Skip to content

Notes de lecture (économie) – VII/XIII

“In the process of helping some (perhaps most) people to more utility and justice, the state imposes on civil society a system of interdictions and commands.” Anthony de Jasay

Tableau 11 – Anthony de Jasay a tenté de reformuler le libéralisme économique et politique à partir d’une conséquente théorie du savoir. Il estime que l’individu est libre de son action, à moins de situations exceptionnelles. Le système social tel qu’il l’envisage est fondé sur la propriété privée, les relations contractuelles (dictées par la libre volonté de tous), la responsabilité individuelle et la réputation personnelle basée sur la confiance mutuelle, bref, tout ce que je m’efforce de mettre en œuvre dans la vie sociale, ce qui, je dois le dire, m’a été et me reste plutôt bénéfique. J’aimerais échapper plus encore à l’État, ce machin qui est trop souvent jugé nécessaire pour défendre l’intérêt public et la justice sociale alors qu’il n’est occupé qu’à défendre ses propres intérêts. Plutôt que l’État, il me faudrait dire la machine étatique afin de mieux rendre sensible son aspect mécanique.

Anthony de Jasay est l’auteur de très nombreux essais et d’une douzaine de livres. Je conseille la lecture de « The State » (1985), publié en français sous le titre, « L’État : la logique du pouvoir politique » (1994). Inutile de préciser qu’il n’est guère prisé dans les milieux académiques, diversement étatisés et socialisés, soit des clubs de conformistes qui reçoivent leur pitance des pouvoirs publics, comme le grassouillet Thomas Piketty. Anthony de Jasay est aussi et, dirais-je, d’abord un philosophe comme l’est tout grand économiste ; rien à voir avec le laborieux auteur du « Capital au XXIe siècle », un pen-pusher, un petit bourgeois de gauche, un type social pour lequel j’ai une aversion particulière. Par la cohérence de ses idées et la clarté de son style, Anthony de Jasay est un gentleman.

 

“People who live in states have as a rule never experienced the state of nature and vice-versa, and have no practical possibility of moving from the one to the other … On what grounds, then, do people form hypotheses about the relative merits of state and state of nature? … My contention here is that preferences for political arrangements of society are to a large extent produced by these very arrangements, so that political institutions are either addictive like some drugs, or allergy-inducing like some others, or both, for they may be one thing for some people and the other for others.” Anthony de Jasay

Dans « L’État : la logique du pouvoir politique », l’auteur se place à l’intérieur même de l’État, de son organisme. Il rend compte de cette machine à broyer tous ceux qui refusent ce qu’il est, de son pouvoir de contrainte quasi-illimité, y compris en démocratie. Selon Anthony de Jasay, l’État n’est pas au service de l’intérêt général, il modèle les citoyens à sa guise. L’auteur dénonce ceux qui cautionnent « un programme redistributif toujours plus étendu », programme qui permet d’acheter l’adhésion des citoyens tout en laissant le champ libre aux groupes de pression en tout genre. Et afin de faire taire toute contestation, tant active que passive, l’État phagocyte la société civile. Omnipotent, il peut alors imposer en douceur les mythes de « justice sociale », d’« égalité » et j’en passe.

Anthony de Jasay estime que des groupes d’intérêt (constitués de « parasites » et de « prédateurs ») prolifèrent dans l’État moderne qui les encourage et les récompense. Les « proies » ne peuvent plus s’opposer aux « prédateurs » et aux « parasites », leurs réactions sont affaiblies et les mécanismes de l’économie de marché sont captés par ces derniers, ce qui n’apparaît pas clairement, leurs manœuvres étant occultées par la taille et la complexité de l’appareil redistributif et fiscal de l’État. Il n’y a plus de contrat bilatéral. Le processus politique démocratique est conçu pour fonctionner de manière asymétrique, ce qui permet d’endormir la « proie » en multipliant les leurres.

 

“Karl Popper once advised a student that if he wanted to reap intellectual fame, he should write endless pages of obscure, high-flown prose that would leave the reader puzzled and cowed. He should then here and there smuggle in a few sensible, straightforward sentences all could understand. The reader would feel that since he has grasped this part, he must have also grasped the rest. He would then congratulate himself and praise the author.” Anthony de Jasay

Anthony de Jasay estime que dans l’état de nature, une sorte de consensus s’établit entre le groupe des producteurs (« la proie ») et celui des « prédateurs » et des « parasites » (« predators » and free-riding « parasites »). On pourrait à ce propos en revenir au livre majeur de Franz Oppenheimer, « Der Staat ». L’émergence de l’État rompt cet équilibre. Les non-producteurs se mettent à proliférer tandis que la complexité de l’appareil d’État parvient à dissimuler leurs manigances. L’identité des non-producteurs est brouillée et le coût infligé aux producteurs l’est aussi. Les « prédateurs » et les « parasites » peuvent ainsi se multiplier. Et plus l’État intervient plus les « prédateurs » et les « parasites » se trouvent à leur aise et en profitent. Les groupes d’intérêt se renforcent tandis que d’autres se constituent, attirés par l’aubaine. Conclusion selon Anthony de Jasay : dans l’État-providence (welfare-state), les politiques de redistribution et la formation de groupes d’intérêt (interest groups) s’encouragent mutuellement au détriment de la liberté et de la prospérité.

Anthony de Jasay se disait anarchiste ou, plus exactement, il disait qu’il se déclarerait comme tel s’il était le seul à le faire car ceux qui se déclaraient comme tels le mettaient dans l’embarras. Il avançait trois raisons qui l’empêchaient d’être minarchiste – le minarchisme est une idéologie politique dérivée du libéralisme qui préconise un État minimal dont la légitimité est enserrée dans de strictes limites :

Premièrement. Tout gouvernement sera dominé par ceux qui veulent le pouvoir ou par ceux qui veulent faire le bien. En supposant que tous ceux qui veulent le pouvoir le veulent pour faire le bien, un problème subsiste. Ces derniers ne se contenteront pas d’un pouvoir minimal, d’un État minimal, d’un minimal state, ils chercheront ce qu’Anthony de Jasay nomme le « discretionary power ».

Deuxièmement. Il y a une croyance selon laquelle le seul moyen de rendre effectifs les contrats entre individus est d’élaborer une entité extérieure. Mais Anthony de Jasay pointe une contradiction dont il rend compte par l’image de quelqu’un qui “jumps over his own shadow.” Si les contrats peuvent être conclus, l’État n’est pas nécessaire ; s’ils ne peuvent l’être, pour une raison ou pour une autre, il n’y a aucune raison de penser qu’ils le seront plus parce que l’État s’en mêle – there is no reason to expect that the contract that creates the state is enforceable. Croire le contraire revient à croire qu’un homme peut sauter au-dessus de son ombre. Mais il y a plus : deux individus peuvent éventuellement trouver un accord si un contrat est transgressé, tandis que si l’État (qui bénéficie d’un pouvoir de coercition quasi-illimité, même en démocratie) viole le « contrat social » (une pure fiction par ailleurs), les citoyens n’ont aucun recours. Sitôt que l’État commence à se mettre en place, ceux qui sont au pouvoir s’emploieront à en augmenter la taille et le poids et bien au-delà de ce qui pourrait être défini comme l’État minimal.

Troisièmement. Toujours selon Anthony de Jasay, les Constitutions sont essentiellement inutiles. La Constitution aide à s’organiser autour de points précis mais elle n’aide en rien à contenir la croissance de l’État et des gouvernements successifs qui en démocratie détiennent le pouvoir. L’État qui a été conçu pour contrôler le free rider (le passager clandestin, en économie) devient le moyen par excellence qui permet à ce dernier de s’assurer des droits sur la richesse et les efforts des autres. Autrement dit, aussi longtemps que les individus croient en un gouvernement limité, aucune contrainte constitutionnelle n’est nécessaire. Avec la croissance de l’État et son omniprésence, la soupape d’échappement (escape valve) s’est bouchée et les contraintes constitutionnelles n’opèrent plus.

 

“The world is always a small place. This is where I differ sharply from Hayek. I think Hayek has done a great harm to social theory by making us think that the world was always a vast place and we were anonymous. There is very little in the world that is anonymous. Everything gets known. This thing which I have seen over and over and over again, nothing remains secret. I cheated you, now I have to go out and seek for another fool, and very soon I will find that they have all heard of me, and I will just be unable to deal.

Cheat or not cheat! Even if I am a repentant sinner, and want to perform [honestly], very many people will say, “Thank you. Go somewhere else…”

[A second] constraint, which operates in communities that do not rely on the state, is mutual help…. If you cheat, it is in everybody’s interest to expend some cost, not an inordinately large cost, but to discipline you, in order to maintain discipline in the industry. There will be an element of mutual help in contract enforcement. There is always more to be gained, in total, by performing on contracts than by defaulting on them…

This is borne out, to some extent, by game theory, where if the effect on the future of your present action is really significant, then it’s almost never a dominant strategy to cheat. It is always best to rely on the contract, or simply to fulfil it.” Anthony de Jasay

 Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*