En France, on pourrait par exemple se poser la question de savoir pourquoi nous avons globalement la fiscalité la plus pensante de tous les pays développés, mais aussi des dépenses sociales qui caracolent en tête du peloton et un endettement dont le sommet se perd toujours plus dans les nuages ; et ce ne sont pas les nuages qui descendent mais le sommet qui monte comme sous l’effet de poussées telluriques – des problèmes structurels.
Sans se perdre dans les détails, signalons qu’en France, entre 1980 et 2018, les dépenses publiques sont passées respectivement de 49 % à 56,4 %, les dépenses sociales de 20,1 % à 36,1 %, les prélèvements obligatoires de 39 % à 48,4 %, l’endettement de 20 % à 98,4 %. Deux questions : pourquoi une telle augmentation de ces pourcentages et quelle est de ce point de vue la situation de la France par rapport aux autres pays européens ? Nous nous situons résolument au-dessus de la moyenne européenne en pourcentage du P.I.B. Respectivement pour la France et l’Union européenne : dépenses publiques : 56,4 %, et 46,7 % ; dépenses sociales : 36,1 % et 28,2 % ; prélèvements obligatoires : 48,4 % et 43,2 % ; endettement : 98,4 % et 67,7 %.
Pourquoi un tel écart de ces ratios entre la France et Union européenne voire l’O.C.D.E. ? L’une des raisons, probablement la principale, comme nous l’avons suggéré dans un précédant article : la baisse constante du niveau d’industrialisation au cours de la période considérée. Nous sommes à présent l’avant dernier pays européen quant au pourcentage du secteur secondaire rapporté à celui des autres pays d’Europe, Grèce mise à part. Le secteur secondaire qui représentait 26 % à 27 % du P.I.B. de la France à la fin des Trente Glorieuses n’en représente plus que 10,1 %.
Je me souviens (ainsi que je l’ai écrit) qu’à l’école on nous expliquait avec un parfait aplomb que plus un pays était développé plus ses secteurs primaire et secondaire s’amenuisaient au profit de son secteur tertiaire, le secteur des services. C’était pour nous – et pour moi – devenu un fait entendu et ce n’est qu’assez récemment, suite à des lectures spécialisées, que j’ai commencé à remettre en question ce credo et à envisager que la production industrielle a un rôle de premier plan dans la création de richesses au niveau national. Si on rapproche la production industrielle des pays, production mesurée par habitant (selon les données de la comptabilité nationale) du P.I.B. per capita de ces mêmes pays, on constate un rapport particulièrement net entre ces deux données.
Quelques chiffres : avec une production industrielle per capita de 6 900 dollars par an, la France a un P.I.B. per capita de 40 493 dollars ; le rapport est en Allemagne de 12 400 dollars / 46 258 dollars ; et en Suisse de 21 000 dollars / 81 993 dollars.
Face a une telle situation, et plutôt que de réindustrialiser, la France a choisi d’augmenter les dépenses sociales, et considérablement, au point qu’elle est devenue championne européenne (pour ne pas dire mondiale) en matière de dépenses sociales, ce qui épuise l’économie du pays et ce dont bien peu de citoyens semblent avoir conscience. Il est vrai que notre rapport à l’État est névrotique et relève d’un complexe d’Œdipe non résolu, l’État étant envisagé par plus d’un(e) comme une maman ou un papa.
Dépenses sociales en constante augmentation avec accroissement de l’endettement et surcharge de prélèvements obligatoires, nos pourcentages dépassent ceux de la moyenne européenne déjà relativement élevée. Avant la pandémie, la dette publique flirtait avec les 100 % du P.I.B. – alors qu’elle était de 20 % en 1980.
Endettement et prélèvements obligatoires en hausse permanente et désindustrialisation continue, jusqu’où ira-t-on ? La mutualisation de la dette est devenue le seul moyen de sauver l’Europe ; mutualiser la dette, soit la répandre partout. Il est vrai qu’il est devenu problématique en République française de faire peser plus encore la taille et la corvée sur les épaules du citoyen sous peine de le voir s’effondrer ou se rebeller, et plus durement qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. On croit expliquer la Révolution française et son bien-fondé à partir d’une gravure qui montre le Tiers-État fortement courbé portant sur son dos le Clergé et la Noblesse. Soit. Il faudra à présent avoir le courage et, surtout, la lucidité de montrer le citoyen porter l’État et ses administrations pareillement sur son dos. Faisons appel à des caricaturistes de talent. Idem avec les octrois, ces pavillons honnis des Révolutionnaires. Mais les octrois se sont multipliés en République française, sous une forme plus discrète il est vrai. La T.V.A. est un octroi, les impôts de production sont des octrois, et je pourrais remplir au moins une page de ces noms qu’a pris l’octroi. Nous allons en avoir d’autres, probablement la taxe Tobin qui provoque des extases chez nombre de camarades, une taxe qui avait sa raison d’être lorsqu’elle se proposait de limiter la volatilité du taux de change dans les transactions monétaires internationales mais qui à présent ne désigne plus qu’une taxe sur les transactions financières. C’est la taxe Robin des Bois… A présent, Vincent Lindon aimerait que soit instaurée une taxe Jean Valjean. Ce monsieur qui a des lettres pervertit l’action même de Jean Valjean, une action spontanée et en rien soumise la coercition étatique. Vincent Lindon… Je préfère décidément Barry Lyndon et son panache.
Plus sérieusement. Nous vivons dans l’endettement, nous vivons de l’endettement. L’endettement conduit à la restriction des libertés et même à l’esclavage, l’esclavage qui dans notre monde moderne sait prendre bien des formes, des formes volontiers si douces et si doucereuses qu’il est rarement éprouvé comme tel.
Dans tous les cas, ce n’est pas en taxant les riches – comprenez « les plus riches que moi » – que le problème sera réglé. Il faut réduire considérablement et sans tarder nos dépenses sociales, ce qui aura entre autres effets d’alléger la fiscalité. La réindustrialisation est une affaire autrement plus difficile et dans tous les cas elle ne pourra être entreprise qu’après allègement de ces dépenses et de la fiscalité sous toutes ses formes, un allègement qui exigera la restructuration massive et à l’occasion brutale de tout l’appareil étatique, soit sa diminution et dans des proportions monumentales.
« Capitalism and Freedom » de Milton Friedman, un livre qui dénonce la nocivité de l’interventionnisme gouvernemental qui contraint les citoyens à agir contre leurs intérêts individuels au bénéfice d’un supposé intérêt collectif. Ainsi l’effet escompté se retourne-t-il contre lui-même. Certaines analyses et propositions contenues dans ce livre ont vieilli, d’autres restent fort pertinentes. Et pour qui s’intéresse à Milton Friedman, et plus généralement au libéralisme, ce livre offre une excellente vue d’ensemble sur l’un et sur l’autre.
Olivier Ypsilantis