En header, mine de plomb d’Olivier Ypsilantis réalisée au cours des années 1980, à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris.
En souvenir de six merveilleuses années d’études, je mets en lien ce reportage sur L’École des Beaux-Arts (E.N.S.B.A.), signé Catherine Adda et intitulé « L’École des Beaux-Arts de Paris – Une histoire en abyme » (durée env. 26mn) :
https://www.youtube.com/watch?v=B8SqHAendRM
Pour les curieux, les bustes qui flanquent l’entré principale (côté rue Bonaparte) sont (à gauche en entrant) celle de Pierre Puget le sculpteur et (à droite en entrant) celle de Nicolas Poussin le peintre.
Olivier Ypsilantis, « Une sainte pas si sainte… » (Mine de plomb)
Les ateliers d’artistes et leur encombrement me mettent volontiers mal à l’aise : tant de matériaux et de matériel (par ailleurs fort coûteux) pour produire le plus souvent pas grand chose, trois fois rien… Par ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue que tout homme, et pour des raisons extraordinairement diverses, peut être appelé à déménager ; en conséquence, évitons radicalement l’encombrement. A ce propos j’ai souvent pensé, et pense encore, que si j’avais été musicien j’aurais été violoniste et en aucun cas pianiste ; et d’abord parce qu’un violon s’emporte sous le bras tandis qu’un piano nécessite un camion et une équipe spécialisée ; et je ne pense qu’au piano droit…
Le dessin n’exige presque rien, il n’exige pas plus que l’écriture. Il peut se faire dans le voyage, dans des carnets. C’est aussi pourquoi je le préfère à la peinture. Bien sûr, cette raison ne suffit pas à expliquer une telle préférence ; il n’empêche qu’elle compte suffisamment pour que j’en rende compte.
Le dessin me fascine depuis l’enfance. Je préfère avoir entre les mains une pointe de graphite qu’un bâton terminé par des poils qu’on enduit de mixtures diverses. Je force la note, mais pas tant. Pourquoi la peinture chinoise m’attire-t-elle tant, et depuis l’enfance ? D’abord parce que les peintres chinois sont des célébrants absolus de l’ambiance mais aussi parce que les moyens qu’ils mettent en œuvre ne sont pas plus imposants que ceux du dessin : un peu d’encre de Chine diversement dilué (lavis) appliqué sur un support particulièrement léger à l’aide de pinceaux légers qui n’exigent qu’un peu d’eau pour être nettoyés. La peinture chinoise est dessin, n’est que dessin.
Chez nombre de peintres (et je n’hésite pas à évoquer les plus grands), la peinture me semble en trop — par rapport au dessin ; et je pense en particulier à Léonard de Vinci, à ses dessins beaux entre tous. A ce sujet, je pourrais évoquer nombre d’artistes de la Renaissance italienne.
Olivier Ypsilantis, « Clair de lune » (Mine de plomb)
Le dessin, c’est l’intention première. Le dessin, c’est l’intention non voilée. On ne peut tricher avec le dessin, et encore moins avec la gravure qui une confirmation du dessin.
Il y a aussi que le dessin est plus proche du livre que ne l’est n’importe quelle autre forme d’art visuel — à l’exception de la gravure qui est dessin, confirmation du dessin.
Le dessin, la gravure (en taille-douce), la lithographie et la linogravure (il n’est question ici que des formes d’expression graphique que je pratique) sont d’abord le rapport d’un outil à un support. Dans mon cas, avec le dessin : crayons et papiers ; avec la gravure (en taille-douce) : pointes-sèches et plaques d’acier (soit de la taille directe puisque je ne fais pas appel aux acides) ; avec la lithographie : craies lithographiques et pierres lithographiques, avec la linogravure (de la taille d’épargne) : gouges et linoléum. Pour l’impression en taille-douce et lithographie, l’Arche et le Rives constituent une base mais la gamme des papiers est large, très large. Pour la linogravure, j’utilise soit des papiers japonais ou chinois (étudiant, j’ai acheté le stock d’un libraire chinois qui m’a vendu pour une somme dérisoire de merveilleux papiers fait à la main et légèrement colorés au thé) soit des papiers d’emballage, comme du papier kraft aux tonalités brunes et souvent délicatement filigrané. A Athènes, je me revois courir chez des fournisseurs en papier d’emballage du marché central et autres commerces. Certains de ces papiers proposaient des tonalités d’un rouge pompéien ; ils me séduisaient car j’y imprimais des compositions inspirées de peintures grecques sur vases ou de fresques étrusques.
Olivier Ypsilantis, « The Tempest » (Mine de plomb)
Le dessin tel que je le pratique est volontiers de type couvrant, comme l’est celui de Seurat. Il s’agit pour ma part de suggérer des atmosphères, des ambiances. Ambiance, un mot auquel je ne cesse de revenir, comme ne cesse d’y revenir Giorgio de Chirico, l’un des célébrants les plus déterminés de l’ambiance — die Stimmung. Ce type de dessin fait ressortir le grain et le filigrane du papier par caresses de l’outil sur le support. Parmi les outils du dessin (et je n’entrerai pas dans les détails par peur de donner à ce texte une extension qui fatiguera ceux qui ne dessinent pas), j’aime particulièrement la gamme L. & C. Hardtmuth de Bohemia Works (Made in Czechoslovakia). Les crayons Conté à Paris sont eux aussi magnifiques. Ce rapport de l’outil au support détermine en dessin toute une sensualité. Thèmes favoris : le paysage et le portrait, le portrait surtout, des portraits de femmes généralement inspirés d’ambiances littéraires mais aussi de photographies parmi lesquelles celles de Julia Margaret Cameron et Jeanloup Sieff.
Je n’ai pratiqué la lithographie que dans l’atelier de l’École (des Beaux-Arts), un bel atelier situé au rez-de-chaussée du Palais des Études (de Félix Duban) et dirigé par Abraham Hadad, un Juif irakien passé par l’École des Beaux-Arts de Tel Aviv, un atelier extraordinairement cosmopolite où il n’était jamais question de religion et de politique mais d’art et rien que d’art. Ainsi Irakiens et Iraniens travaillaient-ils côte-à-côte alors que leurs pays étaient en guerre l’un contre l’autre. A la sensualité du dessin sur pierre (lithographique) s’ajoutait le parfum de la gomme arabique, l’eau et le sable pour le grenage des pierres, bref, une ambiance à nulle autre pareille. J’ai pratiqué cet art comme j’ai pratiqué le dessin : je caressais la pierre comme je caressais le papier. S’en suivait une procédure d’impression complexe et, je dois le dire, hasardeuse. Je me souviens du parfum des craies (lithographiques) Charbonnel que j’achetais quai de Montebello, devant la cathédrale Notre-Dame. Malheureusement, de nombreux déménagements et le refus de tout encombrement m’ont empêché de pratiquer cet art avec plus d’assiduité.
Olivier Ypsilantis, « Jeune andalouse des environs d’Almería » (Charcoal Pencil)
La taille directe (la pointe-sèche dans mon cas) exigeait en soi peu de matériel, ce qui me convenait ; mais après avoir travaillé la plaque, il me fallait passer à l’impression. L’atelier de gravure de l’École disposait entre autres presses taille-douce d’une magnifique Ledeuil, la Rolls-Royce du genre. Une fois encore, de nombreux déménagements et le refus de tout encombrement m’amenèrent à abandonner cette technique. Certes, la taille directe m’éloignait des complications de l’eau-forte (taille indirecte), de la salle des acides ; mais il fallait tout de même que j’en vienne à l’impression, à la presse, une mécanique de plusieurs centaines de kilogrammes. J’ai consigné à la pointe-sèche des souvenirs, des ambiances, des ambiances Europe centrale et orientale, alors de l’autre côté du Rideau de fer, un monde en noir et blanc, un monde de gris. Installé dans l’Hôtel de Chimay (quai Malaquais), l’atelier de gravure (en taille-douce) donnait sur la Seine, devant le Louvre. J’avais donc tout loisir de consigner des études de ciel dans le métal tout en me souvenant de voyages à l’Est et au Nord de l’Europe, mes destinations favorites au cours de mes années d’études. Et je le redis, les artistes qui me sont les plus intimes sont ceux qui ont observé les états du ciel, Anglais et Hollandais mais aussi Français parmi lesquels Boudin et Lépine — ce peintre des quais de la Seine — Daubigny et Claude Lorrain.
De toutes ces techniques de l’estampe, je ne pratique plus que la taille d’épargne, la linogravure (et à l’occasion la xylographie) qui autorise le tirage à la main, au baren, suivant la technique japonaise. Pas besoin de presse et tout le matériel tient dans une mallette. L’atelier peut sans peine trouver place sur un coin de table ; et l’impression elle-même n’exige que peu de matériel vite rangé. Parmi les thèmes explorés, le paysage et le portrait mais aussi des séries : bestiaires (poissons et oiseaux de préférence), architectures (comme cette suite de maisons créoles travaillées à l’île Maurice et à La Réunion), compositions élaborées à partir d’un antique répertoire (Étrurie, Égypte, Crète…). Après une longue interruption, cet été, dans une île de l’Atlantique, j’ai travaillé à des séries de dessins, autant de projets pour linogravures : oiseaux et poissons, mais aussi compositions inspirées des symboles primordiaux du judaïsme. Il ne me reste qu’à les interpréter et les imprimer. J’ai dégoté un beau papier kraft brun clair, léger et très finement filigrané, dans une librairie du Bairro Alto, à Lisboa. En Espagne, j’ai dégoté un épais papier gris clair dont on se sert pour faire des cornets à churros et qui pourrait également servir mes travaux d’impression.
Ci-joint, une suite de trois de mes linogravures :
« Six cases de l’île de La Réunion » (février 1993)
« L’amie allemande » (Hamburg, hiver 1983)
« Deux oiseaux dans une flore lacustre » (décembre 1991)
Olivier Ypsilantis