Que fait l’impôt ? Il enlève soit au producteur, soit au consommateur, une portion plus ou moins considérable du produit destiné, partie à la consommation immédiate, partie à l’épargne, pour l’employer à des fins moins productives ou destructives, et plus rarement à l’épargne. (…) Il est impossible de savoir si le prix fixé par le gouvernement investi du monopole de la fourniture de ses services ne dépasse pas abusivement celui qu’aurait établi la concurrence. (…) Mais il convient de remarquer que l’État possède une clientèle obligatoire, qu’il a beau élever le prix de ses services ou en abaisser la qualité, la nation, sa cliente ne peut les refuser. Si ruineux que soit l’impôt, l’État est amplement pourvu des pouvoirs nécessaires pour la contraindre à payer. Gustave de Molinari
Je me questionne souvent : qu’est-ce que la crise va changer dans notre économie et donc dans nos sociétés ? Et je m’efforce d’envisager la question au niveau mondial, puis européen et pays par pays, en Europe, en commençant par ceux que je fréquente le plus.
Il y a quelques jours, j’ai trouvé un article fort intéressant, loin de tout sensationnalisme, intitulé : « Six leçons du Covid-19 : ce que la crise va changer dans notre économie » de Ludovic Dupin et Béatrice Héraud. J’en ai apprécié le ton mesuré et analytique, et j’ai constaté que nous avions des vues communes. Ces six « leçons » : Des chaînes d’approvisionnement à « démondialiser » / Vers une finance plus humaine / Des entreprises utiles sur le plan social et environnemental / Besoin d’un nouveau pacte social entre entreprises et salariés / Les pétroliers vont devoir changer ou disparaître / Vers une consommation plus durable et plus digitale. Je m’arrêterai sur trois d’entre elles.
Des chaînes d’approvisionnement à « démondialiser ». La relocalisation est une urgence, et dans bien des domaines. Relocalisation européenne, nationale, régionale et même communale. Le manque de masques et autres produits de base pour lutter contre cette pandémie est le déclic qui doit nous faire réfléchir. Depuis quelques décennies la France se désindustrialise, ce que ne fait pas notre grand voisin, l’Allemagne. Un pays ne peut se contenter d’être un pays de services, en particulier une zone de vagabondage touristique, avec un secteur tertiaire hypertrophié et un secteur secondaire atrophié. Pays extraordinairement doté par la nature, la France devrait inciter au retour à la terre (je m’empresse d’ajouter, oubliez ce que cette incitation peut avoir de pétainiste !). Particulièrement puissante en France, la grande distribution devrait s’engager à collaborer avec ces agriculteurs (sans passer par l’État mais à partir de gentlemen’s agreement) qui trop souvent ne peuvent écouler leur production qu’à des prix de misère qui leur permettent dans le meilleur des cas de vivre (difficilement) mais sans avoir de marge bénéficiaire à réinvestir pour développer leur affaire. Imaginez un monde où la grande distribution (moyennant par ailleurs une baisse conséquente de sa fiscalité) permette aux agriculteurs tournés vers les circuits courts et de qualité de vendre leur production en commençant par mettre à leur disposition des espaces de vente intégrés à leurs supermarchés et hypermarchés et en ne prélevant qu’un très faible pourcentage sur leurs ventes, les producteurs fixant eux-mêmes leurs prix. Pourquoi ne pas imaginer que le secteur primaire redevienne un secteur employant entre 10 % et 20 % de la population active des pays les plus développés ? L’agriculture de qualité participe par ailleurs à l’embellissement du paysage, ce dont tout le monde peut profiter gratuitement et ce que les anarcho-capitalistes prennent sérieusement en compte.
Je m’empresse de préciser qu’il ne s’agit pas de démondialiser (je répète que le monde se mondialise depuis que l’homme est passé à la bipédie et que l’étude de notre ADN prouve que nous sommes génétiquement parfaitement mondialisés, y compris les plus « de souche ») mais de relocaliser. Un agriculteur reste par ailleurs en contact avec le monde entier par la digitalisation et les produits qu’il cultive peuvent avoir été importés d’autres continents et adaptés il y a des siècles. Les exemples ne manquent pas à ce sujet. La mondialisation est l’exemple parfait du faux problème. Il ne sert qu’à entretenir d’oiseuses polémiques. Qui a étudié au moins un peu l’Antiquité et même la Préhistoire sait que le monde n’a cessé de se mondialiser. La question est ailleurs et à mal poser le problème…
La relocalisation suppose aussi et d’abord un allègement drastique de la fiscalité du travail et du capital, sous toutes leurs formes, ce qui devrait mécaniquement conduire l’État à maigrir, une urgence.
J’ouvre une parenthèse. La culture du gentlemen’s agreement devrait se développer. Elle est implicitement au cœur de la philosophie et, dirais-je, de l’éthique de l’anarcho-capitalisme. Le gentlemen’s agreement est à sa manière anti-étatique car son fonctionnement se passe de l’État, ce Machin qui s’interpose dans toutes nos relations et échanges et qui parasite les énergies individuelles à son profit presqu’exclusif, ce qui n’apparaît pas vraiment puisqu’il occulte ses opérations de vol derrière l’écran de fumée (smoke screen) de la redistribution.
Vers une finance plus humaine. On peut lire ce qui suit dans l’article de Ludovic Dupin et Béatrice Héraud : « En quelques semaines, les bourses du monde, qui avaient atteint des sommets historiques fin 2019, ont perdu des années de gains. Ces krachs successifs se sont faits en décorrélation totale avec le ralentissement réel de l’économie. Aux États-Unis, des places ont dû activer des coupe-circuits pour fermer durant plusieurs minutes les marchés afin de faire retomber la fièvre. Le fautif : le trading à haute fréquence, dirigé par des batteries de superordinateurs, capables de passer des millions d’ordres à la seconde. Cet épisode a appelé à remettre de l’humain dans une finance qui était engagée depuis plusieurs années dans une grande vague d’automatisation ». C’est ce que j’espère depuis des années : la fin du « trading à haute fréquence, dirigé par des batteries de superordinateurs, capables de passer des millions d’ordres à la seconde », je l’espère pour le bien des entreprises, de ceux qui y travaillent et à tous les niveaux et de ceux qui y investissent et à tous les niveaux. Car la Bourse est une affaire sérieuse, elle engage des capitaux mais aussi – et d’abord – des hommes, du plus modeste employé au plus gros investisseur.
Ce trading à haute fréquence participe au dérèglement des marchés, à la formation toujours plus rapprochée de bulles, un phénomène qu’analyse si justement Marc Touati. On investit en Bourse, on ne joue pas en Bourse ; on joue au PMU, au Loto, au poker et j’en passe. L’actionnaire accompagne une entreprise, en espérant tirer quelque profit de son placement, ne soyons pas hypocrites ; il prend des risques mais en aucun cas il ne joue à un jeu de hasard. Vers une finance plus humaine exige aussi des actionnaires calmes et pourvus d’une bonne culture économique générale, rien à voir avec ces excités qui ressemblent à ce qui suit, avec « les sous-sous dans la popoche » (j’espère ne pas apparaître méprisant) :
https://www.youtube.com/watch?v=p0ATXEeIH6c
Les pétroliers vont devoir changer ou disparaître. Je n’entrerai pas dans la polémique du réchauffement climatique car je manque de connaissances scientifiques sérieuses pour évaluer cette question mais on peut supposer raisonnablement que la disparition progressive des énergies fossiles sera un bien. Reste la polémique nucléaire/énergies renouvelables dans laquelle je n’entrerai pas tout en m’élevant (considérant l’état actuel de la technique) contre le fanatisme anti-nucléaire.
Dans tous les cas, la baisse de la rente du pétrole devrait avoir un effet particulièrement bénéfique, un effet géopolitique massif avec l’effacement du monde arabe, à commencer par l’engeance saoudienne, qatarie & Cie qui par ses capitaux favorise le pire de l’islam. La voie est donc ouverte à d’implacables et silencieux bouleversements géopolitiques, géostratégiques.
Ci-joint, un petit article publié dans le numéro de « Ouest-France » du 7 mai 2020 et intitulé « Germany first » : il est signé Laurent Marchand, éditorialiste de politique étrangère de ce quotidien : « Par un arrêt publié mardi, la cour constitutionnelle allemande vient d’entrer, jambe tendue, dans le très délicat débat sur le financement de la dette des pays européens, au moment où l’épidémie qui vient de frapper l’Europe fait entrevoir un difficile plan de relance. La cour, ce n’est pas une surprise, conteste le rachat d’obligations publiques et somme la Banque centrale européenne de justifier ces rachats initiés par Mario Draghi en 2015. Ce faisant, elle vient d’envoyer un triple signal qui a de quoi inquiéter. Le premier signal vise la Cour européenne de justice, dont elle conteste manifestement la suprématie en la matière ; le deuxième vise la Banque centrale européenne, qu’elle fragilise à un moment crucial ; le troisième est un signal politique à destination des dirigeants allemands, pour qu’ils freinent la tendance à la mutualisation de l’effort. Certes, la cour de Karlsruhe met le doigt sur l’absence de pilotage politique de la zone euro, auquel la BCE ne peut palier éternellement. Mais ces trois signaux renvoient tous à une même lecture : l’intérêt national allemand. N’était-ce pas pour éviter cela que l’euro a été créé ? »
Cet article très franco-français appelle quelques remarques. Tout d’abord « Ouest France » (dont je ne nie pas certains mérites) est richement doté par les pouvoirs publics, il ne peut donc qu’en être le porte-parole. Et j’en reviens au manque de rigueur d’un appareil d’État qui a trouvé goût à l’endettement (sa came) et qui, de ce fait, se délabre comme un junky. L’endettement est à l’État ce que l’héroïne (et autres drogues dures) est au camé. Je ne force pas la note. La France est devenue dépendante de son État qui lui fournit de la came. L’État est un dealer. Simone Wapler dont j’apprécie l’intelligence fait très obligeamment remarquer qu’il ne faut jamais oublier « que la dette publique est de l’impôt en devenir », jamais ! A présent que l’État français a généré des dettes gigantesques, il en appelle à la mutualisation des dettes, une demande qui devient plus insistante avec cette crise sanitaire.
La fin du présent article fait sourire : « Mais ces trois signaux renvoient tous à une même lecture : l’intérêt national allemand. N’était-ce pas pour éviter cela que l’euro a été créé ? » L’auteur semble oublier que l’Union européenne puis l’Euro ont été créés pour encadrer l’Allemagne. Fort bien. Mais que l’Allemagne s’en tire mieux que les autres, en particulier la France, devrait faire réfléchir. Un individu ou un pays sont-ils condamnés à rester confinés dans le cadre qui leur a été assigné ? Que la France réduise sérieusement son déficit public et sa dette sans augmenter indéfiniment la charge fiscale, en commençant par reconsidérer son appareil d’État ! Des discussions sérieuses pourront alors s’engager.
Le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Emmanuel Macron a tenu des propos arrogants sur le Brexit et ses partisans, et je lui en tiens rigueur. Une fois encore j’ai compris que ce président de la République française avait une très faible intelligence des autres peuples, et je me limite à l’Europe. A présent, je souris en observant Messieurs les Anglais qui en pleine pandémie poussent leurs pions et négocient avec les États-Unis de Donald Trump un ambitieux projet de libre-échange. Le quotidien « Le Monde », journal de la mesquinerie et de l’envie, rapporte ce projet en s’efforçant de cacher sa rage – mais on la devine. Je m’amuse et souhaite longue vie à Boris Johnson.
On ne peut vivre indéfiniment à crédit. L’État n’est pas l’économie, ainsi que le disent et le redisent les économistes libéraux depuis des décennies. L’État n’est pas l’économie et ne fait pas l’économie. L’État crée plus de problèmes qu’il n’en résout. L’État-providence n’améliore même pas la situation des plus pauvres, la solidarité forcée n’a jamais rien résolu – ce serait si beau s’il en allait simplement ainsi. Et ne l’oublions pas, l’intervention de l’État a un coût… L’État ne produit rien, il prélève et dépense. L’État est un appareil – l’appareil d’État – qui cherche avant tout à assurer sa propre survie, une survie qui exige des soins toujours plus intensifs et, de ce fait, toujours plus coûteux. En France, il prélève 56 % de la richesse créée dans le pays.
Il faut mettre un terme à l’interventionnisme étatique dans l’économie car non seulement l’État ne connaît rien à l’économie mais, plus grave, il lui est hostile. Il faut casser cette spirale effrayante (je pourrais en revenir à la nouvelle d’Allan Edgard Poe) impôt-emprunt-impôt-emprunt… Pas d’interférences étatiques : tu es libre d’entreprendre et tu es maître de tes succès et de tes échecs. Autrement dit : si tu réussis, je ne viendrai pas réclamer mon dû – car je n’ai aucun dû et ne veux pas me comporter en parasite – et si tu échoues, tu es responsable et je te laisserai à tes échecs.
Car l’économie n’est pas un avatar de l’État. L’économie, c’est chacun de nous, sans exception. Nous produisons, investissons, consommons et de bien des manières. L’économie est la somme de tous ces choix individuels et la société est la somme de ce que nous sommes, tous sans exception. Nous pouvons décider que l’État fasse des choix pour nous, sinon en totalité tout au moins dans une proportion à définir. L’État tel que nous le connaissons n’est probablement pas indispensable. Sa principale raison d’être est de garantir le respect des droits imprescriptibles de l’homme, garantir la propriété privée, garantir le fruit du travail de l’homme plutôt que de l’en priver. La France devrait reconquérir les idées libérales dont elle est en partie à l’origine, reconquérir sa liberté et secouer les chaînes d’un État dont elle est insidieusement devenue otage.
Olivier Ypsilantis