The fundamental question of political philosophy, one that precedes questions about how the state should be organized, is whether there should be any state at all. Why not have anarchy? Robert Nozick
On ne cesse de fuir dans la dette et le déficit. Je m’en inquiète depuis au moins une vingtaine d’années, j’en parle à des relations dont les professions touchent à l’économie et la finance. Ils me trouvent généralement excessivement préoccupé. J’ai donc pensé prendre quelque repos et me passer la tête sous l’eau froide ; mais le repos et l’eau froide ne font qu’activer mes préoccupations.
Je constate que la France (je l’ai quittée depuis longtemps et n’y tiens plus que par la langue, ce qui tout de même l’essentiel) s’est installée toujours plus dans le déficit et l’emprunt. Avec la crise du Covid-19, l’impréparation de ce pays (par rapport à son principal partenaire, l’Allemagne) me semble en (grande) partie trouver son origine dans cette propension au déficit et à l’emprunt. A vrai dire, lorsque j’étudie la situation, je suis pris par une peur assez semblable à celle qui m’avait prise à la lecture de cette nouvelle d’Edgar Allan Poe, « A Descent into the Maelström », et je n’exagère rien. N’oublions pas que la France (pour ne citer qu’elle) en est venue à rembourser ses dettes en empruntant simultanément le même montant. L’emprunt se fait en moyenne sur huit ans – et personne ne peut garantir que les taux d’intérêt se maintiendront à ces taux « historiquement bas ». C’est la cavalerie. Les taux d’intérêt très bas, voire nuls ou négatifs, sans oublier le quantitative easing, n’incitent pas au sérieux. On s’enivre d’emprunts jusqu’à ce que… les taux d’intérêt remontent ; et la griserie retombe d’un coup ; on se retrouve tout nu sous une pluie glacée. On avait oublié que la réduction de l’endettement ne pouvait que passer par la réduction des dépenses publiques. Mais auparavant il aurait fallu baisser les impôts, ce que préconisait déjà Frédéric Bastiat.
Il faut en finir avec la spoliation légale, en finir avec la prédation qui précède la redistribution. Il faut en finir avec la spoliation légale et ainsi, mécaniquement, avec le financement par l’État de secteurs entiers où il n’a que faire. Il faut en finir avec un tel niveau de spoliation, de redistribution, de dépenses publiques, de dette et d’endettement. Chaque dépense publique doit être rediscutée et, ainsi, sera-t-on amené à redéfinir le rôle de l’État. Mais l’État ayant les plus grandes difficultés à ne pas sucer le sang des citoyens, il faut développer des techniques pour refréner sa soif. La menace par ses prêteurs d’augmenter les taux d’intérêt pourrait être une excellente méthode, implacable. Ainsi, un calendrier précis pourrait-il être fixé avec des exigences de réformes structurelles détaillées (et pas question d’augmenter les impôts pour espérer s’en sortir), un calendrier tenable mais rigoureux avec menace de resserrer le nœud coulant si l’État français ne répond pas à ces exigences. On va me traiter de fou mais au point où en est ce pays, il va falloir mettre son État sous tutelle (c’est à lui plutôt qu’aux « repentis fiscaux » d’aller en « cellule de dégrisement ») le temps qu’il se reprenne, ramène ses dettes à un niveau raisonnable et cesse d’acheter des voix par la prédation fiscale, la redistribution et l’endettement (sans oublier le clientélisme et le capitalisme de connivence – crony capitalism – pratiqués avec une même ferveur sous les gouvernements dits « de droite » ou « de gauche »).
« La fonction publique, la fonction privée ont toutes deux en vue notre avantage. Mais leurs services diffèrent en ceci, que nous subissons forcément les uns et agréons volontairement les autres ; d’où il suit qu’il n’est raisonnable de ne confier à la première que ce que la seconde ne peut absolument pas accomplir », écrivait Frédéric Bastiat en 1846. Bon sang, cet homme du XIXe siècle reste terriblement actuel, mais ce grand esprit français ne plaît pas à la France dont la créativité se recentre toujours plus sur la fiscalité.
« Le Socialisme, comme la vieille politique d’où il émane, confond le Gouvernement et la Société. C’est pourquoi, chaque fois que nous ne voulons pas qu’une chose soit faite par le Gouvernement, il en conclut que nous ne voulons pas que cette chose soit faite du tout. Nous repoussons l’instruction par l’État ; donc nous ne voulons pas d’instruction. Nous repoussons une religion d’État ; donc nous ne voulons pas de religion. Nous repoussons l’égalisation par l’État ; donc nous ne voulons pas d’égalité, etc. C’est comme s’il nous accusait de ne vouloir pas que les hommes mangent, parce que nous repoussons la culture du blé par l’État », écrivait Frédéric Bastiat en 1850.
Concernant cette dernière remarque, pas d’inquiétude : si un service n’est plus financé par l’impôt – la spoliation légale –, il ne disparaîtra pas s’il est vraiment utile. Quelqu’un remplacera l’État et très avantageusement. Il suffira d’ouvrir ledit service à la concurrence de services privés équivalents. Le choix sera ainsi donné aux citoyens. Cette baisse de la fiscalité libérera les énergies et les capitaux, dynamisera tout le pays. L’État qui utilise de l’argent qui ne lui appartient que par la spoliation légale n’est guère regardant quant à la dépense. Ainsi le gaspillage est-il fréquent, sans oublier le clientélisme, le capitalisme de connivence et autres maux inhérents à l’appareil d’État ou favorisés par lui. Les individus qui investissent sont plus regardants quant aux investissements et dépenses car ils savent qu’ils devront supporter les conséquences de leurs erreurs. Rien de tel avec l’État. Tout au plus un gouvernement tombe à la suite d’un scandale, mais il est aussitôt remplacé et l’État reste bien en place.
La zone Euro s’enivre de crédit, et certains pays, dont la France, plus que d’autres. La Banque centrale européenne (B.C.E.) peut acheter des obligations d’États de diverses manières, soit directement sur le marché, soit en les acceptant en garantie dans des opérations de prêts, ce qui, on l’a compris, a pour effet d’augmenter (et considérablement) la masse monétaire, ce qui par ailleurs peut permettre à un État d’externaliser au moins partiellement les coûts de son déficit mais au détriment des autres pays de la zone Euro, avec affaiblissement de la parité (ou taux de change) de l’Euro et donc du pouvoir d’achat des citoyens de cette zone.
C’est la tragédie des biens communs, une expression qui procède d’un article de Garett Hardin, écrit en 1968. Cet article m’évoque dans son expression Frédéric Bastiat qui par souci didactique s’appuie volontiers sur des exemples très prosaïques qui, à leur manière, m’évoquent les paraboles rapportées dans les Évangiles. Dans le cas qui nous intéresse il est question de terres communes (voir English commons) que des bergers partagent pour y faire paître leurs troupeaux. Chaque vache dont le fermier fait l’acquisition lui est très rentable notamment parce que le coût qu’elle engendre est partagé entre tous ceux qui bénéficient de cette terre commune. Chaque fermier va donc avoir tendance à acheter de plus en plus de vaches. Mais le coût de cette opération (car elle a un coût) ne va pas lui apparaître clairement car il est en quelque sorte noyé dans l’ensemble. Ainsi aucun d’entre eux ne comprendra – ne voudra comprendre – que les fermiers, dont lui, surexploitent cette terre et qu’il viendra un temps où l’herbe ne poussera pas assez vite pour nourrir toutes ces têtes de bétail, pour nourrir correctement une seule vache. Et s’ils prennent enfin conscience du danger qui s’approche inéluctablement si rien n’est fait, ils jugent avoir individuellement intérêt à ajouter une vache puis une autre sur cette terre. Ainsi chaque fermier (chaque pays de la zone Euro) continue à augmenter continuellement son troupeau (l’externalisation du financement du déficit par l’augmentation de la masse monétaire) alors que les possibilités de cette terre sont limitées mais qu’elle est accessible gratuitement.
Ainsi le taux de change de l’Euro (le pouvoir d’achat qu’il suppose) est-il exploité par de nombreux utilisateurs. C’est la terre commune et nous sommes ces fermiers malgré nous, car nous vivons par la grâce des administrations étatiques de la zone Euro en émettant de la dette – en augmentant la masse monétaire. Ainsi la tentation est-elle forte de laisser filer les déficits nationaux en espérant vivre discrètement au crochet de partenaires plus rigoureux. C’est la manœuvre entêtée et désespérée (et je pèse mes mots) d’Emmanuel Macron pour mutualiser la dette, une manœuvre qui, je le redis, me donne honte d’être français. L’État français est un énorme machin, écrasé par son propre poids, par sa force d’inertie, par une bureaucratie soucieuse avant tout de défendre son pré carré. Définition simple de la force d’inertie : la force d’inertie est une résistance opposée au mouvement par un corps, grâce à sa masse.
Les taux d’intérêt proches de 0 % voire nuls ou négatifs (!) incitent l’énorme Machin (qui ne rêve que de devenir encore plus énorme) à pousser dettes et déficits sous le tapis. La crise financière mondiale de 2007-2008 loin de réveiller, de faire prendre conscience de l’urgence de la réduction des dettes et des déficits, a stimulé l’appétit du Machin dans des pays à la croissance par ailleurs plutôt molle. Les effets pervers de ces taux d’intérêt vont se faire encore plus durement sentir avec la crise sanitaire du Covid-19. Il va falloir que le Machin se reprenne, qu’il cesse de se goinfrer d’impôts (ce qui a entre autres effets de décourager la croissance comme nous l’avons dit) et d’emprunts gratuits ou presque, car un emprunt reste un emprunt ; on ne pourra pas faire donner la cavalerie indéfiniment – la cavalerie, ce système juridique qui permet d’utiliser de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens. L’énorme Machin se goinfre donc d’impôts tout en vivant à crédit et sans jamais songer à changer son mode de vie, soit se restructurer, modérer les dépenses publiques et j’en passe. Il va falloir le mettre sous tutelle car sa conduite nous met tous en danger. Et que l’État apprenne à se méfier du Too big to fail ; nous entrons dans des zones très dangereuses et aucune coque en dépit de sa résistance et ses cloisons étanches n’empêchera le paquebot de sombrer. J’ai de plus en plus souvent l’impression d’entendre un orchestre jouer pour nous cacher la catastrophe. Et je ne cultive pas le pessimisme : après tout, presque la moitié des passagers du Titanic a survécu au naufrage…
Et ainsi vogue-t-on. Des États se disent qu’à la prochaine crise il suffira d’émettre une fois encore des obligations d’État, de les faire acheter par leurs banques… et, ce qui ne se dit pas, ce à quoi on ne pense pas, de faire payer les autres, l’air de rien, ni vu ni connu, avec une dépréciation de l’Euro, soit, une fois encore, une baisse du pouvoir d’achat des citoyens de la zone Euro. Ces États jugent qu’on ne pourra mettre fin à la monétarisation car ce faisant on provoquerait un défaut de la dette souveraine, ce qui serait dévastateur pour l’ensemble de la zone Euro. Too big to fail… Time will tell…
Il est vrai que toutes les banques européennes (et pas seulement elles) sont gavées d’obligations d’États de la zone Euro, à commencer par la Banque centrale européenne qui avec la crise sanitaire du Covid-19 vient de s’en resservir (de nous en resservir) des ventrées. On en est à jouer au Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui rira aura une tapette, tout en sachant que personne ne rira parce que personne n’a envie de rire. Le défaut d’un État comme l’Italie, l’Espagne ou la France, des poids lourds de l’Europe qui par ailleurs figurent parmi les pays les plus endettés, aurait des effets dévastateurs non seulement dans le pays mais dans tous les pays de la zone Euro et dans toute l’Union européenne. Tout laisse supposer que les effets économiques et sociaux d’une crise d’une dette souveraine de cette importance seront terrifiants. Parmi ces effets, l’hyper-inflation et l’Euro bon pour le feu. Le cas grec a terriblement inquiété la zone Euro et l’Union européenne alors que la Grèce représente plus ou moins 1 % du P.I.B. de l’Union européenne. On se souvient qu’en décembre 2009 commença la crise de financement de l’État grec, une crise qui nous donna des sueurs froides. Nous aurions dû tirer des leçons de cette crise qui affectait un pays bien modeste et qui aujourd’hui menace des pays au P.I.B. autrement plus imposant, dont la France. Premier problème de la Grèce, un surendettement de l’État qui n’appelait qu’une solution : le retour à l’équilibre des finances publiques par la baisse des dépenses. Certains proposèrent comme solution à cette crise la sortie du pays de la zone Euro (et de l’Union européenne) afin de lui permettre de dévaluer sa monnaie. C’était oublier que si la dévaluation renforce la compétitivité d’un pays (avec augmentation du solde extérieur), elle n’améliore pas automatiquement ses finances publiques. Or, le problème de la Grèce n’était pas lié à des problèmes de déficit extérieur mais de finances publiques.
L’Europe a mis en place des fonds destinés à aider les États en difficulté (voir le Mécanisme européen de stabilité ou M.E.S.), elle a par ailleurs adopté le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (T.S.C.G.) qui prolonge le Pacte de stabilité et de croissance. Ce traité accepte le principe d’un déficit budgétaire s’il est conjoncturel (consécutif à une dégradation cyclique de l’économie) mais refuse, et à raison, que les pays signataires de ce traité s’installent dans le déséquilibre budgétaire et s’avachissent dans l’endettement, ceci afin d’écarter toute menace budgétaire sur la pérennité de l’euro.
Or, certains pays dont la France en prennent à leur aise avec ce traité, fondamental me semble-t-il, pour ceux qui tiennent malgré tout à l’Union européenne et à l’Euro. La pandémie du Covid-19 vient révéler plus durement encore le laisser-aller budgétaire de certains.
J’en reviens à la mutualisation de la dette. Cette demande me révolte, en particulier lorsqu’elle vient d’Emmanuel Macron, car vouloir consolider l’Europe par le bas me semble moralement (et économiquement) détestable. Vouloir mutualiser la dette est une honte et me fait honte car on a bénéficié d’années fastes pour réduire les dépenses publiques (avec notamment ces taux d’intérêt « historiquement bas » comme on l’ânonne). On ne consolidera pas nos relations avec nos voisins en leur demandant de nous aider à payer nos factures alors que nous ne nous préoccupons pas de limiter nos dépenses.
Ci-joint, une vidéo de Marc Touati (né en 1970), « La croissance française repose sur une bulle obligataire ». J’apprécie l’aspect clair et didactique de cet analyste. Je partage très exactement ses inquiétudes depuis des années :
https://www.youtube.com/watch?v=DLsmD7N1U9s
Autre vidéo de Marc Touati, « La France est la triste championne de la récession » :
Olivier Ypsilantis