Témoignage essentiel sur la culture arménienne, les photographies prises par Henry F. B. Lynch au cours de deux voyages en 1893 et 1898, en Arménie dite turque puis en Arménie dite russe, restent de précieux documents pour les spécialistes de la conservation du patrimoine arménien. Voir son livre ‟Armenia: Travels and Studies”, London, 1901.
L’éveilleur de conscience Lewis W. Hine photographie les immigrants à Ellis Island puis les enfants-travailleurs employés dans l’agriculture ou l’industrie lourde, des photographies réalisées entre 1908 et 1917 pour le National Child Labor Committee. En 1918, alors que la Grande Guerre touche à sa fin, il se rend en Europe et rapporte des images qui vont permettre à la Croix Rouge d’obtenir enfin l’aide qu’elle réclame. De retour aux États-Unis, il se met à célébrer l’union de l’homme et de la machine avec ‟Men at work”, dans un hymne au travail qui culmine dans le reportage qu’il réalise en 1930-1931 sur la construction de l’Empire State Building.
Overseer supervising a girl (about 13 years old) operating a bobbin-winding machine in the Yazoo City Yarn Mills, Mississippi, photograph by Lewis W. Hine, 1911; in the Library of Congress, Washington, D.C.
Gabriele Basilico le Milanais et ses paysages urbains, une ambiance qui m’évoque celle des peintures de Mario Sironi et, dans une moindre mesure, Giorgio de Chirico. Tous sont de formidables célébrants de l’ambiance.
Le cou est probablement l’une des parties les plus émouvantes du corps humain. Le cou, les voies de la vie… Robert Capa le célèbre dans une photographie d’Ingrid Bergman, prise au cours du tournage de ‟Arch of Triumph” de Lewis Milestone, en 1946. L’actrice a la nuque renversée sur le dossier d’un fauteuil.
‟J’ai la photographie paresseuse, joyeuse et nostalgique à la fois. Paresseuse car je préfère être le témoin que l’organisateur, joyeuse parce que seul le plaisir me motive et nostalgique car je pressens que cela ne « sera plus »”, confie Jeanloup Sieff.
Isabel Muñoz (Barcelone, 1951) et ses amoureuses célébrations du corps humain, célébrations par le mouvement, à commencer par la danse. Sa photographie la plus reproduite : ‟Danza cubana, La Habana Vieja”, avec cette taille de femme prise dans une robe très moulante. Ses photographies de tango et de flamenco exercent une séduction non moindre.
Parmi les photographes les plus drôles, Elliott Erwitt. Je me souviens qu’il disait que faire rire et pleurer en même temps (comme Charlie Chaplin) était le plus beau des exploits et que c’était le but suprême qu’il s’était fixé. Il a plutôt réussi. L’œil farceur d’Elliott Erwitt. Ses clins d’œil et ses chiens qui l’ont rendu célèbre.
Elliott Erwitt, une photographie extraite de ‟Quelle vie de chien”
Je me souviens d’un élégant petit livre à couverture rigide (en toile bleue) avec jaquette, ‟Trois jours avec Joyce”, un recueil de photographies de Gisèle Freund. Premier jour : Eugene Jolas aide James Joyce à corriger ses épreuves. Deuxième jour : James Joyce arrive en taxi devant la librairie d’Adrienne Monnier puis traverse la rue pour se rendre à la librairie Shakespeare & Co de Sylvia Beach. Troisième jour : James Joyce est en compagnie de son fils, Giorgio, de sa femme, Helen, et de son petit-fils, Stephen, dans un jardin de la rue Sheffer, à Paris, où habite le couple. James Joyce souriait peu, très peu. Gisèle Freund dit avoir vu l’auteur de ‟Ulysse” sourire pour la première fois en regardant les dessins de Matisse inspirés de la mythologie grecque et destinés à illustrer son écrit majeur pour une édition de luxe américaine, un écrit que Matisse n’avait pas lu ; mais le titre avait suffi à l’inspirer…
Des photographies de Don McCullin montrent des femmes turques en pleurs devant leurs maris tués par des Grecs, à Chypre, en 1964. Ces photographies surprises dans Paris Match font partie de mes souvenirs d’enfance comme celles prises au Vietnam en 1968. Lorsque j’ai visité la Cité impériale de Hué, certaines de ces photographies se sont imposées à moi avec une telle force que j’ai été pris d’un léger vertige : comment établir une quelconque relation entre ces souvenirs en noir et blanc d’une extrême violence et cette ville endormie dans les brumes tièdes et humides ? Je dus fixer mon regard sur des impacts de balles et de shrapnels sur un muret en briques pour mettre en relation ces deux temps.
Don McCullin, ‟Wounded Marine – Vietnam 1968”
Dans la nécrologie de ‟El Mundo”, du 19 mars 2013, j’apprends la mort de Jaime Pato Martín, né en 1922 à Madrid, un grand reporter-photographe aujourd’hui bien oublié. Le public d’un certain âge devrait pourtant se souvenir de la plus reproduite de ses photographies : Franco et Eisenhower se saluant chaleureusement dans l’aéroport de Torrejón où le président américain vient d’atterrir ce 21 décembre 1959. Autre grand reporter-photographe espagnol mort cette année, Enrique Meneses, né en 1929 à Madrid, qui a notamment couvert pour Paris Match l’expédition de Suez et la révolution cubaine.
Roman Vishniac, l’immense mémoire juive d’Europe centrale et orientale des années 1930. Je recommande au lecteur le recueil de photographies intitulé ‟A Vanished World”, publié en 1983 et préfacé par Elie Wiesel. C’est en explorant l’œuvre de Roman Vishniac que j’ai découvert l’œuvre de Jeffrey (Jeff) Gusky, plus particulièrement par les photographies d’une exposition au Detroit Institute of Arts, du 15 avril au 12 juillet 2009, placée sous le titre ‟Of Life and Loss: The Polish Potographs of Roman Vishniac and Jeffrey Gusky” :
J’ai découvert l’œuvre de Marianne Breslauer (1909-2001) au cours d’un séjour berlinois. L’une de ses photographies m’était familière mais je ne m’étais pas préoccupé d’en connaître l’auteur : ‟Djemilia à Jérusalem”. J’associais cette jeune femme brunie par le soleil méditerranéen à une déesse du stade. Je me suis dit, un peu distraitement, qu’elle avait peut-être été photographiée par Leni Riefenstahl. Marianne Breslauer aimait les femmes et elle les a célébrées. On notera dans son œuvre la présence récurrente d’Annemarie Schwarzenbach, morte à l’âge de trente-quatre ans.
Olivier Ypsilantis