En parcourant ma bibliothèque, j’ai retrouvé des notes de lecture griffonnées sur des bouts de papier disséminés dans le livre de Maurice-Ruben Hayoun, ‟Le judaïsme moderne”. Alors que je le compulsais, une facture en est tombée, la facture de la librairie M. Pollak, la plus ancienne librairie d’Israël, established in 1899 et située sur King George Street, au 36. Je me suis donc revu dans cette librairie, entre alignements et empilements, puis assis de l’autre côté de la rue sur un banc de Meir Garden, le jardin le plus central du vieux Tel Aviv, ouvert en 1944 avant même la création de l’État d’Israël, un jardin qui doit son nom au premier maire de Tel Aviv, Meir Dizengoff. Là, tout en observant les passants et les arbres, j’ai commencé à griffonner les notes qui suivent. Je les publie dans l’espoir de piquer la curiosité de quelques lecteurs.
Un mot encore. J’ai aimé les vieilles librairies de Tel Aviv. J’y ai passé des heures et des heures. L’hébreu y est bien sûr représenté, ainsi que la plupart des langues européennes. Une fois encore, j’ai compris que la sympathie qui me lie au peuple juif tient aussi à son attachement aux livres. J’en suis même venu à me dire qu’un Juif qui ne lit pas n’est pas vraiment un Juif.
J’ai fouillé dans des librairies à la lumière rare tandis qu’il pleuvait sur Tel Aviv — des averses dignes de l’Irlande, inhabituelles m’a-t-on dit. J’ai aimé l’ambiance de ces heures et ce petit livre de Maurice-Ruben Hayoun m’y fait revenir, avec ces notes de lecture prises pour l’essentiel dans un appartement de la Dizengoff Street dont le balcon donnait sur la devanture d’un bouquiniste chez lequel j’aurais volontiers acheté ‟The Babylonian Talmud” (dix volumes) si je n’avais dû surveiller le poids de mes bagages. Mais j’en viens aux notes. J’en ai conservé le style parfois télégraphique.
David Friedländer (1750-1834). Portrait de Julius Hübner, 1834.
Étudier Joseph Ephraïm Karo (1488-1572), un rabbin à la fois halakhiste (spécialiste de la règle normative) et kabbaliste (attentif aux révélations d’un maggid), un rabbin qui prenait appui sur les deux piliers de la tradition biblico-talmudique : la halakha et la haggadah (corpus de récits à caractère symbolique ou métaphorique destiné à l’édification du peuple).
De l’influence de la pensée kabbalistique sur la religiosité juive au XVIe siècle, une influence qui empiétait sur l’idéal strictement philosophique de Maïmonide, pour ne citer que lui, un idéal qui faisait dépendre la vie future de l’excellence intellectuelle et de l’ascèse qu’elle supposait. Voir Moshé Cordovéro (1522-1570).
La réponse des kabbalistes lourianites (voir Isaac Louria, de Safed) à la creatio ex nihilo : 1. Le repli de Dieu sur lui-même (et non l’habituel processio Dei ad extra). 2. Le bris des vases. Œuvrer au retour des parcelles de lumière (du bien) qui n’ont pu entrer dans les vases et qui ainsi se retrouvent exilées dans les ténèbres (le mal). 3. Le tikkoun ou la restauration de l’harmonie cosmique, un devoir pour le Juif observant suite au bris des vases, le Juif observant qui devient alors un aide de Dieu. Dans ce schéma mystique transparaît le contexte historique d’alors : l’expulsion (de la péninsule ibérique) et la dispersion qui, selon Isaac Louria, seraient un équivalent en miniature d’un drame cosmique.
Lire de David S. Katz, ‟Philo-semitism and the readmission of the jews to England (1603-1655)”. Parmi les judaizers, John Traske (voir Traskites). Le cas d’Uriel da Costa. (Lui consacrer un article sur zakhor-online.com). Sa vie fut une tragédie. Il ne cessa de se débattre entre christianisme et judaïsme avec une fureur croissante et mit fin à ses jours. Le cas d’Isaac Fernando Cardoso fut plus heureux. Lire ‟Las Excellencias de los Hebreos”. Étudier la vie de son frère, Abraham Miguel (Michaël) Cardoso, l’un des théologiens du sabbataïsme. On peut dire sans forcer la note que le sabbataïsme fut ‟le danger le plus grave qui ait jamais menacé le judaïsme de l’intérieur.” Nathan de Gaza que Gershom Sholem désigne comme le Paul et le Jean-Baptiste du mouvement sabbataïste. Lire ‟Sabbataï Tsevi : le Messie mystique 1626-1676” de Gershom Scholem. Il me faudra approfondir cette remarque : ‟C’est Hayyim Vital, le propagateur de la kabbale lourianique de Safed, qui fournira (bien involontairement) au faux prophète Nathan de Gaza sa doctrine de l’âme du Messie, etc.” L’anti-sabbataïste par excellence, Jacob Emden dont Maurice-Ruben Hayoun se moque gentiment, à l’occasion. L’un des plus grands mérites de Jacob Emden : avoir démontré que le Zohar était du XIIIe siècle, et non du IIe siècle. Ci-joint, un article publié sur zakhor-online.com :
http://zakhor-online.com/?tag=rabbi-jacob-emden
Le pari de Moïse Mendelssohn. La dichotomie qu’il opère entre l’art et la morale, entre l’esthétique et la vérité. L’influence de Mendelssohn sur Kant. Les manœuvres de Johann Kaspar Lavater l’enthousiaste (Schwärmer) afin d’amener Moïse Mendelssohn à la conversion.
Très juste remarque : la religion d’Israël est dépourvue de dogme. Elle porte en elle (comme toute autre religion) un culte intérieur et un culte extérieur, ce dernier ne prescrivant rien d’autre que les préceptes de la religion naturelle.
Le plan de Rochus Friedrich Graf von Lynar, destiné à faire revivre un État juif. Voir le lien suivant (I – ‟Polemical Writings” / 5 – ‟Letter « to a Man of Rank »”) :
http://www.brandeis.edu/now/2012/august/mendelssohn.pdf
Le judaïsme n’est pas une religion révélée mais une législation divine révélée. Les vérités éternelles (ewige Wahrheiten) ne sauraient faire partie d’une révélation. Les Juifs sont tenus d’accomplir les lois révélées mais ce corps de lois ne contient pas les vérités éternelles dont semble dépendre le salut de l’homme. Le judaïsme ne connaît pas de révélation au sens où l’entendent les Chrétiens. Le Juif se voit prescrire des lois, des préceptes et des commandements et non ‟des doctrines, des vérités salvifiques ou des axiomes raisonnables éternels.”
La pensée de Moïse Mendelsohnn est pétrie de nuance et de modération. Ainsi faut-il se garder d’en faire un fanatique de l’assimilation. Il fut partisan d’une rénovation (et non d’une réforme) pour un judaïsme authentique (das wahre Judentum). Parmi les disciples de Moïse Mendelssohn, Naphtali Herz Wessely, un maïmonidien à sa façon puisqu’il préconisait l’éducation ‟profane” comme préalable à l’éducation religieuse, l’apprentissage de la physique avant celui de la métaphysique.
Me procurer l’autobiographie de Salomon Maïmon, ‟Histoire de ma vie”, l’édition établie par Maurice-Ruben Hayoun. Salomon Maïmon et son attitude nuancée envers le Talmud dont l’enseignement stimule l’activité intellectuelle mais qui est trop souvent accaparé à des fins personnelles par les talmudistes. Ci-joint, un article publié sur zakhor-online.com :
http://zakhor-online.com/?p=4077
David Friedländer. Voir ‟Sendschreiben jüdisher Hausväter” au pasteur Teller, de Berlin, en 1799. Ce qu’écrit Friedrich Schleiermacher, dans ‟Briefe über das Sendschreiben”, en réponse à cet opuscule peut-être provocateur. David Friedländer n’aurait-il pas eu en tête de dénoncer l’air de rien les insuffisances de la doctrine chrétienne ? ‟Que proposait David Friedländer ? Rien moins qu’une conversion en masse des Juifs sous réserve que l’Église abandonne ses dogmes les plus irrationnels. La démarche de l’Aufklärer juif était animée d’une certaine cohérence interne : puisque le judaïsme avait été déclaré, par Moïse Mendelssohn, religion de la raison, les Juifs ne pouvaient se convertir à un credo qui ne serait pas rationnel. Il fallait pour cela que le christianisme renonçât à l’immaculée conception, au mystère de la trinité et à la divinité de Jésus”, écrit Maurice-Ruben Hayoun.
Les résistances à la Haskala. Étudier Israël ben Eliezer (le Baal Shem Tob), le Gaon de Vilna et Moses Sofer.
(à suivre)
J’admire votre érudition et apprécie ce souvenir de la Dizenghoff rehov.
Les Sabbatéens m’avaient intriguée car le messie auto-proclamé est un phénomène tellement humain !
Et le personnage du Baal Shem Tov.
Mais ma culture juive est une guirlande lumineuse et discontinue.