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Petit recueil de rêves, de rêveries et de souvenirs au féminin – 7/12

 

En Header, “Maddalena Giacente” d’Antonio Canova

 

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Promenade dans Dublin. Harcourt Street, Saint Stephen’ Green, Merrion Square, O’Connell Street… L’averse n’a pas éteint le feu de la chevelure de la belle vendeuse de bicyclettes.

Ici les femmes ne craignent pas l’averse et vont presque toujours tête nue. L’une d’elles passe, la chevelure alourdie par l’averse et que l’éclaircie séchera bientôt.

Sur la Liffey, la fine structure métallique de la passerelle rongée par le contre-jour. Il y a foule. On retire de l’eau le corps d’une femme. Crime ? Suicide ? Accident ? Les questions vont bon train. Un corps mince et pâle, presque lunaire, une chevelure foisonnante et ardente. « Ophelia » de John Everett Millais s’impose à moi dans tous ses détails.

 

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Rendez-vous avec Valérie dans un café de la rue Gay-Lussac. Perspective bleutée par l’averse. Nous devisons dans un renfoncement de moleskine, de bakélite et de baguettes chromées. Elle est vêtue d’une robe-fourreau noire Montgolfière 100% polyester. Son cou gracieux, gracile. Elle a ramené ses cheveux en un petit chignon bien serré dans le creux de la nuque. Les évolutions dansées de ses mains aux ongles nacrés sur le faux marbre de la table.

Valérie, comme j’aimerais montrer dans ta nacelle !

 

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Rêve dans la nuit du 3 au 4 mai 1984. La plus grande portait un sarouel en polyester froissé, élastiqué à la taille, un petit blouson zippé en skaï métal à coutures surjetées, des sandales à lanières argentées. Sous le blouson entrouvert, j’ai pu entrevoir un soutien-gorge brassière en lycra métallisé. L’autre femme portait une veste-chemise en polyester froissé, zippée devant sur un caleçon brillant en polyester et lycra côtelé. Elle était pieds nus.

Elles m’apparurent dans une transparence argentée, dans un camaïeu de gris, et elles disparurent dans un froissement d’écume, dans une brillance saline. Il m’est difficile de vous en faire un portrait-robot. La plus grande ressemblait vaguement à Yasmeen Ghauri, la top-model canadienne d’origine pakistano-allemande. L’autre ressemblait à s’y méprendre à l’une de mes cousines. J’ai surpris leur parfum : Dune de Christian Dior.

Quelques jours plus tard, à l’endroit de la baie d’Audierne où je les vis disparaître, l’océan rejeta une mule en satin rouge et chevreau doré à pompon marabout, un body rouge en dentelle de Calais et lycra ainsi qu’une veste-chemise en polyester froissé que la police prit d’abord pour de l’écume. La veste-chemise en polyester froissé, soit ; le body rouge en dentelle de Calais et lycra, pourquoi pas ? Mais d’où venait la mule en satin rouge et chevreau doré à pompon marabout ?

 

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Lorsque j’entendis pour la première fois le mot « blanc-seing », dans une étude notariale, je me vis entraîné dans le gynécée.

 

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Travaux rue Saint-Denis. Bottés de caoutchouc, ils refont la chaussée ; bottées de cuir, elles font le trottoir.

 

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Julien Green note que Paris a la forme d’un cerveau humain traversé par la Seine qui représente ce que nous portons en nous d’instinctif et d’inexprimé. Il me plaît de décliner Paris au féminin. Penché sur un plan, je cherche son sexe et le trouve aussitôt : le square du Vert-Galant, ce triangle entre les jambes de la Seine.

Le square du Vert-Galant… J’y ai échangé mes premiers baisers, sous le regard bienveillant du roi Henri IV.

 

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1989. Je fête le Bicentenaire de la Révolution française à ma manière, soit un début de guillotinage à l’envers: je dois subir une thyroïdectomie. Bronzé, après une semaine de plage, je suis allongé sur mon lit d’hôpital, en maillot de bain style bermuda où s’entrelace une végétation tropicale. L’uniforme blanc de l’infirmière fait ressortir son teint des Caraïbes.

Réveil. Corps moite, draps blancs rejetés, une perfusion, des drains et un gros pansement au cou. Tout en considérant ce qui m’entoure, un peu perdu, me vient l’air de « La ballade de Jim » d’Alain Souchon et je me mets à en fredonner les derniers vers : « Jimmy s’éveille dans l’air idéal / Le paradis clair d’une chambre d’hôpital / L’infirmière est un ange et ses yeux sont verts… » La Belle Antillaise qui m’a entendu me sourit et me lance : « Je suis peut-être un ange mais je n’ai pas les yeux verts… »

 

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Deux rêves dans la nuit du 7 au 8 septembre 1990 – mais il pourrait s’agir de deux séquences d’un même rêve :

Premier rêve (ou première séquence du même rêve). Je suis assis devant une femme masquée. Anxieux, je me décide à rompre le silence et lui lance sans vraiment y penser et sur un ton quelque peu théâtral : « Si l’amour pouvait me saisir de ses griffes et ne plus me lâcher ! » Après un silence, la femme me répond en prenant soin de détacher chaque mot : « Et pourquoi pas te saisir de mes crocs ? C’est d’ailleurs ce que je vais faire après avoir enlevé mon masque… »

Deuxième rêve (ou deuxième séquence du même rêve). Un filet de sang sur les marches d’un perron qu’une femme gravit. Lumineuse comme un marbre d’Antonio Canova, elle est vêtue d’une robe à traîne qui essuie le sang. Des nains (il me semble qu’ils sont plus de sept) se précipitent et soulèvent délicatement la traîne. Leur initiative est saluée par une camarilla, des acteurs de la commedia dell’arte et les membres d’un gouvernement fantoche. Je demande à un passant si cette femme est Blanche-Neige. Il me répond tout en haussant les épaules que je ferais mieux d’aller me coucher.

 

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Souvenir de Bretagne. Nous sommes allongés sur la plus haute tour d’un château que l’océan achève de démanteler. Dans mes cils brillent des cristaux de sel. Les yeux mi-clos, je distingue le halo blond de sa chevelure, halo rehaussé de mèches comme gravées au burin. Des parfums marins venus d’anfractuosités me font dilater les narines. Sur le chemin de ronde, une grosse vacancière bougonne : « Régime sans sel, régime sans sel… Tu parles… J’ai bu la tasse au moins trois fois aujourd’hui. »

Pensé à elle avec une précision inhabituelle. Pourquoi m’entêter à écrire ? Ma foi dans les mots est-elle à ce point assurée et, surtout, justifiée ? Ne me faudrait-il pas attaquer cette foi ? Il me semble que les mots ne cessent de s’interposer entre elle et moi.

Lorsque je pense à elle, je me vois comme un voilier par vent arrière, porté par des oscillations douces qui ne contrarient pas la courbe du spinnaker dans lequel filtre le crépuscule – ou l’aurore.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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