L’excès rend les scènes incroyables au sens premier du mot, soit non-croyables, irréelles. Voir « Les onze mille verges » de Guillaume Apollinaire ou les BD de Georges Pichard : « Blanche Épiphanie », « Paulette », etc.
Entre le Christ de Matthias Grünewald (retable d’Issenheim) et « Der rote Christus » de Louis Corinth, l’effroi et rien que l’effroi. Et à quoi mène l’effroi ?
Ma tendresse pour Gerrit Dou, surtout lorsqu’il commence à se distancier de son maître Rembrandt. Ses portraits placés dans des niches.
Anselm Feuerbach, un grand peintre. Et que j’aime son modèle, Nanna Risi, en tant que peinture mais aussi en tant que femme, tout simplement !
Un portrait de Nanna de 1861 par Anselm Feuerbach
Gestuelle de la touche de Frans Hals, gestuelle virevoltante ; et, de ce fait, modernité de Frans Hals.
Une fois encore, j’ai emprunté le chemin de Middelharnis (voir la composition de Meyndert Hobbema, de 1689). Je l’emprunte toujours avec un même plaisir ou, plutôt, avec un plaisir toujours augmenté.
Souvenir d’une conversation avec Pierre Courtin, dans son atelier de l’E.N.S.B.A., à propos d’Andrea Mantegna pour lequel ce très grand connaisseur de la peinture de la Renaissance italienne avait une admiration aussi discrète que radicale. « Une peinture implacable » me disait-il, implacable par le dessin qui fait de cette peinture une peinture sculptée avec, par ailleurs, des couleurs minérales.
Il m’est arrivé (et il m’arrive encore) de faire des cauchemars ; ce sont des variations à partir de compositions de John Martin, à commencer par « The Great Day of His Wrath » visible à la Tate Gallery.
Que de reproductions n’ai-je feuilletées, enfant, dans mes livres scolaires, sans compter celles, nombreuses, que j’emportais avec moi pour les détailler pendant les cours au risque de me faire surprendre ! Ainsi, par exemple, ne puis-je voir « La barricade » d’Ernest Meissonnier ou certaines compositions d’Alphonse de Neuville sans revivre ces moments d’écolier.
Combien de martyres de Saint Sébastien ? Combien ? La représentation la plus élaborée de ce martyre est à ma connaissance celle que propose Antonio Pollaiuolo – elle est digne des extravagances de Georges Pichard.
Je n’ai toujours pas réussi à analyser d’une manière convaincante la fascination (le mot n’est par trop fort) que Mark Rothko exerce sur moi. Mon questionnement toujours actif à ce sujet n’augmenterait-il pas cette fascination ?
L’immense saveur des compositions d’Alberto Burri, saveur des tonalités autant que des matériaux.
Les scènes aériennes de Tullio Crali (1910-2000), un passionné d’aviation, pilote à partir de 1928, un peintre futuriste, principal représentant de l’Aeropittura. Son extraordinaire huile sur toile de 1939 : « Incuneandosi nell’abitato ».
La sublime délicatesse apportée par le peintre écossais Allan Ramsay au portrait de sa seconde épouse, Margaret Lindsay. Les rapports atténués de tonalités (notamment les vieux roses qui tendent vers les vieux mauves). Le graphisme délicat et détaillé de la dentelle posée sur ses épaules, dentelle qui aux bras se fait écumeuse. Les rapports du plus infime élément avec le tout et inversement, une merveille. Son plaisir à peindre les parures féminines : dentelles, texture des étoffes, fleurs, rubans, etc. Les arrière-plans minimalistes destinés à mettre en valeur la richesse des modèles et leurs parures.
Pertinence du photocollage, principalement dans sa fonction dénonciatrice, politique. Voir John Heartfield.
De l’influence de la photographie sur certaines œuvres de Georgia O’Keeffe, une influence que pourrait en partie expliquer son mariage avec Alfred Stieglitz. Ses floraisons sexuelles.
Et toujours, « Spiral Jetty » de Robert Smithson. Une rêverie récurrente.
Certaines huiles sur toile de Joaquín Torres-García pourraient faire l’objet d’interprétations en gravure sur bois ou linogravure. M’y essayer pour une prochaine exposition.
Quelques-uns des nombreux jouets conçus par Joaquín Torres-García
Oskar Schlemmer, le monumentalisme de ses compositions, principalement celles des années 1930, la période Bauhaus. On les imagine sans peine formidablement agrandies de manière à couvrir des pignons de plusieurs centaines de mètres carrés, par exemple.
Les peintures narratives (littéraires) de petit format de Carl Spitzweg et de Moritz von Schwind. Ces moments passés à lire certaines de leurs peintures, dans des musées et, plus encore, dans des livres d’art.
Étudier l’influence de Ford Madox Brown (1821-1893) sur Dante Gabriel Rossetti et, plus généralement, sur les Préraphaélites de la Pre-Raphaelite Brotherhood (P.R.B.), un mouvement qui finira par s’imposer en grande partie grâce à l’énergie de John Ruskin.
Une spécificité anglaise, le portrait en miniature qui tomba en décadence entre la disparition de la supériorité britannique dans l’art d’enluminer les manuscrits et l’arrivée de Holbein à la cour de Henry VIII, Holbein qui relança une tradition bien anémiée voire moribonde, une tradition qui perdurera jusqu’à l’arrivée de la photographie. Son principal disciple, Nicholas Hilliard qui eut deux successeurs directs, Isaac Oliver (ou Olivier) et son fils Peter. Voir l’admirable miniature en pied (assez rare dans la miniature anglaise qui s’en tient généralement au buste) de Richard Sackville, comte de Dorset par Isaac Oliver.
Dans sa présentation de l’art en Grande-Bretagne et en Irlande, Sir Walter Armstrong (qui fut directeur de la National Gallery of Ireland) écrit : « La gravure est, en effet, une sorte de critique ; sa perfection dépend d’une disposition d’esprit, comparable à celle qui permettrait à un homme de lettres d’étudier une pièce de Shakespeare mot par mot, syllabe par syllabe, lettre par lettre ». Voilà qui est bien dit. La gravure suppose une disposition d’esprit qui la rapproche de l’écriture plus que de toute autre forme d’expression, sans oublier que par ses modalités (notamment le support papier) elle se rapproche du livre et tend à s’y intégrer.
John James Audubon, disciple de David. Afin de ne pas être enrôlé dans les armées de Napoléon, il part pour les États-Unis où il élabore un livre monumental sur les oiseaux de ce pays, une référence pour l’ornithologie. Puis il entreprend dans le même esprit un livre sur les quadrupèdes ovipares que ses fils poursuivront, le père étant devenu aveugle. Souvenir d’enfance : je m’applique à reproduire l’un de ses oiseaux, un héron.
L’extraordinaire gestuelle de Giovanni Boldini, des visages sagement peints avec, en contraste, une touche volontiers virevoltante – folle même – dans les vêtements et les décors. Pensons à « Mademoiselle Lanthelme » ou à « La marquise Luisa Casati ».
« La signora in rosa » (1916) de Giovanni Boldini
(à suivre)
Olivier Ypsilantis