Il faudra bien remettre à plat le système monétaire mondial. Je ne vois pas d’autre alternative. C’est ce que Marc Touati et Simone Wapler nomment le Great Reset, une expression inspirée de Christine Lagarde, alors présidente du F.M.I.
Comment se finance la politique monétaire ? De trois manières connues de tous : par l’impôt, par l’emprunt, par des taux de crédit qui flirtent avec le taux zéro lorsqu’ils ne passent pas en territoire négatif. Ce qui apparaît moins clairement, c’est que dans ces trois cas, la politique monétaire se fait avec notre argent. Avec les impôts, tous le savent ; avec la dette publique, nous avons tendance à oublier que l’emprunt – la dette publique – est de l’impôt à venir ; avec l’inflation, l’argent nous est pris en différé et sur notre épargne. Simone Wapler rappelle que : « La dette publique et l’inflation font partie de ce qu’il est convenu d’appeler politique monétaire ».
Considérant l’état des lieux, déjà inquiétant avant la pandémie du Covid-19, pandémie qui n’a fait que nous faire découvrir l’état des lieux, le Great Reset ne va pas tarder à être activé. Il en finira avec une partie des dettes, et les perdants seront nombreux et souffriront.
Certes, l’Europe n’est pas en ruine ; c’est pourquoi j’évite de rapprocher la situation d’aujourd’hui et celle d’hier, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, comme j’évite de dire « Nous sommes en guerre (contre le Coronavirus) ! » et autres considérations guerrières qui ne sont maniées que par ceux qui n’ont jamais manié les armes et jamais connu la guerre, comme Emmanuel Macron. Pourtant, il est un point qui nous rapproche de ces années : l’endettement. En 1944, et afin de se porter au-delà des ruines et de l’endettement, les accords de Bretton Woods sont signés et esquissent ce que sera le nouvel ordre monétaire. Les États-Unis en seront le garant car au cours de cette guerre ce pays fut bien la plus grande puissance non seulement militaire mais plus encore commerciale du monde et de très loin, une puissance qui avait commencé à se confirmer au cours de la Première Guerre mondiale.
Suite à ces accords, le dollar reste la seule monnaie du monde convertible en or. C’est le Gold Exchange Standard, une once d’or équivalant à trente-cinq dollars. Il s’agit en priorité d’éviter une crise économique (comme celle de l’entre-deux-guerres) due aux changes flottants (évolution de la monnaie en fonction de l’offre et de la demande), aux dévaluations monétaires et à l’absence d’entente entre les États. Suite à ces accords sont créés le F.M.I. (Fonds monétaire international) et le B.I.R.D. (Banque internationale pour la reconstruction et le développement, aujourd’hui une composante de la Banque mondiale) afin, d’une part, de fournir des liquidités si nécessaire et, ainsi, éviter des dévaluations, d’autre part, de favoriser le développement économique. Sans ce système, nous n’aurions probablement pas connu les Trente Glorieuses en France et l’Europe de l’Ouest aurait durablement traîné dans les ruines et la misère. Le système montrera ses limites, comme nous allons le voir, puisqu’en 1971 et pour des raisons qui nécessiteraient un article à part, Richard Nixon annonce unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or.
Les accords de Bretton Woods, avec le dollar comme seule monnaie convertible en or (les autres monnaies étant flottantes, non adossées à de l’or), font que pour payer leurs importations presque tous les pays n’ont plus besoin de stocks d’or mais de dollars, le dollar étant as good as gold puisque chaque dollar a son équivalent en or. Et, ainsi, des pays émettent leur propre monnaie adossée à leurs stocks de dollars – de l’or. Mais la régulation va se montrer plutôt inefficace et des désordres monétaires vont s’en suivre. L’étalon or (Gold Standard) permettait de réguler les balances commerciales : un pays qui importait plus qu’il n’exportait voyait sa réserve d’or diminuer. On en venait à se méfier de lui et emprunter lui devenait difficile. Le système était simple, efficace, et invitait à une certaine discipline.
Mais les États-Unis devenus une super-puissance sont à l’étroit dans le corset de l’étalon-or. En effet, il leur faut financer des guerres qui engagent des moyens colossaux, comme celle du Vietnam, et des programmes comme la conquête spatiale, autant de dépenses sur fond de Guerre Froide. Le dollar rompt ses amarres et l’étalon-or devient une histoire à raconter au coin du feu. Certains pays s’en inquiètent comme l’Allemagne qui n’a pas oublié le cauchemar de l’hyper-inflation (1921-1924). En conséquence, elle demande à convertir ses dollars en or. Les États-Unis ne peuvent suivre et le 15 août 1971 ferment le guichet de l’or. Sans que la chose soit clairement annoncée, le dollar est dévalué face à l’or.
1976, les accords de la Jamaïque confirment l’abandon de la parité dollar / or. Toutes les monnaies deviennent flottantes, les marchés définissent le taux de change entre monnaies. Pourtant, les matières premières continuent à se négocier en dollar. Les pays exportateurs de pétrole nagent dans les dollars. Les États-Unis se sont installés dans le déficit commercial et budgétaire et exportent leur dette, libellée en dollars.
Ce n’est pas tout. Les taux de change devenant de plus en plus incertains, on élabore des produits financiers de plus en plus complexes, ce qui encourage la spéculation et déconnecte de l’économie réelle (biens ou services échangés). Ces échanges de biens ou de services se font avec de la dette, soit des obligations souveraines (des obligations émises à moyen/long terme par un État dans une devise autre que la sienne et qui prévoit le remboursement à 100% du capital à l’échéance) émises avec un taux d’intérêt donné. Les pays exportateurs amassent de la dette souveraine dans diverses devises, le dollar restant prisé et l’euro venant juste après. Quant aux pays déficitaires, ils promettent de payer un jour, peut-être… Le rapport de la Chine aux États-Unis pourrait parfaitement illustrer cette situation. On se tient mutuellement : si le débiteur tombe, il entraîne aussitôt son créditeur. On va donc d’arrangement en arrangement, on compose, jusqu’à ce que… Or, il faut savoir que la dette n’est rien sinon la volonté du débiteur d’honorer ses dettes. Les dettes sont devenues une fosse abyssale et qui ne cesse de se creuser. Il faudra que la génération suivante se charge de la combler, à moins qu’une éruption volcanique ne s’en charge… La génération suivante ou les générations suivantes… Mais elle(s) pourrai(en)t la refuser. Un héritage peut se refuser même s’il est une dette. J’ai connu nombre de familles en Espagne qui refusaient la maison d’un parent, aussi belle soit-elle, parce qu’elles n’avaient pas les moyens de faire face aux dépenses afférentes à ce bien. Il pourrait donc y avoir défaut de paiement, tôt ou tard.
L’actuelle crise sanitaire est d’abord le révélateur d’une situation dégradée. La France (pour ne citer qu’elle) s’est installée dans le déficit chronique malgré une fiscalité féerique… Et la dette grossit, grossit… Nous avons crié victoire, il y a peu, après mutualisation de la dette. A ce propos, je ne parviens pas à savoir quelles en seront les modalités précises. Je sais simplement que le « Cocorico ! » d’Emmanuel Macron m’a fait honte. On va déverser nos problèmes chez les autres, sous prétexte que nous sommes solidaires, et nous crions au « virage historique » à grands coups de métaphores. C’est grand, c’est beau, c’est généreux la France mais surtout ça fait cocorico à tout propos alors que ça devrait rabattre son caquet. Je ne sais ce que vous éprouvez mais j’ai tout de même vaguement honte devant les Allemands, et je n’hésite pas à leur exprimer cette honte lorsque j’en ai l’occasion.
Olivier Ypsilantis