Je m’interroge toujours plus sur l’efficacité de la relance par injection massive d’argent (public) dans le but de relancer la demande – la relance keynésienne. J’ai toujours plus le sentiment que, ce faisant, on recule d’un pas ou, plutôt, d’un demi pas face au gouffre ; mais que dans un même temps on creuse ce gouffre et que lorsqu’on y tombera (une hypothèse nullement fantaisiste) on tombera d’autant plus haut.
Je ne comprends pas vraiment en quoi l’injection massive d’argent (public) peut stimuler la demande ; et si elle la stimule, ce ne peut être que très ponctuellement. Je ne comprends pas mais vraiment pas ce qui est bien une injonction officielle, à savoir que : « Ce n’est pas d’épargne mais de consommation dont nous avons besoin en ce moment ». Je ne comprends pas mais vraiment pas le sens de cette injonction qui, au mieux, ne peut se montrer efficace que sur une (très) courte période ; pas assez de temps pour mettre les canots de sauvetage à l’eau. Je ne puis m’ôter à cette impression, une impression qui ne me rend en rien inactif, au contraire ; je multiplie les décisions, le cœur battant, l’œil et l’esprit aux aguets ; mais cette impression ne me quitte pas, ne me quitte plus, et c’est probablement elle qui me donne cette énergie, l’énergie du désespoir probablement. Je suis à bord d’un paquebot qui ne cesse de frôler des hauts-fonds…
L’interventionnisme frénétique des gouvernements d’un côté et des banques centrales de l’autre est une épée à double tranchant. Des taux d’intérêt exceptionnellement bas permettent aux drogués de l’endettement de se fournir « gratuitement » ou presque chez leurs dealers. Mais cet endettement activé par l’interventionnisme aura tôt ou tard des effets désagréables. Le crédit est par ailleurs alloué d’une manière de moins en moins regardante et ainsi favorise-t-il la prolifération d’entreprises zombies qui influent sur les marchés financiers.
La machine étatique fait le Canadair mais sans la rigueur des pilotes de Canadair, parmi les meilleurs pilotes du monde et qui eux vont chercher l’eau en des points très précis pour la larguer en des points très précis. Il est vrai que l’on peut se consoler en se disant que l’élimination darwinienne des entreprises les moins profitables finit « naturellement » par s’imposer face aux artificielles stimulations keynésiennes budgétaires et monétaires. Cette consolation reste cependant en demi-teinte car les excès se multiplient. Une remontée des taux d’intérêts nous calmerait et nous rendrait plus scrupuleux et avisés sur la gestion de l’eau pour éteindre les incendies, tant à l’écopage qu’au largage. Cette politique procyclique et keynésienne d’arrosage n’écrase pas l’incendie, elle en réduit l’intensité et le laisse couver (smouldering fire) ; et lorsqu’il reprend, c’est avec une violence accrue. Cet endettement nous laisse par ailleurs une manœuvre toujours plus étroite face aux crises qui, notons-le, sont de plus en plus rapprochées.
On s’émeut, on pense relocalisation. Mais considérant la mondialisation toujours plus intense c’est un leurre. Et l’État s’est tellement enkysté dans les sociétés, la française en particulier, qu’il ne pourra renoncer à l’impôt et ainsi à se désintoxiquer. Au contraire, chaque nouvelle crise (financière, sanitaire et autre) l’engage à intervenir toujours plus. L’endettement d’un pays conduit aussi à l’étatisation d’un pays, implacablement, mécaniquement. On en vient même à envisager des plans quinquennaux. Certains doivent même espérer secrètement un Staline, lui qui en 1928 lança le premier plan quinquennal pour industrialiser frénétiquement le pays.
Je me prends à rêver d’un candidat libertarien aux prochaines élections présidentielles françaises, un candidat (ou une candidate) qui reprenne les dix points du programme de Jo Jorgensen, candidate libertarienne à l’élection présidentielle américaine, un programme qui bouscule tous les partis existants en France et qui au centre comme sur les côtés sont un désastre puisqu’ils ne pensent qu’étatisation alors que les multiples problèmes dont souffre le pays (dont l’endettement) sont le fait de l’obésité de l’État.
Parmi les mesures que prendrait un chef d’État libertarien (permettez-moi un peu de rêve) :
L’interdiction de contracter de nouvelles dettes, interdiction étendue à toutes les ramifications de l’appareil d’État, avant de passer à l’étape suivante : la réduction des dépenses publiques, chaque ministre étant tenu personnellement responsable et donc renvoyé en cas de non-respect du cap fixé.
Réforme du système de santé étouffé par une administration obèse. Dans ce système, l’administratif devra être progressivement réduit. La politique conduite par les gouvernements successifs, « de droite » comme « de gauche », ne diffère que sur la distribution de la part du gâteau à effectuer entre les organismes dépendants des partenaires sociaux et les rentes accordées aux mutuelles. Le système de santé doit être ouvert à la concurrence, seul moyen de réduire le coût des frais médicaux et de disposer de capacités d’investissement plus confortables, notamment dans la recherche. Réduire les coûts pour mieux aider, telle devrait être la devise du système de santé français pour les années à venir.
Réforme du système des retraites, un système lui aussi en déficit chronique et donc de moins en moins efficace. Que ceux et celles qui veulent sortir du système de protection et de prévoyance supervisé par l’État puissent en sortir, par exemple en n’ayant pas à supporter les prélèvements sociaux, et qu’ils choisissent à leurs risques et périls un système individualisé et quelle que soit l’activité exercée. Tout doit être remis à plat à ce sujet ; et à chacun de choisir sa formule.
Le chômage et la pauvreté ne cessent d’augmenter malgré les actions gouvernementales. Les politiques publiques ne fonctionnent pas et dans ce domaine encore moins que dans d’autres. Seul remède contre la pauvreté et la précarité, la vigueur de l’économie. La création de nouvelles entreprises devrait pouvoir se faire sans la moindre intervention de l’État ; et les entreprises ne devraient avoir à subir qu’une fiscalité légère.
Le ministère de l’Éducation nationale doit être supprimé. L’éducation doit être décentralisée, libre. L’apprentissage doit être développé autant que possible auprès des acteurs économiques, des géants à l’artisan en passant par les PME/PMI.
L’impôt est coercitif. Le consentement à l’impôt n’existe pas ou s’il existe c’est parce que le contribuable a calculé qu’il pourrait d’une manière ou d’une autre récupérer ce qu’il a versé au fisc. Par ailleurs, l’impôt nourrit l’État, c’est-à-dire tout le monde, c’est-à-dire personne.
En faisant le choix de l’endettement, l’État pérennise les équilibres – les déséquilibres – existants. Il assure son emprise sur le pays quitte à le pousser à l’appauvrissement et à la ruine. La France va du conservatisme institutionnel à l’interventionnisme bureaucratique et inversement. Pendant ce temps, on agite des questions « sociétales » pour distraire le peuple et, ainsi, assurer la pérennité de la machine étatique. Il ne s’agit pas de nier l’importance de ces questions, en aucun cas ; on peut même s’interroger sur une différenciation prononcée entre « question sociale » et « question sociétale ». Mais force est de constater que dans les situations d’urgence (et nous sommes dans une situation d’urgence) ces questions sont agitées comme jamais. La pandémie du Covid-19 multiple les tentacules étatiques sur l’économie et celles de l’administration sur la propriété et la liberté de commercer. Ce faisant l’État affaiblit et navre le pays tout en assurant de moins en moins bien ses fonctions régaliennes pour cause d’éparpillement.
La pandémie du Covid-19 a montré que l’économie administrée n’a pas fonctionné. Mais qu’importe ! On agite l’écologie (question grave, urgente même) qui n’a pas à être agitée par le pouvoir d’État pour faire oublier sa gestion désastreuse. L’économie administrée n’a pas fonctionné et elle ne fonctionnera pas. Les libertés individuelles vont être grignotées, la propriété qui en est inséparable avec elles. Mais il s’agit de préserver la stabilité de l’exécutif et de nourrir un État toujours plus obèse et affamé… Quand l’État se désengagera-t-il de tout ce qui ne concerne pas ses missions fondamentales, seul moyen de sortir de la crise ?
Je ne comprends pas vraiment la manière dont la France se prépare à la crise économique et sociale qui vient. Il me semble qu’une discrète voix officielle s’insinue partout et invite à la méthode Coué. Je me défends de cultiver le pessimisme aussi bien que l’optimisme qui l’un et l’autre relèvent trop souvent de la pose. Je suis simplement inquiet, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier tout ce que la vie place devant moi et d’en rendre au moins partiellement compte. Mais tout de même ! Je me dis parfois (sans prétendre être d’une clairvoyance particulière) que nous sommes à bord d’un Titanic qui commence à sombrer, doucement, gentiment, et que le capitaine et son équipage (qu’ils en soient remerciés) s’emploient à éviter à tout prix que la panique ne s’empare des passagers. Il est vrai que la panique est mauvaise conseillère. Faut-il pour autant qu’ils continuent à nous bercer ? L’un des sens du mot « bercer » est « tromper ». Je suis à bord du « Titanic » et l’orchestre passe en boucle la chanson de Ray Ventura : « Tout va très bien, Madame la Marquise / Tout va très bien, tout va très bien. / Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise, / On déplore un tout petit rien ». Moi qui suis sur le pont du paquebot, je note néanmoins une inclinaison bizarre de l’ensemble, une inclinaison qui s’accentue doucement, tout doucement ; mais me dit la presse mainstream, ce truc qui fait des bulles : « Tout va très bien, tout va très bien ».
La France s’est montrée terriblement impréparée face à la pandémie du Covid-19, une impréparation d’autant plus inexcusable que la fiscalité y est gargantuesque et pantagruélique. L’« alphabet de la reprise » est décliné par l’O.C.D.E. en trois lettres : U, V, W. Il y a aussi le L, soit pas de reprise, mais on l’a mis au placard. Cet alphabet amuserait Georges Perec, son ami Raymond Queneau et autres membres de l’Ouvroir de littérature potentielle, l’OuLiPo. Toutes ces considérations me conduisent par des voies à peine détournées vers le rébus, un exercice que j’ai commencé à apprécier dès l’enfance par des revues qui traînaient chez les uns et les autres, à commencer par la salle d’attente du dentiste. Mais une fois encore, je me suis égaré. Et je vais en venir à Nouriel Roubini, un passager du « Titanic » avec lequel je partage certaines inquiétudes.
Olivier Ypsilantis