Les États se soucient rarement de rigueur budgétaire car l’argent dont ils disposent ne leur appartient pas : il est exclusivement le produit de l’impôt. La dette publique augmente, augmente, augmente… On prend et on distribue (investissements publics, prestations sociales, salaires des fonctionnaires, etc., etc.). L’État capte et capture suivant des techniques de plus en plus affinées tout en structurant un discours sur la générosité en installant des miroirs aux alouettes afin d’attirer l’électeur ; car ce qui importe avant tout c’est de gagner les élections puis se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible. L’intérêt du pays passe après l’intérêt personnel – et c’est bien l’une des marques de notre époque. Par ailleurs, reporter indéfiniment la charge du financement est une tentation à laquelle les gouvernements cèdent toujours plus facilement. On cache la poussière sous le tapis par l’endettement public, une technique démagogique. Or la démagogie sous toutes ses formes (et celle-ci est grave) conduit presque toujours et à plus ou moins long terme à de sérieux désagréments – et je fais usage de la litote. A présent, nous grimpons d’un pas décidé vers les cimes du surendettement avec des abîmes à nos pieds.
En France il n’y a plus aucune corrélation entre l’évolution de la dette et l’évolution de la richesse nationale. Le laxisme budgétaire de nos gouvernements a rencontré la pandémie ; autrement dit, un organisme affaibli se trouve encore plus affaibli. Il est pourtant bon d’avoir des réserves vitales au cas où… Or nous n’en avons plus alors que les crises surviennent un rythme accéléré, ce que nous pouvons constater en prenant du recul – par la connaissance historique.
Certains économistes (qui touchent probablement des rentes du pouvoir) nous disent que mesurer l’endettement d’un pays en fonction de son P.I.B. est un mauvais calcul parce que blablabla. Je n’ai rien compris à leur démonstration.
Cet endettement à 120 % (du P.I.B.) est certes sensiblement moins élevé qu’en 1945, mais depuis la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), qui fit suite aux Trente Glorieuses (1945-1974), la croissance de la dette est continue.
La France ayant une croissance molle, autour de 1 %, la dette et l’endettement pèsent lourd, de plus en plus lourd. L’État devrait être particulièrement rigoureux envers lui-même avant de l’être pour les autres, les contribuables. Cette rigueur envers lui-même devrait passer par des réformes structurelles, réformes qui tardent à venir et d’abord parce qu’elles vont à l’encontre de la démagogie, ce sport pratiqué aussi brillamment à droite qu’à gauche, à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche. Le programme économique de Marine Le Pen et celui de Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer qu’eux, sont des frères jumeaux.
Ces frères jumeaux invitent notamment à un impôt sur la fortune, à un prélèvement exceptionnel sur les revenus élevés, des gouttes d’eau pour réduire un incendie qui ne pourra être réduit que par des réformes structurelles, la baisse des dépenses publiques – congédions le keynésianisme ! – et le recentrage de l’État sur ses fonctions régaliennes ; nous payerons alors nos impôts avec plaisir. Avec des prélèvements obligatoires à 46 % et des dépenses publiques à 65 % du P.I.B. (en 2020), il y a urgence à réduire les dépenses.
Les autorités nous rassurent, elles surfent sur la démagogie. Elles nous serinent que les taux bas vont durer longtemps, très longtemps, et peut-être même éternellement… La politique du Quantitative Easing (QE) peut et doit durer et l’inflation éventuellement suscitée par cette politique ne sera que ponctuelle et modérée ; pas question d’hyperinflation. Bonne nuit les petits. Or, s’il est une leçon à retenir de l’histoire c’est que les choses ne cessent de changer et parfois brutalement ; et dans notre monde qui subit une constante accélération (appréciation certes subjective et relative, mais nous nous en contenterons pour l’heure), les crises ne cessent de se rapprocher, des crises en tout genre. On peut supposer que les taux d’intérêt ne continueront pas à flirter avec le 0 % et qu’en conséquence il conviendrait de s’y préparer en commençant par mettre en œuvre des réformes structurelles qui, certes, seront douloureuses et ne seront pas électoralement favorables…
Le monde financier tel qu’il a été organisé est condamné. Sa pratique monétaire et financière n’est possible que dans un monde où la croissance et l’inflation sont nulles ou très faibles. Mais il suffirait que l’inflation se réveille, non pas la bonne petite inflation qui accompagne la croissance économique et la favorise, mais la méchante, la très méchante inflation, pour que les sociétés soient fracassées sous l’effet des pires violences.
Ces taux d’intérêt presque nuls et cet arrosage monétaire ne peuvent se maintenir ; il faut anticiper et réorienter la politique monétaire et financière. Il y a « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas » notait Frédéric Bastiat ; ce qu’on ne voit pas c’est que lorsque les autorités disent que les taux bas justifient des valorisations des actions (on pourrait en revenir aux bulles), elles ne disent rien d’autre que : puisque les obligations ne rapportent presque plus rien voire rien, des arbitrages vont se faire entre actions et obligations et qu’ils dureront jusqu’à ce que les actions elles aussi ne rapportent presque plus rien voire rien. Les épargnants savent à présent qu’ils ne seront plus rémunérés sur les obligations mais ils ne savent pas que ce feu d’artifice boursier sur les actions n’annonce rien de bon et qu’après cette féérie d’explosions colorées…
Le taux d’intérêt à zéro est une première mais l’épargnant s’y est fait ou est en passe de s’y faire. Mais, parallèlement, il se console en se répétant que la hausse des cours des actions est infinie ou presque, et qu’il suffit de bien choisir.
En 1918, l’Allemagne avait environ trente-deux milliards de marks en circulation ; en 1923, elle en avait environ cinq cent trillions soit 500 000 000 000 000 000 000 marks. Un trillion équivaut à un milliard de milliards, soit 1018, soit 1 000 000 000 000 000 000. Il est vrai que la situation n’était pas la même que celle que nous connaissons, que la question n’était pas strictement monétaire, n’était pas qu’une question de chiffres. Il n’empêche, je partage avec les Allemands une même nervosité envers l’inflation et le Quantitative Easing. Je comprends la réticence de l’Allemagne envers la mutualisation de la dette ainsi que celle des Frugal Four (Hollande, Suède, Danemark, Autriche). L’Allemagne s’est laissée entraîner dans une dynamique initiée par Emmanuel Macron. Certes, la France est un partenaire économique de premier ordre pour ce pays, et on ne peut laisser un bon client faire faillite sous peine d’avoir soi-même à faire face à de sérieux problèmes ; mais, quoi qu’il en soit, ce plan nous tire tous vers le bas et que l’on cesse de nous infliger cette solidarité institutionnalisée !
La dette sans limite a-t-elle des limites ? Au point où nous en sommes, la question doit être posée puisque la Banque centrale européenne peut à présent faire de l’argent et dans un même temps en emprunter. Ce faisant n’a-t-elle pas la possibilité de prêter à 0 % au gouvernement central, autorisant ainsi son débiteur à ne jamais rembourser ? La dette peut être considérée comme un actif détenu par la B.C.E. qui ainsi ne sort pas de ses fonctions habituelles de prêteuse. Mais il y a « ce qu’on ne voit pas et ce qu’on ne voit pas » ; et ce qu’on ne voit pas c’est que la monnaie finit par ne plus avoir aucune valeur et que les sommes ainsi prêtées passent de la poche de ceux qui prêtent à la poche de ceux qui empruntent.
Quelle sera l’évolution des taux d’intérêt ? Je sais qu’il est devenu malvenu de poser une telle question, on passe pour un rabat-joie et il faut que la fête continue… Pour ma part, je garde cette question pour moi car je sais que nous arrivons à la fin du grand cycle du crédit. Le coronavirus prolonge ce cycle, un cycle qui se terminera d’autant plus durement qu’il se prolonge. Commençons par nous détourner des obligations d’État.
Olivier Ypsilantis