Tableau 12 – Les grands principes de l’École autrichienne d’économie.
Tout homme est amené à faire sans cesse des choix. Par exemple, il choisira de faire ceci plutôt que cela, d’acheter tel produit plutôt que tel autre. Ainsi la valeur associée à chaque action ou à chaque produit réside en chaque individu. Le prix des produits rend compte des préférences des consommateurs ; il est un indicateur, comme un altimètre sur un tableau de bord. Les entrepreneurs qui suivent ce signal peuvent faire des profits ; de même que l’aviateur qui suit son altimètre peut espérer ne pas se crasher. L’économie de marché est une démocratie économique avec le consommateur placé au centre. Dans une économie de marché, en constante évolution donc, l’entrepreneur s’efforce de capter les opportunités de faire des profits. Pour y parvenir, il se met à l’écoute du consommateur, à son service. L’État ne peut accorder une même attention au consommateur.
La concurrence est un mécanisme autorégulateur que l’étatisme, le socialisme, le keynésianisme et tous les interventionnismes malmènent et finissent par paralyser. Par exemple (et nous sommes en plein dedans), la politique des banques centrales fausse le signal que sont les prix et conduit à de mauvais investissements qui engendrent des cycles et des crises, à l’inflation qui n’est rien qu’un impôt déguisé et qui conduit à une injuste redistribution des richesses.
Tableau 13 – L’un des concepts fondamentaux de l’École autrichienne d’économie, le subjectivisme. Initié par le sociologue Ludwig Lachmann, il s’inscrit dans le prolongement de l’individualisme méthodologique et considère, comme ce dernier, que seul l’individu en chair et en os (et non le concept Individu) fait des choix et agit, et qu’aucune notion englobante (comme la « demande », l’« épargne », la « croissance ») ne pourra jamais l’appréhender dans sa totalité.
Le subjectivisme constitue une approche fondamentale dans la théorie sociale en général. Il porte en premier lieu son attention sur la signification que l’individu donne aux actions et aux situations dans un monde d’incertitude. Il cherche à comprendre comment l’individu s’oriente dans ses relations avec les autres, l’individu (loin de tout concept préétabli) tel qu’il s’exprime dans ses préférences avérées.
Le subjectivisme a profondément changé l’approche des phénomènes économiques et sociaux, c’est pourquoi on peut évoquer, sans forcer la note, une révolution subjectiviste. Elle a débuté avec l’élaboration de la théorie subjectiviste de la valeur.
Tableau 14 – Parution du livre de Thierry Aimar, « Friedrich Hayek : du cerveau à l’économie ». Friedrich Hayek, un homme dont on se moque volontiers pour des raisons qui n’ont rien à voir avec une quelconque connaissance de l’économie et qui s’en tiennent à l’idéologie et la politique. A dire vrai, on se moque pareillement de l’École autrichienne d’économie.
Thierry Aimar via Friedrich Hayek nous invite à faire preuve d’humilité, nous les non-spécialistes autant que les spécialistes. Cette invitation nous invite tous, y compris les plus puissants – et à commencer par les plus puissants –, à renoncer à vouloir gouverner la vie des autres, des vies dont nous ne savons presque rien, voire rien.
Friedrich Hayek s’est intéressé la singularité de chaque personne d’où le subjectivisme, l’un des postulats et l’un des axes de recherche de l’École autrichienne d’économie. Selon cette dernière, nous nous définissons plus par notre individualité que par notre appartenance à une communauté, position originale et qui va à l’encontre de ces principes généralisateurs qui activent tant de régimes, en dictature comme en démocratie. Cette unicité – ou, disons, cette subjectivité – rend inopérante toute régulation de la société (cette chose si infiniment complexe) par le haut, que le pouvoir soit issu d’un coup d’État ou d’élections démocratiques.
La subjectivité et l’ignorance de soi sont le lot de tous, sans exception. De ce fait, la société ne peut espérer fonctionner au niveau économique dans une relative harmonie que dans un ordre spontané, avec les entrepreneurs, et donc le marché, et la concurrence. Le marché est un indice des préférences (subjectives) des individus – où l’on pourrait en revenir à la catallaxie. Quant à la concurrence, elle favorise le processus d’ajustement, un processus tout en finesse par lequel on peut mieux satisfaire les individus et leur subjectivité. Pour ce faire, il faut que la concurrence s’exerce librement, la concurrence qui tôt ou tard saura mettre fin à un monopole privé, mais non à un monopole d’État qui, lui, peut survivre grâce à la rente que lui verse l’État, une rente intégralement issue de la fiscalité.
Il ne faut pas trop se laisser aller à comparer deux époques étant entendu que le temps qui passe fait que rien n’est identique, que tout se modifie du fait même du temps qui passe. Néanmoins, nous nous livrons à des manipulations qui ont un air de famille avec celles mises en œuvre aux États-Unis, à la fin des années 1920, manipulations des taux d’intérêt par la Federal Reserve dans le but de favoriser la croissance mais au prix d’un endettement toujours plus massif des citoyens au détriment de l’épargne ; l’épargne, soit la source de financement de l’investissement et de la croissance. Ce mécanisme se retrouve dans la crise des subprimes de 2008, une crise dont nous n’avons pas fini de mesurer les effets.
Aujourd’hui, comme en 1929, les gouvernements prétendent contrôler l’économie par la monnaie (voir en particulier le quantitative easing), les gouvernements et l’Europe avec la Banque centrale européenne (BCE). A ce propos, que Mario Draghi ait été nommé chef du gouvernement italien n’est probablement pas une très bonne nouvelle : il ne fera que poursuivre à l’échelle de son pays la politique qu’il a mise en place à la BCE. Les années 1920, c’est aussi l’Allemagne et une planche à billets devenue folle, comme elle l’est redevenue aujourd’hui. Certes, les années 1920 sont bien différentes des années 2020 mais permettez-moi d’éprouver quelque crainte.
Dans « The Road to Serfdom », Friedrich Hayek met en garde contre l’interventionnisme, une maladie qui semble toucher plus particulièrement la France, héritière de René Descartes et de Jean-Jacques Rousseau, soit l’erreur constructiviste qui mène à la planification. Friedrich Hayek le notait et je vais le paraphraser.
Plus un gouvernement intervient, plus il déstructure l’économie laissée libre, ce qui le conduit à vouloir réguler davantage pour corriger les déséquilibres dont il est responsable. Ce contrôle du marché porte donc préjudice au marché que l’on accuse ensuite de tous les maux pour mieux appliquer de nouvelles réglementations. C’est donc bien « la prétention à la connaissance », c’est-à-dire l’ignorance de notre propre ignorance, qui explique les échecs des systèmes collectivistes et régulationnistes.
Dans le domaine du droit, Friedrich Hayek voit en la loi une illusion du constructivisme. Le droit « n’est pas issu d’une raison fondatrice et abstraite, dégagée du temps et de l’histoire, mais de traditions synthétisant un ensemble d’expériences et d’événements particuliers qui échappent à toute notion d’universalité », une réflexion de Friedrich Hayek qui pourrait être d’Edmund Burke, avec cette notion d’héritage comme socle autrement plus authentique et solide que ces décrets révolutionnaires sortis d’un chapeau. Précisons que ces traditions sont susceptibles d’évolutions constantes et graduelles, en douceur pourrait-on dire, rien à voir avec cette « raison fondatrice et abstraite, dégagée du temps et de l’histoire », soit une idéologie – l’idéologie, responsable de tant de désastres et d’atrocités.
Nous sommes dans une lutte entre le subjectivisme (porté par l’École autrichienne d’économie) et le constructivisme, si présent chez des écrivains français (voir Jean-Jacques Rousseau), les Français qui par ailleurs ont contribué d’une manière décisive au développement de la théorie économique avec l’École libérale française, ce qui a été et reste poussé de côté, en France, pour des raisons politiques et idéologiques.
Déjà, adolescent, les écrits de Jean-Jacques Rousseau me révulsaient (hormis ses écrits à caractère autobiographique). Je pressentais en lui l’un des annonciateurs de l’idéologie, sa couronne de fer et sa traîne sanglante, son fouet et son hachoir. Lorsque j’ai découvert Edmund Burke, j’ai respiré, comme j’ai respiré en lisant Raymond Aron et non plus la ratatouille philosophisante de Jean-Paul Sartre, comme je respire en lisant les analyses de membres de l’École autrichienne d’économie et non plus celles de Thomas Piketty et autres petits bourgeois-fonctionnarisés.
Dans « The Road to Serfdom », Friedrich Hayek écrit : « Les écrivains français qui posèrent les fondations du socialisme moderne étaient convaincus que leurs idées ne pouvaient être mises en pratique que par un gouvernement dictatorial. À leurs yeux, le socialisme signifiait une tentative pour achever la révolution par une réorganisation délibérée de la société sur un plan hiérarchique et l’exercice d’un “pouvoir spirituel” de coercition. Les fondateurs du socialisme ne faisaient pas mystère de leurs intentions à l’égard de la liberté. Ils considéraient la liberté de pensée comme la source de tous les maux du XIXe siècle et le premier des planistes modernes, Saint-Simon, prédisait même que ceux qui n’obéiraient pas à ses plans seraient “traités comme du bétail” ».
Il faudra enseigner ce qu’est le « despotisme démocratique » tel que l’a pressenti Alexis de Tocqueville, auteur de référence de Friedrich Hayek avec Karl Popper.
Olivier Ypsilantis